Retraites : circulez, il n’y a plus rien à voir !

Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, à l’Assemblée nationale, le 28 mars 2023. ©Assemblée nationale

Pif magazine, aujourd’hui Pif Gadget, était historiquement publié par le Parti communiste. Aujourd’hui, il appartient à un ancien ministre de Nicolas Sarkozy. C’est donc avec impatience que l’on a pu découvrir l’interview d’Emmanuel Macron, le 29 mars, dans le magazine. Le chef de l’État y répond aux questions des enfants, ce qui, à tout prendre, est moins dangereux que d’échanger avec un piquet de grève.

« Pouvez-vous quitter votre poste en plein mandat, et comment ça se passerait si vous le quittiez ? », lui demande la petite Mélina qui remplacerait avantageusement certains journalistes du 13 heures. « Si tu le quittes, c’est qu’il peut y avoir une énorme crise et que tu es empêché, répond Emmanuel Macron. À ce moment-là, tu remets ton mandat aux Français, et le peuple vote à nouveau. »

En voilà une idée qui est bonne. Mais visiblement, Emmanuel Macron n’en est pas encore parvenu à ce niveau de réflexion.

Passé à autre chose

Il était, jeudi 30 mars, à Savines-le-Lac, dans les Hautes-Alpes, pour parler de l’eau. La commune est en effet à deux pas du lac de Serre-Ponçon. 

Oui, alors, le comité d’accueil, là, a commencé de nouveau à taper sur les voitures, à se faire entendre.

Journaliste, BFMTV, 30 mars 2023

Il y a une contestation sociale qui existe sur une réforme mais ça ne veut pas dire que tout doit s’arrêter. J’ai le sentiment qu’il y a eu un moment de clarification politique qui a donné lieu à un vote à l’Assemblée nationale. Après qu’il y ait des commentaires, c’est une chose, mais… ça a été clarifié au moment du vote sur la motion de censure.

Emmanuel Macron, président de la République, CNews, 30 mars 2023

Si vous n’avez pas compris le message de ce double exercice de communication, le voici : le président de la République est passé à autre chose. La séquence des retraites, c’est fini. Au moins pour lui.

« L’intensité de l’opposition augmente »

Mais voilà, jusqu’au 14 avril, le suspense demeure. C’est à cette date que le Conseil constitutionnel rendra sa décision sur la réforme des retraites. Peut-être trouvera-t-on la porte de sortie d’une situation politique qui se dégrade de jour en jour. 

La mobilisation, elle, ne faiblit pas. Selon les syndicats, les cortèges de mardi 28 mars n’ont rassemblé que deux millions de manifestants, soit un million et demi de personnes de moins que le 23 mars. Ce chiffre reste toutefois dans la moyenne des journées de mobilisation. Il est par exemple supérieur aux deux journées de manifestations qui ont précédé le 23 mars. Conclure à un reflux du mouvement est par conséquent prématuré. Mercredi 29 mars, à l’Assemblée, on croyait toujours à la victoire.

C’est le début de la fin pour Emmanuel Macron parce que jusque-là il n’a pas voulu répondre mais il continue de foncer tête baissée, droit dans le mur. Et plus ça va, plus il s’en rapproche. On n’a jamais été aussi proche de la fin. Ce que je constate c’est que les gens restent tout aussi mobilisés et que, au contraire, l’intensité de l’opposition augmente chaque semaine. Pour l’instant ils n’ont pas réussi leur objectif au niveau du gouvernement et les syndicats, leur unité a contribué quand même à entretenir un degré de mobilisation exceptionnel, qu’on n’avait jamais vu depuis cinquante ans dans le pays.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Palais Bourbon, 29 mars 2023

Revers de Philippe Martinez

Cette unité syndicale pourrait toutefois connaître des soubresauts. Depuis lundi, la CGT est en congrès à Clermont-Ferrand. Et d’emblée, Philippe Martinez, qui ne se représente pas au poste de secrétaire général, a essuyé un revers. Les délégués ont rejeté le rapport d’activité de la direction sortante par 50,32 % des suffrages exprimés. Qui plus est, la candidate poussée par Philippe Martinez pour lui succéder, Marie Buisson, est maintenant menacée par deux autres candidatures plus radicales. Enfin, Philippe Martinez a été vivement critiqué pour avoir soutenu la proposition de médiation formulée par Laurent Berger. 

