Darmanin défend sa loi immigration auprès de l’opposition

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, commission des lois de l’Assemblée nationale, le 21 novembre 2023. ©Assemblée nationale

Dans le monde des boxeurs, on appelle ça la pesée. Quelques heures avant le combat, les organisateurs vérifient que les deux pugilistes ne dépassent pas le poids autorisé par leur catégorie. La presse est présente. Souvent, les combattants s’invectivent, histoire de faire le show pour les caméras et gonfler ainsi les recettes de la rencontre. Parfois, ils font mine de vouloir commencer le combat immédiatement. Mais cela n’arrive jamais.

Mardi 21 novembre, à l’Assemblée nationale, en commission des lois, c’est au même type de spectacle que se sont livrés les députés. D’un côté Gérald Darmanin, le costaud de Beauvau, venu défendre ce qu’il reste de son projet de loi sur l’immigration. De l’autre, l’ensemble des groupes qui, pour des raisons opposées, n’en veulent pas.

Ce que nous combattons c’est l’immigration irrégulière. Évoquer le nombre de titres de séjour que nous donnons, pardon, n’a pas beaucoup de sens. Ce qui est intéressant c’est : est-ce qu’on est capable de lutter contre l’immigration irrégulière ?

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Volet répressif renforcé

Lundi prochain, le 27 novembre, la commission des lois commencera l’examen des articles du projet de loi sur l’immigration, réforme devenue emblématique du « en même temps » macroniste. Il sera débattu dans l’hémicycle du 11 au 22 décembre. Dans sa version originale, ce texte durcissait les conditions d’accueil et de séjour des étrangers tout en prévoyant la régularisation de tous les sans-papiers qui travaillent dans les filières en tension.

Un coup à droite, un coup à gauche. Darmanin se faisait fort de trouver un consensus sur les bancs de l’Assemblée. Au moins à l’intérieur de l’arc républicain pour reprendre l’expression à géométrie variable d’Élisabeth Borne. Mais le Sénat est passé par là. Du projet de loi, il ne demeure que le volet répressif, renforcé qui plus est. Un tour de vis imprévu qui emprunte beaucoup au programme du Rassemblement national. C’était le prix à payer pour rallier la droite sénatoriale. Résultat, le « en même temps » a disparu. Ce sacrifice déplaît fortement à l’aile gauche du macronisme – il y a des députés qui croient sincèrement qu’ils sont à gauche. À gauche de qui ? C’est une autre histoire.

Détricoter les modifications

Mais s’il ne s’agit que de Gérald Darmanin, alors là, aucun risque de se tromper. Sacha Houlié, le président de la commission des lois, est incontestablement plus à gauche que le ministre de l’Intérieur. Jugez plutôt :

C’est une loi qui nous arrive du Sénat. Une loi qui venant du Sénat est joufflue, certainement excessive, et j’attire l’attention de la commission des lois sur le fait que certaines de ces boursouflures ne résisteront pas à un œil juridique avisé ou du Conseil constitutionnel ou, par ailleurs, de l’examen qui sera celui de la commission des lois. J’invite aussi chacun à constater que certains ajouts sont politiques regrettables, ce sera certainement commenter ici, sur la politique de santé publique, sur les mineurs non accompagnés, sur le code de la nationalité, et que de toute évidence les arguments juridiques ne se suffisent pas à eux-mêmes. J’invite la commission des lois à retrouver l’ambition et la lucidité du gouvernement initial en matière d’immigration.

Sacha Houlié, député Renaissance de la Vienne et président de la commission des lois, commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Le député de la Vienne ne fait pas mystère de ses intentions : il veut détricoter les modifications apportées par le Sénat au projet de loi gouvernemental. Pas question d’accepter la suppression de l’Aide médicale d’État (AME), la remise en cause du droit du sol ou le retrait de l’article concernant les régularisations dans les métiers en tension. Une question d’équilibre politique. Ça, c’est la version courtoise de la contestation au sein du bloc présidentiel. Mais d’autres députés prennent moins de gants.

« Marqueurs d’extrême droite »

Je reste pour ma part interpellée, si ce n’est interloquée, par la teneur du texte voté par le Sénat et les marqueurs d’extrême droite qui sont nombreux. En tant que membre de la commission des Finances et non pas membre de la commission des lois, je compte sur la sagesse de votre commission pour corriger tout ce qui mérite de l’être.

Stella Dupont, députée apparentée Renaissance du Maine-et-Loire, commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Stella Dupont soutient le gouvernement dont fait partie Gérald Darmanin, des fois qu’on l’aurait confondue avec une mélenchoniste égarée. Et si le message n’était pas suffisamment clair pour le ministre de l’Intérieur, un autre député s’est chargé de mettre les sous-titres.

