
C’est une épidémie. La démissionnite aigüe. Elle fait des ravages au sein du gouvernement. Samedi dernier, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, menaçait à mots couverts d’abandonner son maroquin si le gouvernement ne le suivait pas dans son bras de fer avec l’Algérie. Objet du courroux ministériel : la non-réadmission par ce pays de ses ressortissants sous le coup d’une OQTF. Pure Politique vous en a déjà abondamment parlé.
Mardi, c’est le garde des Sceaux qui a brandi sa démission. Cette fois, c’est la question du port du voile dans les compétitions sportives qui l’a incité à les mettre. Les voiles, bien sûr.
Immigration, Algérie, voile, Islam… Le mélange détonant est prêt. Enfilez votre tenue de démineur, rajoutez quelques plaques de kevlar, et allons voir ce qu’en disent les représentants de la nation.
Commençons par Bruno Retailleau et les relations avec l’Algérie. L’extrême droite trouve le locataire de la place Beauvau un peu mou du genou.
Ça fait des mois qu’il n’a pas réussi à convaincre ses camarades du gouvernement. Il serait temps qu’il agisse. Et s’il voit qu’il n’a pas les moyens d’agir alors qu’il en tire les conclusions. Comme disait Jordan Bardella : “Pour monsieur Retailleau c’est agir ou partir”.
Laurent Jacobelli, député RN, le 18/03/2025
L’Algérie multiplie ses provocations. Elle a refusé de reprendre ses ressortissants les plus dangereux. Parmi eux, il y a certains individus qui représentent une menace terroriste. Il y a des criminels, il y a des délinquants. C’est une fin de non recevoir qui est opposée à notre pays. C’est une humiliation supplémentaire au moment même où l’Algérie a pris en otage monsieur Boualem Sansal.
Éric Ciotti, député UDR et président du groupe UDR à l’Assemblée nationale, le 18/03/2025
Au gouvernement, chacun y va de son avis
Le socle gouvernemental considère que Bruno Retailleau serait bien inspiré de la mettre en veilleuse. Même si cela est dit en termes policés. Ce qui va de soi s’agissant du ministre de l’Intérieur.
Chacun dans l’hexagone, dans la manière dont il s’exprime, devrait faire attention à ne pas alimenter une forme de montée en tension qui à la fin n’aboutit à rien et qui, au contraire, mène à une forme de surenchère. Moi j’invite les responsables politiques dans ce pays à ne pas se servir de cette situation pour pousser un agenda de politique nationale ou un agenda partisan qui se fait au détriment des Françaises et des Français.
Pieyre-Alexandre Anglade, député EPR, le 18/03/2025
Laissons faire le Quai d’Orsay. C’est son rôle, on a un ministre des Affaires étrangères. Laissons faire le ministère des Affaires étrangères.
Perrine Goulet, députée EPR, le 18/03/2025
A gauche, on a bien compris ce qui se jouait derrière les roulements d’épaules de Bruno Retailleau.
On a le sentiment que ce débat avec l’Algérie est prisonnier de la présidence LR, des coups de boutoir et de la course de vitesse entre Wauquiez, entre Retailleau. Les relations diplomatiques de la France avec l’Algérie ne peuvent pas être “la victime collatérale” de la guerre que se mènent les candidats à la présidence de LR. C’est là aussi un dysfonctionnement majeur du gouvernement.
Emmanuel Grégoire, député Socialistes et apparentés, le 18/03/2025
Voilà pour l’Algérie et les OQTF. Abordons maintenant le deuxième tableau de ce vaudeville ministériel. Le port des signes religieux dans les compétitions sportives. Et en particulier le voile. Point de départ de la controverse, une proposition de loi votée au Sénat le 18 février. Celle-ci interdit le port de signes religieux lors des compétitions sportives. Le texte a été transmis à l’Assemblée, mais la date de son examen n’est toujours pas fixée.
En revanche, sur ce même sujet, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée a diligenté une mission flash, autrement dit une mission d’information de courte durée. Elle a été confiée à deux députés, Julien Odoul et Caroline Yadan. On ne s’étonnera pas outre mesure que ces deux députés aient été mis en avant pour mener cette mission. Le premier est membre du Rassemblement national. La seconde appartient au groupe Ensemble pour la République. Députée des Français établis hors de France, elle a dans sa circonscription Israël. Et depuis le 7 octobre 2023, elle ne fait pas mystère de son soutien à la politique menée par Benjamin Netanyahou.
