Retraites : le Sénat adopte l’article 7 sur la retraite à 64 ans

Élisabeth Borne, Première ministre, au Sénat, le 9 mars 2023. ©Sénat

Emmanuel Macron se tait. Trop de fêtes endiablées en Afrique, sans doute. Et puis Jupiter ne descend jamais de l’Olympe. Pas question de recevoir des syndicalistes à l’Élysée comme ces derniers le réclament. Le président préfère les hommages aux disparus. Ceux-là ne risquent pas de lui répondre.

Gisèle Halimi n’était pas devenue avocate. Elle était née avocate. Pour elle, ce n’était pas une profession, pas même une vocation, sans doute un peu plus qu’un idéal. C’était avant tout son tempérament.

Emmanuel Macron, président de la République, Hommage national à Gisèle Halimi, Palais de Justice de Paris, 8 mars 2023

Museler l’opposition

Élisabeth Borne, elle, se crispe. Fini les simulacres de dialogue, le gouvernement passe en force. Dans la nuit de mardi 7 à mercredi 8 mars, avec la complicité active de Gérard Larcher, le président Républicain du Sénat, l’exécutif a entrepris de museler l’opposition. En faisant appel à un article jamais employé du règlement de la Chambre haute, Bruno Retailleau a obtenu de Gérard Larcher que soit réduit le temps de parole de la gauche sénatoriale. 

Et une réécriture de dernière minute de l’article 7 du projet de loi a permis de liquider les amendements de l’opposition, via des astuces procédurales et la tambouille qui l’accompagne. Ce qui est certain, c’est que la gauche sénatoriale n’a plus que le droit de se taire. Résultat, dans la nuit de mercredi 8 à jeudi 9 mars, le Sénat a adopté l’article 7 sur le report de l’âge légal à 64 ans.

« Main dans la main avec la droite sénatoriale »

Jeudi, lors des questions d’actualité au gouvernement, Patrick Kanner a interpellé la première ministre en termes assez vifs. 

La nuit dernière, votre gouvernement de droite, madame la Première ministre, était main dans la main avec la droite sénatoriale de monsieur Retailleau pour empêcher que l’on discute correctement du report de deux ans de l’âge de la retraite, alors que le même jour des millions de Français étaient dans la rue pour dire « non ». Votre volontarisme, c’est en fait de l’entêtement. Votre équilibre financier, c’est en fait un nouvel impôt sur la vie. Votre intérêt général, c’est en fait la préservation des privilèges. Et pourtant, les vrais sujets ne manquent pas : inflation, précarité, service public fragilisé, la France est au bord de l’implosion sociale et vous regardez ailleurs. Madame la Première ministre, pouvez-vous demander au président d’entendre les Français ? Pouvez-vous lui demander de recevoir l’intersyndicale comme elle le demande ? Pouvez-vous lui demander de retirer cette réforme ?

Patrick Kanner, sénateur du Nord et président du groupe Socialiste, écologiste et républicain au Sénat

Réponse offusquée d’Élisabeth Borne :

Je peine à comprendre, monsieur le président Kanner, votre ton, vos insinuations et vos attaques, comme vous le savez le gouvernement n’intervient pas dans l’organisation des débats au Sénat.

Élisabeth Borne, Première ministre, Sénat

Aimable plaisanterie

Cette dernière affirmation est une aimable plaisanterie. Doit-on rappeler à Élisabeth Borne que c’est elle qui a choisi de recourir à l’article 47-1 ? C’est-à-dire un véhicule législatif qui limite le débat parlementaire à cinquante jours. À part ça, elle n’intervient pas dans l’organisation des débats… Si Élisabeth Borne affecte de prendre ses distances avec le Sénat, c’est en réalité parce qu’elle s’active en coulisses pour trouver un accord avec la droite.

