Retraites : face à Macron, le front du refus

Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, à l’Assemblée nationale, le 7 février 2023. ©Purepolitique

Fini de rigoler. À droite, on commence à se rendre compte que la fronde menée par le député du Lot Aurélien Pradié et ses amis peut faire capoter l’adoption de la réforme des retraites. Plus les jours passent, moins il y a de députés LR convaincus par le projet de loi. Bref, il y a le feu à bord. Et la soute à munitions menace d’exploser. C’est le sort du quinquennat qui pourrait se jouer en ce moment, car réunir une majorité à l’Assemblée contre la réforme n’est plus hors de portée. 

Coup sur coup, le 8 février, Gérard Larcher, le président du Sénat à majorité LR, et Éric Ciotti, le nouveau patron du parti, ont entrepris de rappeler à l’ordre le turbulent Pradié. 

Je dis à Aurélien, à Aurélien Pradié, qu’il appartient à une famille politique qui a défini un certain nombre de valeurs. 

Donc vous lui dites : vote cette loi, elle est bien ?

Je lui dis : tu as contribué dans la négociation à la faire avancer et je pense que s’il se sent vraiment de notre famille politique, il doit, à un moment, prendre la décision de voter la loi.

Gérard Larcher, sénateur LR des Yvelines et président du Sénat, France Inter, 8 février 2023

« Il votera »

Pour l’instant Aurélien Pradié maintient sa volonté de ne pas voter cette réforme. Imaginons qu’il ne la vote pas, que se passe-t-il, qu’il vote contre ?

Mais il votera cette réforme. Il votera… Écoutez….

Il votera la réforme ?

C’est un défi pour moi que tout le monde soit dans l’esprit de cohérence.

Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, Sud Radio, 8 février 2023

Pas effrayé

Mardi 14 février, le bureau politique de LR se réunit. Aurélien Pradié pourrait être démis de poste de vice-président du parti. Mais cette menace ne semble pas l’effrayer.

J’entends les sarcasmes, ici ou là, on dit : « Mais qui est ce type, jusqu’au boutiste, qui ne veut vraiment pas voter la réforme, quel est ce rebelle ? » Je ne suis pas un rebelle, j’ai dit depuis l’origine que je n’irai pas voir un travailleur qui a commencé à 17 ans en lui disant : « Tu vas cotiser une année de plus que celui qui a commencé à 30 ans. »

Si ça change, vous votez ?

Oui, j’ai dit que si cette condition était levée, je voterai le texte. Mais aujourd’hui on en est encore loin.

Aurélien Pradié, député LR du Lot et vice-président des Républicains, RTL, 8 février 2023

Calmer la bronca

Du côté de l’Élysée, on s’agite aussi. Mardi 7 février, tandis que les opposants à la réforme défilaient un peu partout en France, Emmanuel Macron déjeunait avec… Nicolas Sarkozy. Un pied de nez aux manifestants, puisque Nicolas Sarkozy, en 2010, n’avait pas cédé devant la colère de la rue. Malgré les millions de manifestants, l’âge de départ en retraite avait été repoussé à 62 ans.

Emmanuel Macron compte sur son prédécesseur pour calmer la bronca des jeunes députés de droite. Mais Nicolas Sarkozy n’est plus le parrain de la droite française, c’est tout juste un vieux cousin bougonnant en bout de table auquel personne ne prête attention.

Wauquiez à la rescousse

Olivier Marleix, le président du groupe parlementaire, s’est lui aussi démené. Il a appelé à la rescousse Laurent Wauquiez. Le président de la région Auvergne Rhône Alpes est le candidat officieux de la droite pour la présidentielle de 2027. Marleix et Wauquiez se sont retrouvés pour un dîner lundi soir. Que se sont-ils dit exactement ?

Chacun prend ses responsabilités, je crois que Laurent s’est exprimé sur la réforme des retraites. Après je ne suis pas son porte-parole. J’ai suffisamment de travail comme ça, moi.