Si nous saluons le fait qu’un compromis ait pu être trouvé au Sénat afin que le texte y soit adopté, en gardant d’ailleurs la majorité des mesures du projet initial, la quasi totalité d’ailleurs, je ne vous cache pas le fait que sur un certain nombre de points qui ont été ajoutés nos désaccords sont réels. À aucun moment nous ne pourrons accepter les dispositions qui ont été introduites sur l’AME, sur le droit de la nationalité, sur les MNA [mineurs non accompagnés, ndlr], sur la restriction de l’accès aux prestations sociales par exemple.

Guillaume Gouffier Valente, député Renaissance du Val-de-Marne, commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Laxiste

En revanche, pour le Rassemblement national, le texte revu et corrigé par le Sénat reste laxiste.

Si je ne nie nullement les quelques améliorations que ce texte contient, je sais aussi combien la gauche et une partie de la majorité vont tenter de le modifier ici à l’Assemblée pour accentuer le laxisme migratoire. Je sais aussi combien, même à sa sortie du Sénat, le texte ne répond pas à toutes les attentes des Français ni à l’urgence de la situation. Dans les médias, vous affichez une lutte contre l’immigration irrégulière, et en même temps vous souhaitez la régularisation des travailleurs clandestins. C’est vérité affichée et en même temps laxisme migratoire

Yoann Gillet, député RN du Gard, commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Yoann Gillet s’avance beaucoup.

Revenir à la version initiale

Hors du bloc présidentiel, il n’y a que le groupe Liot qui veuille revenir à la version initiale du projet de loi. Il en fait même la condition de son vote.

Il faut un texte qui soit un texte équilibré. Il faut qu’on soit en capacité de dire : « Accueillons moins mais intégrons mieux. » Aujourd’hui le texte qui est présenté ne correspond pas exactement à notre vision de ce qu’il doit être, donc ce sera l’occasion de débats âpres, aussi bien aux commissions que dans l’hémicycle. Mais à ce jour, les voix de notre groupe ne sont clairement pas acquises.

Christophe Naegelen, député Liot des Vosges, Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Bataille morale

À gauche, quelle que soit la version du texte retenue, on est contre le projet de loi.

Les débats au Sénat, les mots choisis pour parler des personnes exilées, marquent ou peut-être d’ailleurs confirment un basculement. De très nombreuses propositions tournent le dos tout bonnement à toute volonté d’intégration dans notre pays de personnes étrangères. Elles se rapprochent finalement du principe de préférence nationale. La régularisation des travailleurs sans-papiers, dans le texte aujourd’hui mais visiblement aussi a été réduit en première version de texte, a une approche utilitariste limitée aux seuls métiers en tension. Nous combattrons évidemment cette idée en défendant une régularisation de toutes et tous.

Elsa Faucillon, députée GDR des Hauts-de-Seine, commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Derrière cet affrontement, il y aurait même une bataille morale.

Nous sommes opposés à un texte, le 30e en quarante ans, qui durcit les conditions d’accueil et d’arrivée dans notre pays. Le résultat de tous ces textes depuis quarante ans, c’est plus d’argent dans la poche des passeurs, plus de morts en Méditerranée. Donc évidemment nous sommes opposés à ce texte. Je crois que c’est l’une des plus grandes batailles morales et politiques du siècle qui est le nôtre, puisqu’elle touche à notre conception de notre propre histoire, moi je pense que la France est une terre d’accueil, une terre de fraternité. Elle touche à la conception que nous avons des valeurs de la République, à notre identité républicaine, à notre vision de la nation et de sa capacité à s’agrandir, à s’élargir, à être généreuse, rayonnante à travers le monde.

Benjamin Lucas, député écologiste des Yvelines, Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Alignement de la droite sur l’extrême droite

Benjamin Lucas a raison d’insister sur la dimension culturelle du débat. Au-delà de la politique d’immigration de la France, ce qui se joue, c’est l’alignement de la droite sur l’extrême droite. Le positionnement des Républicains, aujourd’hui, est relativement simple. Pour survivre, ils disent aux électeurs : inutile de voter Marine Le Pen : on a le même programme, mais nous, en plus, on a la culture de gouvernement qui lui fait défaut. C’est cette posture clientéliste qui explique l’intransigeance de LR. Il faut absolument se démarquer du gouvernement et être mieux-disant que le RN.

