L’exécutif écarte l’idée d’un impôt climatique

Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, lors des questions au gouvernement au Sénat, le 24 mai 2023. ©Sénat

Les plus riches peuvent dormir tranquille. La France ne créera pas d’impôt sur la fortune pour financer la transition écologique. Vendredi 26 mai, lors d’un déplacement en Côte-d’Or, la Première ministre a définitivement fermé la porte à cette éventualité. Pourtant l’idée d’un impôt climatique acquitté par les plus riches ne vient pas d’un mélenchoniste fou ou d’un écologiste halluciné, mais d’un économiste proche du pouvoir : Jean Pisani-Ferry. 

Pilier du programme d’Emmanuel Macron en 2017, ce prof de Sciences Po a été missionné par la Première ministre en septembre 2022 pour chiffrer le coût de la transition écologique. La réponse figure dans un rapport de 140 pages remis lundi 22 mai.

« Patrimoine financier des plus aisés »

Pour atteindre la neutralité carbone, la France devra investir 66 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici à 2030. Où les trouver ? Jean Pisani-Ferry envisage plusieurs pistes dont celle-ci : 

Un prélèvement dédié, explicitement temporaire et calibré […], pourrait par exemple être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.

Rapport « Les incidences économiques de l’action pour le climat », Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, page 120, mai 2023

L’empreinte carbone la plus élevée

Pourquoi taxer les ménages les plus aisés ? Parce que ce sont ceux qui ont l’empreinte carbone la plus élevée, et c’est partager l’effort équitablement. 

La transition écologique est spontanément très inégalitaire parce qu’elle va dire à des gens qui n’ont pas les moyens de changer leur comportement : « Vous devez changer votre comportement. » Et si on leur suggère que, au fond, eux ils vont devoir faire des efforts et puis du côté des plus aisés on paiera un peu plus cher le voyage le week-end à Rome… C’est complètement insupportable.

Jean Pisani-Ferry, économiste, « C ce soir », France 5, 23 mai 2023

150 milliards d’euros

Combien rapporterait cette taxation temporaire ? La réponse est page 120 du rapport :

Un prélèvement forfaitaire exceptionnel de 5 %, dans une fenêtre de trente ans, rapporterait donc 150 milliards, soit un peu plus de cinq points de PIB au total.

Rapport « Les incidences économiques de l’action pour le climat », Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, page 120, mai 2023

« Tout à fait crédible »

Jean Pisani-Ferry propose donc la création d’un ISF vert. Une éventualité qui n’effraie pas la secrétaire d’État à l’écologie, Bérangère Couillard. Lundi 22 mai, alors que le gouvernement n’a pas encore arbitré sur cette proposition, elle réagit :

Je vous dis, c’est une solution tout à fait crédible, elle est à regarder. La seule chose c’est que les subventions à tout ce qui est néfaste à la biodiversité aujourd’hui rapporte beaucoup plus que les 5 milliards d’euros.

Bérangère Couillard, secrétaire d’État chargée de l’Écologie, France info, 22 mai 2023

Rappel à l’ordre

Mais cette dangereuse bolchevique est rappelée à l’ordre dès le lendemain matin. 

Est-ce que l’impôt est une solution ? Non. Pour une raison qui est simple, c’est que les 10 % dont parle Jean Pisani-Ferry, mais il le mentionne uniquement comme une option, pas comme une nécessité, ces 10 % de contribuables paient déjà 75 % de l’impôt sur le revenu.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, RTL, 23 mai 2023

Quasiment à la même heure, Olivier Véran entonne un refrain identique :

Si une taxe suffisait à transformer notre pays et à verdir la planète ce serait à la rigueur formidable. Je ne crois pas que ce soit vraiment l’enjeu. L’enjeu c’est de nous embarquer tous, entre guillemets, dans les changements de comportement, dans les changements de modes de consommation et de modes de production.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, France inter, 23 mai 2023

« Champions du monde » des prélèvements obligatoires

Et le 24 mai, au Sénat, Christophe Béchu reprend les mêmes éléments de langage.

Nous sommes dans les champions du monde en termes de prélèvements obligatoires. L’écologie ne doit pas être le prétexte pour augmenter les impôts. Il faut réorienter des dépenses et réorienter de la fiscalité mais en aucun cas ne se servir de ce prétexte pour aller à ajouter à une forme d’écologie qui écartera une partie de nos concitoyens alors qu’on a besoin de tout le monde.

Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, questions aux gouvernement au Sénat, 24 mai 2023

Hypothèse enterrée

Que va dire la Première ministre ? Sur le principe, elle n’est pas hostile à la proposition de Jean Pisani-Ferry. Mais Emmanuel Macron ne veut pas en entendre parler. Alors, vendredi 26 mai, en bon petit soldat, elle enterre définitivement l’hypothèse d’une fiscalité dédiée. Aux journalistes de France Culture qui l’interrogent, elle déclare : 

Il ne s’agit pas de faire des nouveaux impôts. On doit réorienter nos ressources, nos financements, en faveur de la transition écologique. C’est pour cela que j’ai demandé à chaque ministre de regarder dans son budget, pour dégager 5 % qui peuvent être redéployés précisément au bénéfice de la transition écologique.

Élisabeth Borne, France Culture, 26 mai 2023

Si les ministres regardent leur budget, on est rassurés. Plutôt que de sauver la planète, l’exécutif a donc choisi de sauver les riches. Il faudra s’en souvenir la prochaine fois qu’Emmanuel Macron viendra nous parler d’écologie.

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