Emmanuel Macron veut s’offrir un dernier tour de piste en débattant avec Marine Le Pen

Emmanuel Macron, président de la République française, à Berlin le 26/05/2024 ©Élysée

C’est l’inconvénient avec les artistes vieillissants. Ils ont la fâcheuse habitude de commencer leur tournée d’adieu plusieurs années à l’avance. Emmanuel Macron n’échappe pas à la règle. Avant d’entamer le long tunnel de trois ans qui le mènera vers la sortie, il veut s’offrir un dernier tour de piste avec sa complice de toujours, Marine Le Pen. Comme en 2017. Comme en 2022. Il l’a rappelé dimanche, depuis Berlin où il s’est rendu en visite d’État.

Ce que je rappelais simplement à certains de vos confrères, c’est que ça n’est pas moi qui ai choisi un adversaire qui est l’extrême droite. Ce sont les Français qui me l’ont donné à deux reprises au deuxième tour de l’élection présidentielle.

Contrairement à beaucoup, je ne m’habitue pas à l’idée que le Rassemblement national serait un parti comme les autres. Et donc quand il est placé en tête des sondages, je considère que ce parti, qui, par ses idées, menace l’Europe précisément parce qu’il est anti-européen par construction et nationalisme. C’est la responsabilité du président de la République de lever ces ambiguïtés. C’est dans ce cadre que j’ai proposé ce débat, exceptionnel mais assumé.

Emmanuel Macron le 26/05/2024

Il faut sauver la soldate Valérie Hayer

Mais l’ingrate Marine rechigne à donner la réplique à Emmanuel. Ce qu’elle veut, ce n’est pas un débat, mais juste un fauteuil à l’Élysée. Et puis surtout, la future candidate a bien compris que le but de l’opération est de sauver la soldate Valérie Hayer en dramatisant le scrutin européen. Elle n’a donc rien à gagner à jouer les croquemitaines dans cette comédie de dupes. L’idée de cette confrontation remonte au 30 avril. Elle a été soufflée au président par un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Franck Louvrier. “J’y pense” répond le chef de l’État lorsqu’il reçoit la suggestion. La conversation fuite vers les rédactions. Au point que Marine Le Pen se déclare prête à affronter Emmanuel Macron. Avant de se raviser et de proposer que le débat se tienne en septembre. Donc après les européennes.

Le soufflé retombe. On en était resté là. Mais samedi, le chef de l’État confie à nos confrères du Parisien qu’il est finalement d’accord pour débattre avec Marine Le Pen avant le 9 juin. Cette dernière lui répond sur Twitter : “Si le président de la République qui est le chef de l’État et non le chef de la majorité descend dans l’arène électorale alors il doit s’engager à en tirer les conséquences. Je débattrai donc contre Emmanuel Macron s’il met sur la table sa démission ou la dissolution de l’Assemblée nationale en cas d’échec de la liste Renaissance.” Autant exiger de croiser le Père Noël au mois de juillet à Biarritz en train de faire du surf. Depuis Tourcoing où il est venu saluer Darmanin, Emmanuel Macron fanfaronne.

Bien sûr si on change la Constitution et tout le toutim. C’est une élection européenne. Il faut aller sur les enjeux européennes, il faut en parler, il ne faut pas rester caché, c’est tout. Ce n’est pas non plus une élection qui doit changer la Constitution. Je sais que c’est toujours difficile, parfois, pour madame Le Pen. Elle veut changer la Constitution chaque jour.

Emmanuel Macron le 26/05/2024

Emmanuel Macron instrumentalise le Rassemblement national

Mais le tête-à-tête est rapidement perturbé. François-Xavier Bellamy, la tête de liste des Républicains proteste. Avec pertinence, il avait déjà dénoncé jeudi dernier la confiscation du débat des européennes par le duo Bardella – Attal. Fort des 5 millions de vues totalisées par son éclat, il revient à la charge.

Maintenant il est temps d’ouvrir les yeux : Emmanuel Macron se sert du Rassemblement national. Et le Rassemblement national est en fait son meilleur atout parce que c’est en construisant ce faux débat, qui n’en est pas un, qu’Emmanuel Macron prive les Français de ce scrutin européen.

François-Xavier Bellamy, député européen et tête de liste LR pour les élections européennes le 25/05/2024

Dimanche matin, le président délégué du groupe RN à l’Assemblée nationale, Jean-Philippe Tanguy, conclut à l’impossibilité du débat.

Il est le gardien de la Constitution et de la 5e République. Depuis le général de Gaulle, si le président veut sortir de son rôle d’arbitre au-dessus des partis, alors il doit mettre dans la balance sa démission.

Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 26/05/2024

À la même heure, François Bayrou tente de défendre l’initiative présidentielle. Quitte à prendre quelques libertés avec la chronologie comme le lui rappelle une des journalistes qui l’interroge.

Le président de la République a dit : “Un débat, j’y suis prêt”. Ce n’est pas la première fois. François Mitterrand a affronté Philippe Séguin dans des circonstances… C’était le référendum, ce n’était pas la campagne européenne, ce n’était pas exactement la même chose. Je pense que cette campagne européenne est aussi importante qu’un référendum.

François Bayrou, maire de Pau et président du MoDem, le 26/05/2024

Le bloc présidentiel est divisé

Mais au sein du bloc présidentiel, l’initiative du chef de l’État déconcerte. C’est un euphémisme.