Les arrière-pensées ne sont donc pas absentes du rapport que les deux députés ont rendu le 5 mars. Pour autant, l’intérêt du document n’en est pas diminué. Combien d’atteintes à la laïcité a-t-on enregistrées dans le monde du sport ? Aussi curieux que cela paraisse, le Ministère des sports ne dispose d’aucune estimation. Julien Odoul et Caroline Yadan, se référant à des études récentes, affirment qu’il y aurait entre 25 et 130 associations sportives dirigées par les Frères musulmans. Et 500 clubs seraient “confrontés à des comportements communautaristes”.
Les deux rapporteurs déplorent encore la complexité du cadre juridique existant. C’est en effet à chaque fédération sportive de déterminer les règles applicables dans les compétitions qu’elle organise. Une prérogative confirmée par une décision du Conseil d’État en juin 2023. Sur 80 fédérations existantes, 14 interdisent déjà le port d’un signe ou d’une tenue religieuse. Mais c’est à l’État de dire la règle, explique Caroline Yadan.
L’ensemble des fédérations que nous avons entendues, sans aucune exception, souhaitent qu’on légifère, souhaitent que le législateur légifère sur cette question parce qu’ils ne savent pas, en fait, comment faire pour faire face à cet entrisme auquel on assiste qui se manifeste par le voile mais pas seulement.
On a des problèmes de prière dans les vestiaires, de vestiaires qui sont privatisés, de joueurs qui ne veulent pas saluer, d’arbitres qui sont extrêmement pressurisés. Donc c’est un problème réel et notre devoir est de prendre en compte cela, et de légiférer comme on l’avait fait en 2004 sur le voile à l’école.
Caroline Yadan, députée EPR, le 18/03/2025
Surtout, nombre de fédérations ne savent pas sur quel pied danser.
Moi j’ai été maire 17 ans. Je sais que sur le terrain, les responsables des clubs sportifs demandent des règles claires. Dans certaines disciplines, le football par exemple, il y a des règles claires. Dans d’autres, on hésite, on danse sur un pied sur l’autre, je pense au handball par exemple où effectivement pour l’instant il n’y a pas de règle claire. C’est le flou, et le flou n’est jamais bon.
Frédéric Valletoux, député Horizons, le 18/03/2025
Pas de voile, pas de kippa, pas de croix
Ancien journaliste sportif, figure cathodique bien connue, Karl Olive estime qu’il faut se montrer intransigeant.
Il n’y a pas de port de voile, effectivement, dans le sport pas plus que le port d’une kippa, pas plus que le port d’une croix. Ça a toujours été cela. Ce qui m’exaspère c’est qu’on n’a jamais eu aucune difficulté sur ces sujets-là et on va s’en créer.
J’ai été président de club pendant presque quinze ans, de football à haut niveau, je n’ai jamais eu aucune difficulté. J’ai été directeur de communication de club de Ligue 1, je n’ai jamais eu de difficultés, et nous n’avons jamais eu de difficultés par rapport à ce sujet-là. Les règles doivent être appliquées, pas interprétées.
Karl Olive, député EPR, le 18/03/2025
Mais un foulard islamique est-il forcément synonyme d’une infiltration islamiste ? “Non” a répondu la ministre des Sports devant la Commission des affaires culturelles.
Est-ce que le voile islamique résume l’entrisme ? La réponse est “non”. Il y a des femmes qui exercent leur liberté religieuse comme la loi de 1905 l’autorise dans notre pays, que ça nous plaise ou non, c’est comme ça, et elles en ont le droit et c’est d’ailleurs le cas dans beaucoup de démocraties.
Mais je ne suis pas naïve, il y a aussi des situations où il y a des femmes voilées qui participent de façon contrainte ou délibérée à ce qu’on appelle l’entrisme. C’est inacceptable et nous devons combattre ceux qui utilisent cette ouverture pour imposer leur idéologie. Là nous sommes d’accord.
Mais est-ce que l’entrisme se résume au port du voile ? Je vous le redis, la réponse est “non”. Je n’accepte pas que l’on refuse de serrer la main à une femme, évidemment, dans le sport. Je ne tolère pas qu’on stoppe un match pour faire une prière. C’est non. C’est clair. Mais combattre ces dérives c’est accompagner les acteurs de terrain.
Marie Barsacq, ministre des Sports, le 12/03/2025
Retenez-moi où je fais un malheur !
