Le plan délirant du gouvernement pour éviter de nouvelles émeutes

Élisabeth Borne, Première ministre, à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), le 27 octobre 2023. ©Matignon

L’actualité internationale a éclipsé l’événement. Jeudi 26 et vendredi 27 octobre, la Première ministre a présenté les réponses du gouvernement aux émeutes de la fin du mois de juin. Petit rappel des chiffres : 533 communes touchées, 2 107 personnes déférées devant les tribunaux, 1 989 condamnations prononcées dont 90 % à des peines de prison. 

Quatre mois se sont écoulés depuis la mort du jeune Nahel, tué par un policier motocycliste lors d’un contrôle routier à Nanterre. On s’attendait donc à une analyse approfondie des troubles qui ont suivi. En quoi ces nuits d’émeutes se distinguent-elles de celles que le pays a connues en 2005 ? Et surtout, que traduisent-elles ? 

À chaud, plusieurs interprétations ont été proposées à l’opinion. Du côté de La France insoumise, on voulait y lire les prémices d’un soulèvement général du pays. À droite, on penchait pour un séparatisme ethnico-confessionnel, quand on ne concluait pas simplement à une délinquance d’opportunité. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que de l’analyse dépendent les réponses à apporter.

Naturel primesautier

Eh bien, en fait de réflexion, on a eu droit, jeudi à la Sorbonne et vendredi à Chanteloup-les-Vignes à un constat d’huissier. Au moins la Première ministre n’aura pas eu à forcer le naturel primesautier qu’on lui connaît.

Ces violences ont concerné des communes diverses, vous en êtes le reflet. Des communes de toutes tailles, pour certaines avec des quartiers prioritaires de la politique de la ville, pour d’autres non. Ensuite, en regardant le profil des émeutiers, plusieurs éléments ressortent : les trois quarts des auteurs sont nés en France, un tiers n’a pas de diplôme, les jeunes issus de familles monoparentales sont fortement surreprésentés. Mais ce qui nous marque le plus, c’est la jeunesse des émeutiers. Un quart à peine des auteurs avait plus de 25 ans, un sur cinq était encore lycéen.

Élisabeth Borne, Première ministre, La Sorbonne, 26 octobre 2023

Ces paramètres ont déjà été largement disséqués dans les médias. Mais quel est le lien entre eux ? Quelle est la dynamique à l’œuvre ? Les crânes d’œuf qui peuplent les bureaux de Matignon n’ont pas su le dire. Et celle qui est destinataire de leurs notes n’a pas davantage esquissé d’explication globale. Résultat, à la Sorbonne, devant les maires des communes les plus touchées par les émeutes, puis le lendemain devant le Comité interministériel des villes à Chanteloup-les-Vignes, la Première ministre a égrené un catalogue de mesures souvent saugrenues et dépourvues d’une cohérence d’ensemble. 

Reporter les carences du service public

L’argent d’abord : 100 millions d’euros vont venir compléter le remboursement des assurances pour les bâtiments publics détruits. Et 456 millions d’euros sur quatre ans iront à la création d’entreprises dans les quartiers prioritaires de la ville. Lesquels ? On verra plus tard. La sécurité publique ensuite. On manque d’effectifs dans la police nationale ? Qu’à cela ne tienne : la Première ministre a la solution.

Je vous propose de franchir une nouvelle étape dans le continuum de sécurité et de donner la possibilité aux polices municipales d’accomplir certains actes de police judiciaire. Ces pouvoirs s’exerceront naturellement sous le contrôle des parquets.

Élisabeth Borne, La Sorbonne, 26 octobre 2023

En clair, la Première ministre propose de reporter sur les collectivités locales les carences du service public. En oubliant que les policiers municipaux ne sont absolument pas formés pour être officiers de police judiciaire. La procédure pénale, c’est un métier. Côté réponse pénale justement, Matignon s’est voulu créatif. Les jeunes délinquants pourront être placés de manière obligatoire, dans des unités éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse. Et si ça ne suffit pas, Borne, là encore, a une solution.

Recadrage autoritaire

J’ajoute que dans certains cas nous pouvons envisager un encadrement de jeunes délinquants par des militaires qui pourront notamment transmettre des valeurs de discipline et de dépassement de soi.