Vous portez la responsabilité de cette réforme dont personne ne veut. Vous portez la responsabilité du blocage du pays. Vous portez la responsabilité d’un choix constitutionnel, le 47-1 qui musèle le Parlement. Vous portez avec vos alliés de droite la responsabilité du déni démocratique à l’œuvre. Vous portez, demain, la responsabilité de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Madame la Première ministre, vous avez déjà trahi maintes fois les promesses formulées devant le Parlement en juillet dernier. Cessez de mentir aux Françaises et aux Français. Cessez de dissimuler vos négociations d’antichambre avec les lambeaux de la droite. Cessez de vous faire dicter votre action politique, ou bien alors remaniez le gouvernement. Intégrez LR à votre coalition.

Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère et président du groupe Écologistes, solidarité et territoires, Sénat

C’est maintenant que tout se joue

« Négociations d’antichambre », c’est bien de cela qu’il s’agit. Mercredi 15 mars, une commission mixte paritaire – sept députés, sept sénateurs – tentera de concilier les points de vue de l’Assemblée et du Sénat. Et le jeudi 16 mars, l’Assemblée doit se prononcer sur le texte qui sortira de cette commission. 

Jeudi 9 mars, le projet de loi serait adopté de justesse. Selon ses propres calculs, le camp présidentiel disposerait d’une dizaine de voix de plus que la majorité requise. Cette longueur d’avance est insuffisante car elle peut s’effriter en quelques heures si le mouvement social se durcit. C’est maintenant que tout se joue pour les adversaires de la réforme. Est-ce qu’en cinq jours, les manifestations et les arrêts de travail peuvent faire basculer dix députés de la coalition présidentielle – Renaissance, Modem, Horizons – ou des Républicains ?

Circonscriptions rurales de droite

Moi j’appelle tous les députés, quel que soit le groupe dans lequel ils sont, à regarder ceux qui sont nos mandants, c’est-à-dire ceux que nous représentons, c’est-à-dire le peuple, les électeurs. Et on peut avoir un vote, finalement, qui défait cette loi. C’est aussi une des échéances. Je ne dis pas que toute la stratégie doit se résumer à ça, mais moi actuellement je suis parlementaire, je dis soutien à l’intersyndicale, soutien aux mobilisations, continuons à faire entendre cette protestation qui est une forme de démocratie sociale, et aussi ce vote de 15 ou 16, là, qui aura lieu, ce vote solennel peut être l’occasion d’une grande surprise. Le gouvernement n’a pas encore, clairement, une majorité.

Alexis Corbière, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis, Palais Bourbon

Pourquoi le gouvernement n’est-il pas assuré d’avoir la majorité sur son texte ? D’abord, parce que du côté de LR, l’écrasante majorité des députés sont issus de circonscriptions rurales qui seront durement impactées par la réforme, notamment sur la question des carrières longues. Par réflexe de survie, ces parlementaires ne veulent pas aller contre leurs électeurs. C’est ce qu’a très bien compris Aurélien Pradié, par exemple. Le député du Lot rencontrait, mercredi, Laurent Berger.

Pied de nez

Un signal d’ouverture en direction de l’opinion. Et un pied de nez à la direction de son parti. C’est réussi si l’on en juge par la réaction d’Éric Ciotti quand on évoque ce rendez-vous.

Ce n’est pas une invitation, en tout cas, du groupe des Républicains de l’Assemblée nationale. Chacun est libre de ses démarches individuelles. Aurélien Pradié est engagé dans une démarche individuelle, très éloignée du collectif que je veux fonder, c’est pour cela que j’ai pris à son égard les décisions que vous connaissez.

Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, Assemblée nationale

Le président des LR joue une tout autre carte. Celle du faiseur de rois. Sans lui, la macronie s’effondre. La démonstration en a été donnée mardi 7 mars, à l’Assemblée, à l’occasion d’une proposition de loi d’Aurore Bergé. Il s’agissait d’assortir les condamnations pour violences conjugales ou intrafamiliales d’une peine d’inéligibilité.