Que le chef de l’État, j’ai compris que le président de la République avait choisi de lancer… je ne sais pas si c’est “lancer cette invitation”, en tout cas évoquer cette possibilité, explique que dans un cadre par ailleurs électoral il se propose de débattre avec… d’ailleurs une personnalité qui n’est pas un chef de parti, qui est une personnalité politique qui se prépare sans doute à l’élection présidentielle, mais enfin c’est plus surprenant, et c’est un peu plus surprenant, je ne sais pas si c’est nécessaire, c’est un peu plus surprenant.

Édouard Philippe, maire du Havre et ancien Premier ministre, le 26/05/2024

À gauche, on dénonce la confiscation du débat

Raphaël Glucksmann, la tête de liste des socialistes, crie à la confiscation du débat.

Il cherche à kidnapper cette élection, à faire de cette élection européenne, je le rappelle, une élection européenne qui doit décider de l’avenir de l’Europe, un duel entre lui et l’extrême droite. Ce sempiternel duel qui existe depuis 7 ans et qui est rejoué à chaque élection. En faisant cela, Emmanuel Macron, en jouant avec les institutions, en jouant avec l’équité démocratique, il finit par faire monter le Rassemblement national.

Raphaël Glucksmann, député européen et tête de liste PS pour les élections européennes, le 26/05/2024

Manon Aubry est sur la même longueur d’onde que l’animateur de Place publique. Ce qui, par les temps qui courent, est plutôt rare.

Il cherche à kidnapper cette élection, à faire de cette élection européenne, je le rappelle, une élection européenne qui doit décider de l’avenir de l’Europe, un duel entre lui et l’extrême droite. Ce sempiternel duel qui existe depuis 7 ans et qui est rejoué à chaque élection. En faisant cela, Emmanuel Macron, en jouant avec les institutions, en jouant avec l’équité démocratique, il finit par faire monter le Rassemblement national.

Raphaël Glucksmann, député européen et tête de liste PS pour les élections européennes, le 26/05/2024

Ils veulent confisquer cette élection. La dernière fois qu’il y a eu des élections dans notre pays, c’est l’élection présidentielle et il y a eu une conclusion très claire : il y a trois blocs dans notre pays. Il y a le bloc d’extrême droite, il y a le bloc extrême libéral, au passage sur les questions économiques et sociales ils votent la même chose, et il y a un bloc de gauche.

Manon Aubry, députée européenne et tête de liste LFI pour les élections européennes, le 26/05/2024

De l’esbroufe

Il y a fort à parier que ce débat n’aura jamais lieu. Marine Le Pen a tout intérêt à laisser Valérie Hayer se noyer en contemplant la tragédie depuis la rive. Certes, la galaxie macroniste l’accusera de lâcheté. Mais y a-t-il un seul électeur que cela fera changer d’avis ? Cette affaire de débat n’est pas la seule diversion tentée par le président ce week-end. Décidément en veine de confidences, Emmanuel Macron a évoqué auprès du Parisien un éventuel recours à un référendum national sur la Nouvelle-Calédonie.

En effet, si le Sénat et l’Assemblée ont voté séparément le projet de loi constitutionnel, il n’est pas certain que le Parlement, réuni en congrès à Versailles, approuve cette révision du texte fondateur de la Ve République. Pour obtenir la majorité, il faut recueillir trois cinquièmes des suffrages exprimés. Or ces derniers jours, de nombreuses voix ont réclamé le report du vote, voire le retrait du texte. Gérard Larcher, le président du Sénat, Yaël Braun-Pivet la présidente de l’Assemblée nationale ou encore Édouard Philippe, l’ancien Premier ministre, ne font pas mystère de leurs craintes ou de leurs réticences. Le Rassemblement national penche pour l’abstention et l’opposition de gauche devrait voter contre le texte.

Bref, la réunion du Congrès, qui devait être une simple formalité, risque de se transformer en impasse. Le référendum permettrait donc de contourner l’obstacle. Mais le risque est grand qu’une question sur la Nouvelle-Calédonie se transforme en vote anti-Macron. Quelle que soit la forme de la question.

Et puis surtout, comment refuser par la suite d’autres modifications de la Constitution par voie référendaire ? Le programme du Rassemblement national prévoit ainsi d’élargir le champ du référendum pour permettre aux Français de se prononcer sur l’immigration. Initiative à laquelle sont favorables les Républicains. Bref, organiser un référendum national revient à ouvrir la boîte de Pandore. Du coup, dimanche, le président de la République a fait machine arrière.

Quant aux questions de référendum, j’ai juste rappelé ce qu’était la Constitution. C’est qu’une fois qu’un texte constitutionnel, une réforme constitutionnelle est votée dans les mêmes termes par les deux chambres, à ce moment-là le président a le choix de la soumettre ou au congrès ou au référendum. C’est une lecture de la Constitution, pas l’expression d’une intention.

Emmanuel Macron le 26/05/2024

On avait mal compris. C’était juste pour rendre service. Un petit point de droit en passant. Pas davantage. Il reste deux semaines au chef de l’État et à son Premier ministre pour éviter le naufrage complet. Car en s’impliquant dans la campagne, ils sont désormais comptables des résultats. Il aurait été moins coûteux de laisser Valérie Hayer jouer son rôle de fusible. C’est maintenant l’exécutif qu’il faut sauver. Ou pas.

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