Élisabeth Borne, Première ministre, La Sorbonne, 26 octobre 2023

Les militaires vont être ravis de jouer au gardien ou à la baby-sitter. À ce compte-là, autant rétablir la conscription. Celle-ci favoriserait le brassage social et permettrait de répondre aux besoins des armées qui sont entrées aujourd’hui en phase de durcissement. Peut-être l’idée trotte-t-elle déjà dans la tête du gouvernement, puisqu’il redouble d’efforts pour développer le Service national universel. 

Dans ce recadrage autoritaire, les parents ne sont pas oubliés. Ceux qui sont en difficulté pourront suivre des stages de responsabilité parentale. Ceux qui démissionnent de leurs devoirs s’exposeront à des peines de travaux d’intérêt général. En outre, une contribution financière familiale pourra être réclamée aux mineurs et à leurs parents. Le produit de cette amende d’un nouveau genre ira à des associations de victimes. Mais le clou de cette liste reste l’annonce de la création d’une force d’action républicaine, la FAR. Sans doute pour en mettre plein les yeux.

Mesurettes

Dans ces quartiers, nous devons avoir une réponse forte et globale. C’est le sens de la force d’action républicaine proposée par le président de la République lors de la campagne électorale. Son objectif sera de concentrer dans un quartier tous les efforts de l’État à vos côtés pendant plusieurs mois. À partir d’un diagnostic commun, nous déploierons des moyens pour traiter les difficultés que les populations rencontrent en matière de sécurité mais aussi pour des réponses judiciaires, éducatives ou sociales.

Élisabeth Borne, Première ministre, La Sorbonne, 26 octobre 2023

Et que se passera-t-il quand la FAR bouclera ses petites valises pour aller dans une autre ville ? Eh bien, tout recommencera à se dégrader. Les Français réclament des services publics permanents, pas des cars de touristes, fussent-ils remplis de fonctionnaires aguerris. Soyons justes. Tout n’est pas à jeter dans la panoplie des mesures gouvernementales. Ainsi l’extension des horaires d’ouverture des centres de loisirs et la mise en place de cours de rattrapage avant la rentrée des classes. Tout comme l’accueil en continu dans les collèges de 8 heures à 18 heures et l’extension des horaires des bibliothèques. 

Mais ce ne sont pas ces mesurettes qui vont résoudre le problème de la pauvreté dans les quartiers. Heureusement, là aussi, la Première ministre a trouvé la solution.

Je demande donc aux préfets de ne plus installer via les attributions de logement ou la création de places d’hébergement, les personnes les plus précaires dans les quartiers qui concentrent déjà le plus de difficultés. Toutes les difficultés ne peuvent pas être rassemblées au même endroit, la mixité est une chance, elle est nécessaire.

Élisabeth Borne, Première ministre, Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), 27 octobre 2023

Manque de logements

Génial. Et on fait quoi de ceux qui ont besoin d’un logement ? On leur donne une tente Quechua ou de la tôle ondulée pour construire un bidonville ? Bien sûr, on pourrait les installer dans des communes moins pauvres. En décembre 2000, la gauche a fait adopter la loi solidarité et renouvellement urbain, plus connue par son acronyme SRU. Celle-ci fait obligation aux communes de consacrer 20 % de leur parc locatif à des logements sociaux.

Mais le retard à rattraper est tel qu’on manque de logements. Sans parler des maires qui préfèrent payer des amendes plutôt que se conformer à la loi. Résultat, un peu plus de 50 % des communes françaises ne satisfont pas à leurs obligations en matière de logement social. Tandis que 93 000 ménages attendent toujours un logement. Les mesures répressives flatteront certainement les attentes des Français. L’édition 2023 de Fractures françaises, l’enquête annuelle de la Fondation Jean-Jaurès, du Cevipof et de l’institut Montaigne met en évidence une forte demande d’autorité. 

Mais au-delà du nécessaire rétablissement de l’ordre le plan gouvernemental parviendra-t-il à éviter la répétition des émeutes du début de l’été ? Ce n’est pas certain. Depuis une trentaine d’années, la figure du consommateur se substitue à celle du citoyen. On ne vaut que ce que l’on consomme. Le culte des marques remplace progressivement les valeurs de la République. Nike fédère au moins autant que le drapeau tricolore. C’est la rançon du projet néolibéral dont l’actuel président achève le déploiement. Comment s’étonner que ceux qui n’ont pas accès au monde enchanté de la marchandise pillent les magasins quand être est devenu synonyme de paraître.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.