Il faut mettre, on appelle ça sur pause, il faut mettre en suspens la mesure des 64 ans. Est-ce qu’il faut prendre un mois, un mois et demi, pour demander à une, deux, trois personnes de faire de la médiation, de la conciliation, d’aller voir les différentes parties en disant : « Vous voulez quoi ? Vous voulez quoi pour le travail ? ». Et ensuite on se met autour de la table et on regarde sur la question du travail, des retraites, sur quoi il peut y avoir, ou pas, un compromis.

Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT, France Inter, 27 mars 2023

Intersyndicale

Cette proposition a été immédiatement rejetée par Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement. 

On n’a pas forcément besoin de médiation pour se parler. On peut se parler directement. Le président de la République l’a dit, il est prêt à recevoir l’intersyndicale dès lors, parce que nous respectons nos institutions, que le Conseil constitutionnel se sera prononcé sur la conformité de notre texte de loi. Ensuite la Première ministre se tient à disposition des syndicats pour les recevoir très directement pour pouvoir parler.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, Conseil des ministres, 28 mars 2023

Mercredi, on a appris qu’Élisabeth Borne devrait recevoir l’intersyndicale mercredi prochain, la veille de la nouvelle journée de manifestations. De quoi vont parler l’intersyndicale et la Première ministre ? 

« Cocktail un peu détonnant »

Si l’idée c’est de réécrire un texte de loi qui a été adopté au Parlement, je ne crois pas que ce soit l’objectif. Mais dans les conditions d’application de la réforme, il y a plein de choses. Il y a des discussions de branches, il y a des modalités d’application par décret de la réforme de retraites qui doivent être discutées.

Clément Beaune, ministre délégué, chargé des Transports, Europe 1, 29 mars 2023

Ça, c’est la version de l’exécutif. À gauche, on doute que l’échange s’en tienne à ce cadre. 

Le gouvernement, aujourd’hui, essaie de prendre des initiatives. On voit que la semaine prochaine il y aura peut-être des propositions de rencontre. Alors pourquoi pas dans un conflit social, mais honnêtement, à ce stade, si les rencontres ont pour seule ambition de mettre une scène qu’il y a une rencontre mais que ce qui est dit c’est : « on peut parler de tout sauf de ce qui est le point nodal de la mobilisation », j’ai peur du cocktail un peu détonnant quoi. Je ne vois pas une organisation syndicale dire : « Ah bah écoutez finalement, après onze semaines de mobilisation, un pays en état de haute turbulence, un déni démocratique, bah finalement on cède. » Ça je ne crois pas que ce soit possible.

Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis, Palais Bourbon

Procès de la gauche

En attendant, c’est la guerre de tranchées. Mardi, la séance des questions au gouvernement a tourné au duel d’artillerie. Après avoir annoncé qu’il allait proposer la dissolution du réseau associatif Les Soulèvements de la Terre, organisateur du rassemblement de Sainte-Soline, Gérald Darmanin a instruit le procès de la gauche.

Vous me demandez madame la députée : « Que s’est-il passé ? ». Que s’est-il passé à gauche pour qu’on confonde casseurs et policiers ? Que s’est-il passé à gauche pour qu’on ne respecte plus l’uniforme de la République ? Que s’est-il passé à gauche, madame la députée, pour qu’on oublie à ce point Clémenceau, Chevènement, Cazeneuve, Valls, Mitterrand, Badinter ?

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Assemblée nationale, 28 mars 2023

Badinter n’a jamais été ministre de l’Intérieur. Quant à Cazeneuve ou Valls, on se demande s’ils ont été un jour de gauche. Enfin, le ministre de l’Intérieur François Mitterrand a laissé un souvenir contrasté. Le futur président était alors partisan de l’Algérie française. Devenu Garde des sceaux, François Mitterrand fut l’un de ceux qui envoyèrent le militant communiste Fernand Iveton à l’échafaud. Alors même que celui-ci n’avait pas de sang sur les mains. 