Est-ce qu’il n’aurait pas intérêt, est-ce que ce n’est pas le seul qui pourrait ressouder les troupes LR ?

Je ne suis pas le porte-parole de qui que ce soit d’ailleurs, j’essaie d’être le mien c’est déjà assez difficile parfois.

Vous en avez parlé avec lui, avec Ciotti ?

On a parlé des sujets d’actualité. On a aussi parlé de la réforme des retraites, oui.

Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR, Palais Bourbon

Fronde

Marleix ne sait plus très bien où il habite, apparemment. Ce qui est certain, c’est qu’avec Laurent Wauquiez, ils ont évoqué la situation en Auvergne-Rhône-Alpes. Sur la quinzaine d’élus LR que compte la région, six pourraient se prononcer contre la réforme, et deux se cherchent. Mais il est bien tard pour réagir. La fronde s’exprime ouvertement. Écoutez par exemple Pierre Cordier, député des Ardennes : 

Nous, ce qu’on demande c’est qu’on prenne davantage en compte le nombre de trimestres effectués et non pas l’âge qui passerait de 62 à 64. Vous avez des gens qui ont une carrière complète, qui ont tous leurs trimestres et qui ne peuvent pas partir parce qu’ils n’ont pas l’âge légal, donc ils cotisent pour rien. Il faut prendre en compte la situation objective des gens qui bossent et notamment ceux qui bossent dans des industries, dans la métallurgie, dans les travaux publics, dans l’agriculture, c’est quand même un travail difficile et vous leur dites simplement : « Bah non on ne permettra à ce qu’il y est des fins de carrière plus douces, vous bosserez jusqu’à 64 ans. » Il n’y a pas d’aménagement, on ne parle pas de pénibilité où des gens qui sont cassés après quarante ans de boulot. Il faut mettre de l’humain dans cette réforme. C’est nous ce qu’on demande, et on est un certain nombre au niveau du groupe les Républicains, on ne peut pas me taxer d’être derrière une chapelle, je suis un élu, j’allais dire gaulliste, indépendant, dans le territoire des Ardennes, je n’obéis aux chapelles de personne, je reste un homme libre.

Vous, s’il n’y a pas ça, vous votez contre ?

Mais bien sûr, je resterai sur ma ligne comme je l’ai toujours dit. Je n’ai pas d’état d’âme à ce niveau. Je crois que quand on fait de la politique il faut aussi avoir une ligne politique, une colonne vertébrale idéologique. Moi je n’ai jamais changé, je resterai sur cette ligne.

Pierre Cordier, député LR des Ardennes, Palais Bourbon

Résurrection de la droite en 2027

En filigrane du débat sur les retraites, il y a la question de la résurrection de la droite en 2027. Les Républicains ont-ils quelque chose à gagner en jouant la roue de secours des macronistes ? Toute la question est là.

Mais qui dit aujourd’hui que c’est grâce aux Républicains si par exemple on a progressé sur les petites retraites, puisqu’il y a effectivement Éric et Olivier Marleix qui ont fait un travail très intéressant en direction du gouvernement pour dire : « Voilà il faut bien penser aux petits retraités. » C’est vrai qu’il y a eu des avancées, mais personne ne nous dit dans nos circonscriptions : « Merci les Républicains, c’est grâce à vous si les petites retraites vont augmenter. » Une question aussi de lisibilité, et qu’en réalité on voit bien que le bénéfice politique sera tiré uniquement par Emmanuel Macron et ses alliés et pas du tout par notre petite formation politique qui a pourtant un rôle charnière dans le cadre de ce débat.

Pierre Cordier, Palais Bourbon

Pas de majorité assurée

À ce stade du débat parlementaire, l’exécutif n’a pas de majorité assurée sur son texte. Mardi, un vote a démontré qu’un front du refus était possible. Un amendement visant à supprimer l’article liminaire du projet de loi a été repoussé avec seulement dix voix d’avance. Et encore manquait-il dans l’hémicycle une grosse dizaine de députés de la Nupes partis rejoindre les différentes manifestations. 