C’est cette intervention qui a provoqué la menace de démission de Gérald Darmanin. Aussitôt soutenu par son collègue de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Tandis que la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, se rangeait aux côtés de Marie Barsacq. Afin de mettre un terme à cette cacophonie, François Bayrou a convoqué mardi les quatre ministres à Matignon. Ils ont dû avoir très peur. Dans la foulée, Aurore Bergé, la ministre en charge de la lutte contre les discriminations, a exprimé la position officielle du gouvernement lors de la séance des questions.
Il n’y a qu’une seule ligne au sein du gouvernement, c’est celle portée par le Premier ministre et cette ligne est très claire : évidemment, la lutte déterminée contre toute forme d’entrisme islamiste. Cette ligne est très claire, c’est le soutien à la proposition de loi amendée qui a été portée au Sénat.
Cette ligne, elle est très claire et elle dit explicitement qu’il n’y a aucun signe religieux ostentatoire qui doit pouvoir être porté dans les compétitions sportives. Il y a ce que vous dites, il y a les tentatives de déstabilisation que vous voulez avoir, et il y a une ligne claire, réaffirmée ici encore une fois, pas d’entrisme islamisme, pas d’intégrisme religieux, pas de signe religieux ostentatoire dans les compétitions sportives.
Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, le 18/03/2025
Le gouvernement reprend donc à son compte la proposition de loi issue du Sénat et espère bien que celle-ci sera adoptée. Le porte-parole du Parti socialiste, Arthur Delaporte, conteste l’irruption de l’État dans le fonctionnement des fédérations. Selon lui, il y aurait un risque de porter atteinte à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.
Notre position est claire. C’est la loi de 1905, c’est la neutralité de l’État. C’est le respect, finalement, de la laïcité, de la liberté de croire et de ne pas croire. Le fait que chacun peut, dans l’espace public, afficher ses convictions. Et ce qui doit être neutre, c’est l’État.
Certaines organisations sportives peuvent décider dans leur charte d’imposer une neutralité aux sportifs mais que ça ne s’applique pas à tout le monde et que ce n’est pas à l’État de le faire sinon ça contreviendrait au principe même de laïcité et on sait dès aujourd’hui ce que ce glissement peut entraîner.
Si aujourd’hui ce n’est pas de voile de façon absolue dans le sport, demain ça sera pas de voile à l’université, ça sera pas de voile dans la rue, ça sera évidemment une dérive plus importante toujours vers, finalement, des pratiques de rejet de l’Islam, de racisme antimusulman.
Arthur Delaporte, député Socialistes et apparentés, le 18/03/2025
Qu’en pensent les féministes ? On pourrait supposer qu’elles rejettent le port du voile, symbole d’oppression. Perdu.
La France était le seul pays durant les Jeux Olympiques à interdire à ses athlètes de pouvoir porter quelque chose sur les cheveux. Moi je pense que vraiment il y a des enjeux bien plus importants. Et puis surtout la France a un problème avec ça. Vraiment. Vraiment.
Moi ce qui est important c’est que les femmes fassent du sport et je ne comprends pas du tout la position selon laquelle ça menacerait la République. Ça ne menace pas la République. Ça menace, par contre, les pratiques individuelles. Et la réalité c’est que le sport est important et que par ailleurs tous les pays du monde l’acceptent. Donc pourquoi faisons-nous exception ? Au nom de quoi ?
Sandrine Rousseau, députée Écologiste et social, le 18/03/2025
Une arme de guerre antimusulmans
Pour Éric Coquerel, cette volonté de légiférer sur les signes religieux dans le sport est en réalité une arme de guerre antimusulmans.
Sur cette question, mais aussi sur d’autres épisodes liés à l’Algérie ou aux lois sur l’immigration que monsieur Wauquiez réclame et monsieur Bayrou lui donne raison, marque un peu plus l’extrême droitisation de ce personnel politique. Et il y a un côté un peu cauchemar raciste, quoi. C’est ce que je ressens. C’est assez impressionnant de voir ça dans une assemblée. Donc évidemment ça ne me satisfait pas.
Je rappelle que la question du voile et des signes distinctifs religieux ça concerne les agents de service public, bien évidemment, qui doivent une neutralité. Mais en aucun cas les usagers. Donc on est en train complètement de faire dériver la laïcité vers en réalité une arme de guerre antimusulmans. C’est de ça dont il s’agit.
Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 18/03/2025
L’exécution des obligations de quitter le territoire français et le port de signes religieux dans les compétitions sportives relèvent de deux débats distincts. Mais la droite et l’extrême droite sont parvenues à les mêler dans une même séquence temporelle qui alimente les postures clientélistes. Incontestablement, elles viennent de marquer un nouveau point dans la bataille idéologique.
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