Dérapages des forces de l’ordre

Bien sûr, lors de cette séance de questions au gouvernement, on a évoqué les dérapages des forces de l’ordre. Ces dernières s’illustraient au même moment dans la manifestation parisienne. Pure Politique y était. Les charges se terminent maintenant par des affrontements au corps-à-corps avec les manifestants. Percuté par un policier, un manifestant reste au sol, inanimé. La BRAV-M, plutôt discrète depuis qu’une pétition proche des 200 000 signatures réclame sa dissolution sur le site de l’Assemblée nationale, était aussi de la partie. 

Revenons dans l’hémicycle mardi 28 mars. C’est le député LFI Jean-François Coulomme qui interpelle la Première ministre :

Conseil de l’Europe, Ligue des droits de l’homme, Défenseur des droits, Amnesty International, le Parlement belge, jusqu’au Financial Times, tous les observateurs de ce cauchemar que vous avez provoqué dénoncent le sinistre théâtre que vous mettez en scène au prétexte mensonger de faire le bonheur des Français contre leur gré. Une police qui roule à moto sur un manifestant à terre, qui matraque les crânes, qui gaze à bout portant une députée en écharpe. La BRAV-M qui tire sur une mère de famille et lui détruit la main, qui tire sur un syndicaliste et lui arrache un œil, qui violente sexuellement des femmes nassées, qui dégoupille 4 000 grenades au TNT à la face de nos jeunes révoltés par votre corruption écocidaire. Des comas, et après monsieur Darmanin ? Et la justice. Sur injonction de son ministre, elle est sommée d’infliger une réponse pénale rapide, se mettant ainsi au service d’interpellations et de gardes à vue arbitraires pour dissuader mais dont les victimes ressortent majoritairement exemptes de motif de poursuite. Et après, monsieur Dupond-Moretti ?

Jean-François Coulomme, député LFI-Nupes de Savoie, Assemblée nationale, 28 mars 2023

« Vous vomissez » sur la police

Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, répond :

Monsieur le député, il y a de ça quelques mois, quelques années, c’était après le Bataclan, on voulait embrasser les flics. Aujourd’hui, vous vomissez dessus. Voilà la réalité. Je veux ici rappeler que monsieur Jean-Luc Mélenchon, votre leader maximo, a été condamné définitivement pour avoir exercé des violences sur des policiers et sur un procureur de la République. Voilà, monsieur le député, la réalité. […] Et dans le code de procédure pénal, vous pourrez lire par exemple, que les gardes à vue que vous fustigez, sont en réalité une mesure coercitive prise par un officier de police judiciaire sous le contrôle d’un procureur chaque fois qu’il y a une raison plausible de suspecter qu’une infraction a été commise. Ce n’est pas plus compliqué que cela.

Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, Assemblée nationale, 28 mars 2023

Carte du pourrissement

Et puis il y a Olivier Dussopt, le ministre du travail. Le renégat socialiste ne manque jamais une occasion de dresser le réquisitoire de son ancien parti. Comme s’il n’avait pas donné assez de gages à ses nouveaux employeurs. Il répond ici à Christine Pires-Beaune, députée socialiste du Puy-de-Dôme. 

Vous êtes en réalité en échec, parce que votre stratégie est liée à celle de monsieur Mélenchon. Madame la députée, vous appartenez à un parti qui est tellement inféodé à monsieur Mélenchon que vous en êtes réduite à demander à vos propres candidats de se retirer du deuxième tour des élections législatives dans l’Ariège. C’est la démonstration que vous ne pensez plus, que vous ne décidez plus, que vous n’avez plus de souveraineté, de capacité à penser votre propre avenir. Je me souviens d’une interview de Bernard Cazeneuve qui avait dit que finalement le Parti socialiste était devenu le paillasson de monsieur Mélenchon. Je crois qu’il avait raison, et je crois même que c’est pire.

Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, Assemblée nationale, 28 mars 2023

Darmanin, Dupond-Moretti, Dussopt. Les trois D de la leçon de morale. Quel dommage qu’ils trimballent autant de casseroles. Une batterie complète qui ferait les délices d’un quincailler. La réforme des retraites ne passe toujours pas dans l’opinion. Le gouvernement joue à présent la carte du pourrissement, de la violence et de la criminalisation. Il croit effrayer la population, il ne fait qu’alimenter la détestation et la haine.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.