Est-ce que, oui ou non, des citoyens condamnés pour des faits de violences conjugales peuvent se présenter devant les suffrages des Français ? Oui ou non ? Est-ce que des citoyens qui ont frappé leurs enfants sont dignes demain de se présenter devant les suffrages des élus ? Est-ce que c’est oui ou est-ce que c’est non ?

Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente du groupe Renaissance, Assemblée nationale

Incident Éric Dupont-Moretti

30 des 34 députés LR présents ont voté contre le texte alors qu’il y a quelques jours, le groupe assurait qu’il ne ferait pas obstacle à son adoption. Mais dans l’intervalle, il y a eu l’incident avec Éric Dupont-Moretti, l’homme qui distribue des bras d’honneur comme d’autres envoient compulsivement des messages sur Whatsapp ou Telegram. Sauf que là, le ministre sémaphore s’adressait à Olivier Marleix, le patron des députés LR.

De quoi vous parlez exactement ? Vous avez fait deux bras d’honneur, c’est ce que vous êtes en train de dire à l’Assemblée ? Alors, oui, je vous demande effectivement de préciser vos propos parce que si c’est le cas, ça n’est pas absolument pas admissible. Je vous laisse finir vos propos. Vous n’avez pas à faire des bras d’honneur dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, monsieur le ministre. 

J’ai dit, madame… 

Alors finissez vos propos qu’on comprenne ce que vous dites. […]

Je tiens à dire qu’il y avait autour des gestes qui me sont reprochés des paroles qui tendaient non pas à viser le président Marleix mais à viser le mépris, c’est comme ça que je l’ai conçu, qu’il avait pour le respect de ma présomption d’innocence.

Élodie Jacquier-Laforge, députée MoDem de l’Isère et vice-présidente de l’Assemblée nationale, interroge Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice

Mesure de rétorsion

Du coup, le groupe parlementaire LR a décidé de flinguer Aurore Bergé par mesure de rétorsion. 

Disons que nous étions très peu enclins à soutenir ce texte. C’était la position du groupe. Mais l’attitude qu’a eu le garde des Sceaux a naturellement renforcé notre détermination à ne pas soutenir un texte qui était un texte de communication politique, qui ne faisait pas avancer le droit mais qui avait pour objectif d’être une lance politique contre des adversaires. On n’utilise pas la loi à des fins politiciennes.

Éric Ciotti, Assemblée nationale

Mais les LR n’ont pas été les seuls à faire défaut. Une vingtaine de députés MoDem ont voté contre la proposition de loi d’Aurore Bergé. Quant aux députés d’Horizons, ils avaient piscine pour la plupart. Sur les six présents, cinq ont voté contre le texte. Là encore, il s’agit d’une mesure de rétorsion. Les amis d’Édouard Philippe n’ont toujours pas digéré d’avoir été contraints de retirer, jeudi 2 mars, une proposition de loi instaurant des peines planchers pour les délits commis contre des agents publics. Renaissance et le Modem ont en effet voté contre l’article 1, entraînant le retrait du texte. 

Défections

La coalition présidentielle se disloque. Chacun a bien conscience que dans quatre ans, Emmanuel Macron aura quitté le pouvoir. La campagne présidentielle pour 2027 commence maintenant. Le Modem et Horizons cherchent à se démarquer de la tutelle macroniste. La situation n’est pas meilleure à l’intérieur de Renaissance. Mardi, en réunion de groupe, Aurore Bergé a prévenu ses collègues que ceux d’entre eux qui s’abstiendraient ou voteraient contre le projet de loi sur les retraites seraient exclus. Ce qui, a contrario, revient à reconnaître qu’il y aura des défections. 