Cette nouvelle donne interroge la stratégie de la Nupes. A-t-elle vraiment intérêt à faire durer les débats ? Ne vaut-il pas mieux aller rapidement à l’article 7 du projet de loi qui fait passer l’âge du départ en retraite à 64 ans ? Et infliger un revers de taille à l’exécutif. Pure Politique a demandé à Boris Vallaud, le président du groupe socialiste, s’il n’était pas temps de passer la vitesse supérieure. 

Nous on veut aller au plus loin, évidemment à l’article 7. Vous savez, ce n’est pas nous qui choisissons une procédure qui fait tomber un couperet au bout de vingt jours à partir du moment du dépôt. On n’a même pas vingt jours de discussions. On avait même proposé de déplacer la niche parlementaire des socialistes pour avoir un jour de débat en plus. Qui nous l’a refusé ? La majorité. La démocratie expéditive elle est du côté du gouvernement et de la majorité.

Boris Vallaud, député des Landes et président du groupe parlementaire PS-Nupes, Palais Bourbon

Vallaud botte en touche

Les socialistes ont-ils demandé à LFI de retirer des amendements ? Boris Vallaud botte en touche : 

Écoutez, chacun travaille, nous on en a déposé, je crois un peu plus d’un millier, 1 400, pour faire entrer un certain nombre de sujets et notamment de vies d’hommes et de femmes dans l’hémicycle et dans le débat. On verra comment les choses s’organisent.

Boris Vallaud, Palais Bourbon

Enfin, les socialistes sont-ils prêts à voter l’amendement de suppression de l’article 7 déposé par Aurélien Pradié et ses amis ? Réponse :

Vous savez, les amendements de suppression nous en avons aussi déposé. Et quand on vote un amendement de suppression, ce sont les amendements identiques à l’article et donc on votera les nôtres, et par défaut, par équivalence, ceux de LR.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Palais Bourbon

La rue plutôt que l’Assemblée

Du côté des communistes, on compte davantage sur les mobilisations dans la rue que sur les fractures à l’Assemblée pour faire plier le gouvernement. Pas question de rendre service à Élisabeth Borne en hâtant la discussion sur la mesure d’âge.

Il est possible aussi de tuer le match en examinant rapidement l’article 7 pour tuer le mouvement social dans l’œuf, et pour l’instant on vient à peine de démarrer l’examen du texte. Vous ne voudriez pas avoir fini avant d’avoir commencé ? Le texte a été élaboré par un président tout seul, contre tous. Il a fait l’objet d’un examen trois jours en commission, on a démarré hier on ne voudrait pas avoir fini avant d’avoir commencé. On vient de commencer, on verra la semaine prochaine.

Sébastien Jumel, député GDR-Nupes de Seine-Maritime, Palais Bourbon

13 000 amendements LFI

Avec 13 000 amendements sur les 20 000 déposés par la Nupes, La France insoumise est en mesure d’appuyer tantôt sur le frein, tantôt sur l’accélérateur. Clémentine Autain ne s’en cache pas.

Chaque jour la mobilisation grandit, je vois que les doutes s’installent y compris au sein de Renaissance, c’est-à-dire les macronistes. LR est très partagé, mais enfin d’après ce que je comprends il y a un tiers qui est pour voter contre cette loi, un tiers qui est pour s’abstenir. Donc il ne reste plus qu’un petit tiers pour la voter. Donc effectivement je comprends que Élisabeth Borne, Emmanuel Macron, soient inquiets de trouver une majorité dans cet hémicycle. Donc on va regarder tout ça au fur et à mesure et on va essayer de rester groupés avec la Nupes, et d’avoir la stratégie la plus efficace en écho avec la mobilisation sociale. Je comprends votre impatience, de savoir si on y arrive, ou pas, à cet article 7. Faites nous confiance, on va essayer d’être les plus habiles possibles.

Clémentine Autain, députée LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis

Après la manifestation de ce samedi, il ne restera plus que cinq jours de débat. Il faudra choisir. Tenter de mettre en minorité le gouvernement sur un article emblématique de la réforme ou bien bordéliser à l’extrême les séances.