Moi je pense qu’il n’y aura pas de majorité sur ce texte. Quand j’entends la majorité annoncer qu’elle va revenir sur ce qu’a fait le Sénat, qu’elle va détricoter ce texte, qu’elle va notamment revenir à un système de régularisation de plein droit, qui veut dire qui entraînera, moi je crois, des centaines de milliers de régularisations dans notre pays avec ce que ça entraîne derrière de droits au regroupement familial, et d’appel d’air plus général, évidemment on ne peut pas voter un texte, on ne pourra pas voter un texte dans ces conditions. S’il n’y a pas de majorité, ce sera au gouvernement de prendre sa responsabilité, soit il l’engage en venant avec le 49-3, soit il retire ce texte, à lui de décider. En tout cas s’il essaie de passer en force sur ce texte, nous l’avons dit, on déposera une motion de censure.

Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR, Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Une motion de censure si le gouvernement tente de passer en force. Encore faut-il que le Conseil constitutionnel ne vienne pas dire que le gouvernement n’a plus le droit de recourir à l’article 49-3. En effet, soixante députés ont saisi le Conseil constitutionnel sur ce point. La décision interviendra avant le 16 décembre, c’est-à-dire pendant le débat en séance sur le projet de loi. Suspense garanti.

Inflexion

Admettons que le gouvernement puisse utiliser le 49-3 et que Les Républicains déposent en réaction une motion de censure. Peu de chances que celle-ci trouve une majorité de députés pour la voter. Le Parti socialiste a déclaré qu’il ne fallait pas compter sur lui.

Moi je ne fais tomber un gouvernement sur n’importe quelle base. Je veux bien faire tomber le gouvernement mais sur des bases qui nous ressemblent, pas laisser penser qu’on pourrait être aujourd’hui à réclamer de nouvelles élections législatives pour aller plus loin dans l’horreur. Ça c’est non. Si en revanche la droite se mettait à voter une motion de censure que nous déposerions, et sur des bases qui seraient au contraire de dire qu’il faut par exemple intégrer par le travail et que toutes celles et ceux qui aujourd’hui participent à la richesse de notre pays en travaillant de manière, malheureusement, illégale mais qui soient régularisés, par exemple ça, ça me va. Et dans ces cas-là, s’ils veulent voter notre propre motion de censure, ils sont les bienvenus. Mais moi je ne voterai jamais un texte qui dit qu’il faut davantage d’exclusion, davantage de ségrégation des populations d’origine étrangère.

Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et secrétaire national du Parti socialiste, Assemblée nationale, 21 novembre 2023

On notera l’inflexion. Olivier Faure envisage maintenant de déposer sa propre motion de censure. Encore un effort et il proposera que le groupe Liot dépose une motion de censure convenant à tout le monde. Comme lors de la réforme des retraites.

Tirade de Darmanin

Fragilisé, Gérald Darmanin n’a pas dit son dernier mot. Écoutez cette tirade à l’adresse de ceux qui, à droite et à l’extrême droite, ne voteraient pas sa loi.

Est-ce que vous êtes pour ou contre le fait d’imposer, comme dans tous les pays européens sauf deux, un examen de français pour un titre de séjour long ? Est-ce que vous êtes pour ou contre que nous augmentions le temps d’assignation à résidence pour les personnes qui sont dangereuses ? Est-ce qu’on est pour ou contre de criminaliser les passeurs ? Parce qu’aujourd’hui c’est un délit, partout ailleurs c’est un crime, sauf chez nous. Est-ce qu’on est pour ou contre du retrait du titre de séjour pour adhésion à une idéologie radicale ? J’entends dire que vous êtes pour qu’on retire les titres de séjour ou qu’on expulse les salafistes ou les frères musulmans, par exemple, du territoire national, il n’y a pas de disposition qui existe. Là nous vous le proposerons très clairement, des gens qui sont dans la radicalisation on puisse les expulser du territoire national. Est-ce que vous êtes pour ou contre qu’on supprime les dispositions qui aujourd’hui empêchent le ministre de l’Intérieur d’expulser les étrangers délinquants parce que, par exemple, ils sont arrivés avant l’âge de 13 ans sur le territoire national ?

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Vous m’accusez de laxisme, dit en substance le ministre de l’Intérieur, mais si vous ne votez pas ces mesures, vous ferez la démonstration que les laxistes, c’est vous. On est bien loin de l’équilibre revendiqué lors de la présentation du projet de loi dans sa version initiale. Désormais, il s’agit de faire la course avec les Républicains qui, eux-mêmes font la course avec le Rassemblement national. Devinez qui gagne à la fin ? Une dame qui aime les chats ? Gagné !

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