Au moins celle de Barbara Pompili, ancienne ministre de la Transition écologique de Jean Castex, et peut-être certains élus du petit courant écologiste qu’elle anime au sein de Renaissance. Bref, rien n’est certain. Comme dans les meilleurs polars, ça va se jouer dans les cinq dernières minutes. Bien sûr, si Élisabeth Borne a des doutes sur sa majorité, elle peut recourir à l’article 49-3, celui qui permet au gouvernement d’engager sa responsabilité pour faire adopter un texte sans vote.

Contourner l’Assemblée nationale

Le 49-3 c’est un outil entre les mains du gouvernement, ce n’est pas un outil qui est entre les mains de l’opposition. Nous, nous avons exprimé, en tout cas le parti, les sénateurs en ce moment, une expression, une volonté, dans la cohérence et la responsabilité, c’est de soutenir une réforme nécessaire après qu’elle ait été amendée avec des points importants que nous avons d’ores et déjà obtenus et sur lesquels le Sénat continue avec beaucoup d’efficacité, et je salue son engagement, à travailler.

Éric Ciotti, Assemblée nationale

En substance, il dit à la Première ministre : ne nous faites pas ce coup-là. Eh oui, en cas de 49-3, la Première ministre peut remanier à son avantage le texte du projet de loi. Et revenir sur les concessions faites à la droite. C’est ballot, hein… Mais politiquement, Élisabeth Borne peut-elle prendre le risque de contourner l’Assemblée nationale sur un texte aussi important ?

Je ne crois pas qu’on puisse adopter une réforme qui n’aurait pas de majorité dans la rue, qui n’aurait pas de majorité syndicale, qui n’aurait pas de majorité parlementaire, de cette manière-là, et qui engage la vie de dizaines de millions de Français pour des générations et des générations. Ce serait une mauvaise manière faite aux Français, une mauvaise manière faite à la démocratie. Il faut bien avoir conscience de cela. Au-delà de la réforme des retraites, il y a quelque chose de plus profond qui se joue. La France souffre, et le mal qui la ronge c’est l’injustice. Confusément ceux qu’on a applaudi à 20 heures, finalement pas si confusément que ça, sentent que ce sont eux qui passent à la caisse du « quoi qu’il en coûte ».

Boris Vallaud, député des Landes et président du groupe parlementaire socialiste-Nupes, Palais Bourbon

RN en embuscade

Le RN, lui, est déjà en embuscade. Écoutez Laurent Jacobelli évoquer l’hypothèse du recours au 49-3. 

Nous envisageons une motion de censure si tel est le cas, que ce soit la nôtre ou celle d’autres que nous voterons. Moi j’appellerais à la responsabilité tous les députés qui sont vent debout contre cette réforme, et notamment ceux qui sont à l’extrême gauche de l’hémicycle. Ils ont refusé une première fois une motion de rejet, ils ont refusé ensuite une motion référendaire. Bref, depuis le début ils se comportent comme s’ils étaient les factotums du gouvernement. Il va falloir maintenant qu’ils décident ce qu’ils font à l’Assemblée, et qu’ils votent, quitte à mélanger leurs voix à celles d’autres groupes d’opposition. […] Nous disons aux Républicains : « N’écoutez pas les consignes d’un état-major qui n’a plus de boussole et qui essaie de sauver sa peau. Écoutez vos convictions, écoutez vos électeurs, votez contre cette réforme. » Et je sais que beaucoup de Républicains ne veulent pas de cette réforme, et qu’ils n’obéiront pas au diktat de leur état-major, qui ont probablement en tête autre chose que l’intérêt général.

Laurent Jacobelli, député RN de Moselle, Palais Bourbon

Un discours qui fait mouche dans l’opinion si l’on en croit les sondages. Absent dans la rue, silencieux dans les débats, le RN incarnerait mieux l’opposition à la réforme que la Nupes. À force de jouer avec les institutions pour imposer une réforme dont les Français ne veulent pas, l’exécutif n’est parvenu qu’à faire grimper ceux qu’il prétend combattre. Ce n’est pas le moindre paradoxe de la séquence, ce n’est pas la moindre faute d’Emmanuel Macron.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.