Psychodrame collectif

De ce côté, on est déjà bien gâté. Le moindre incident vire au psychodrame collectif. Mardi 7 février, Marine Le Pen a révélé que trois députées femmes de son groupe avaient reçu un appel d’urgence au moment où le Rassemblement national présentait sa motion référendaire. Or le règlement de l’Assemblée est formel. Pour que la motion soit discutée, les signataires doivent être physiquement présents à l’ouverture du débat. 

Nous saisissons ce matin le procureur. Les trois députées qui ont été destinataires de cette manœuvre, mais également le groupe, puisqu’il s’agissait là, de manière très claire, d’entraver en réalité l’exercice du mandat, du groupe Rassemblement national. Puisque l’objectif de ces appels malveillants était de pousser une ou deux députées signataires, ou trois, d’ailleurs, députées signataires à ne pas être présents au moment de l’appel de la motion, ce qui aurait entraîné la chute de la motion et l’incapacité pour nous de la défendre. Donc l’opération était relativement bien montée. 

Mais par qui alors ? 

Pardon… Je n’en sais pas plus que vous, et j’espère que les enquêteurs réussiront à remonter ces appels, ce qui, si ces appels n’ont pas été effectués avec un portable prépayé, devrait être parfaitement possible.

Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, Palais Bourbon, 7 février 2023

Happening des Rosies d’Attac

Un peu plus tôt, les Rosies du mouvement Attac s’étaient livrées à un happening, place du Palais Bourbon. Un moment filmé par la députée LFI de Paris, Danielle Simonnet. 

Je suis passée dans la rue, je les ai vues et donc j’ai pu admirer leur chanson. Elles ont chanté et dansé, et fait des tags à la craie pour protester contre le hold-up de deux ans de la vie de toute la population.

Danielle Simonnet, députée LFI de Paris, Palais Bourbon

La députée évoque des inscriptions à la craie. On dirait davantage de la peinture, mais Attac certifie qu’il s’agit d’une peinture à base de craie, lavable à l’eau et biodégradable. Les manifestantes interpellées ne devraient donc pas encourir les foudres de la justice. Au pire, une contravention. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

Dramatiser l’affaire

Quoi qu’il en soit, Renaissance n’a pas manqué de sauter sur l’occasion pour dramatiser l’affaire. Peu après Marine Le Pen, c’est la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, qui est venue s’adresser aux journalistes, salle des quatre colonnes. 

Vous avez pu constater que, ce matin, il y avait eu des tags sur la porte de l’Assemblée nationale ainsi que sur la statue de la place du Palais Bourbon, que des individus présumés auteurs ont été arrêtés par les forces de l’ordre que je voudrais bien sûr remercier pour leur action immédiate. Hier, c’est la présidente de la commission des affaires sociales qui recevait une lettre particulièrement odieuse de menaces et d’insultes racistes et de menaces contre elle et contre sa famille. Ce sont des appels téléphoniques malveillants qui ont été adressés à certains membres de cette Assemblée, leur indiquant que des membres de leur famille étaient hospitalisés. Ce sont des permanences parlementaires qui sont soit taggées, soit vandalisées. Je crois que cela suffit, les débats doivent se tenir sereinement dans notre hémicycle.

Yaël Braun-Pivet, députée Renaissance des Yvelines et présidente de l’Assemblée nationale, Palais Bourbon

Trois affaires distinctes qui n’ont rien à voir. Mais il n’en fallait pas plus à la présidente de l’Assemblée nationale pour concocter un ragoût contre la gauche. Au nom, bien sûr, de la défense de la fonction parlementaire.

La Nupes a incontestablement un coup à jouer dans les prochains jours. Une partie de la droite ne veut plus servir de béquille aux macronistes. La gauche sera-t-elle assez habile pour en profiter et mettre en minorité le camp présidentiel. Ce serait un formidable levier pour la mobilisation sociale.

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