Crépol, Romans-sur-Isère : l’escalade politique et médiatique

Louis Boyard, député LFI du Val-de-Marne, à l’Assemblée nationale, le 21 novembre 2023. ©Assemblée nationale

Comment interpréter les événements qui se sont déroulés, samedi 25 novembre au soir, dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère ? Des événements qui ont vu une centaine de militants identitaires et néonazis débouler « pour en découdre avec les jeunes du quartier », selon les mots du préfet. Certains des neuf individus mis en examen après le meurtre du jeune Thomas, dans la nuit du 18 au 19 novembre à Crépol, habitent la Monnaie. Mais pas le principal suspect.

Faut-il y lire les prémices d’affrontements plus graves ? Le spectre de cette guerre civile qu’on agite sur certains plateaux de télévision ? Ou bien s’agit-il de la conséquence du climat que l’extrême droite installe dans le pays, incitant ainsi sa frange la plus radicale à passer à l’acte ? Pour Marine Tondelier, c’est la deuxième explication qui est la bonne. 

Et moi quand j’entends, là, des gens manifester, et ce n’est pas la première fois ça fait des mois que ça monte, en criant : « La rue, la France nous appartient ». Bah non, en fait. Ni la France, ni la rue, n’appartient à l’extrême droite. Je pense que c’est assez clair. Je me battrai pour que ce ne soit jamais le cas parce que cette manière de faire de la politique est dangereuse.

Marine Tondelier, secrétaire nationale Les Écologistes

« Ratonnade » pour Manuel Bompard

Manuel Bompard, lui, questionne le choix des mots utilisés pour qualifier l’expédition de samedi soir.

C’était une tentative de ratonnade organisée par des groupes d’extrême droite qui se sont donné rendez-vous à Romans-sur-Isère et qui criaient des slogans racistes et islamophobes. Voilà ce qu’il s’est passé hier soir. Ce n’était pas une manifestation pacifique pour obtenir justice pour Thomas.

Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, CNews-Europe 1, 26 novembre 2023

Qui porte la responsabilité de cette vengeance aveugle ? « Le Rassemblement national », répond Sacha Houlié. 

Faire entrer dans son capital politique le meurtre d’un jeune qui est déploré par toute un village dont les parents ont demandé à ce que ça ne soit pas politique. Ça, par contre, ça participe au désordre qu’il y a dans notre société. Il y a une responsabilité aujourd’hui de certains dirigeants politiques, notamment du Rassemblement national, des troubles à l’ordre public qu’on a constatés hier à Romans-sur-Isère.

Sacha Houlié, député Renaissance de la Vienne et président de la commission des lois, France Info, 26 novembre 2023

« L’immigration » pour Marine Le Pen

Lundi 20 novembre, Marine Le Pen s’est exprimée dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles. On était deux jours après le meurtre de Thomas, 16 ans, tué à coups de couteau lors d’un bal à Crépol, petit village de la Drôme. La présidente du groupe parlementaire RN avait mis en cause l’immigration alors même que les premières conclusions de l’enquête n’étaient pas connues. Ce que lui a rappelé jeudi dernier Léa Salamé sur France Inter.

Lundi soir, le procureur de la République de Valence disait : « Il est faux d’affirmer que le groupe hostile serait composé d’individus tous originaires de la même ville et du même quartier, et par ailleurs, celui qui aurait porté le coup fatal est de nationalité française » donc ce n’est pas l’immigration, là ?

Je n’ai pas dit « immigration » j’ai dit « l’immigration ou issu de l’immigration ».

Vous avez dit « l’immigration », « en cause l’immigration ou issu de l’immigration ».

Donc j’avais raison quoi. Voilà, comme d’habitude.

Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, France Inter, 23 novembre 2023

« Razzia » de la « racaille »

Mardi, à l’Assemblée nationale, lors de la séance des questions d’actualité, la députée RN de la Drôme, Lisette Pollet, a coché toutes les cases du lexique de circonstance.

La violence mise en œuvre, la détermination des agresseurs et la présence de couteaux de cuisine interdisent de qualifier cette équipée sauvage de simple rixe, ainsi que le font un certain nombre de médias. Que des racailles viennent faire une razzia en toute impunité est intolérable. Si des jeunes agissent comme cela, c’est qu’il y a un réel problème de société. Enzo, Axel, Anthony, et maintenant Thomas. La liste des enfants de France tués gratuitement est trop longue. Autant de familles endeuillées qui ne comprennent pas que ces atrocités continuent. Les mesures pour combattre cet ensauvagement ne sont pas prises, mais cela ne peut plus durer.

Lisette Pollet, députée RN de la Drôme, Assemblée nationale, 21 novembre 2023
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, à l’Assemblée nationale, le 21 novembre 2023. ©Assemblée nationale

Gérald Darmanin l’a invitée à la prudence. 

Au moment où vous ne connaissez ni l’âge des personnes qui ont été interpellées, ni leur nationalité, ni comment cela s’est passé, évitez madame… évitez madame de rajouter de l’indignité à un drame qui touche toute la nation.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Mobiles pas établis

Selon le point de presse du procureur de Valence, samedi, neuf témoins affirment avoir entendu des propos hostiles aux blancs sur les 104 personnes auditionnées par les gendarmes depuis le crime. Mais le magistrat a aussitôt souligné que « les mobiles et les motivations des agresseurs ne sont pas clairement établis » avant d’ajouter que l’enquête ne permet pas d’affirmer, à ce stade, que les victimes ont pu être visées en raison de leur appartenance à une « prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée ». 

Autrement dit, il est prématuré de conclure à un quelconque affrontement communautaire, qu’il soit ethnique ou confessionnel. Éric Dupond-Moretti a renchéri sur son collègue de l’Intérieur quelques instants plus tard. La fréquentation forcée d’une salle d’audience pendant quinze jours – celle de la Cour de justice de la République devant laquelle il a comparu – a visiblement réveillé sa verve d’avocat. 

La vie enlevée de ce gosse de 16 ans méritait à l’évidence un moment de silence et de recueillement. Il a immédiatement été substitué par un moment de polémique. J’ai noté d’ailleurs que dans la question précédente, on évoquait le mot de razzia. Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que des rendez-vous. Les rendez-vous du malheur que vous honorez, qu’il s’agisse de la petite Lola, qu’il s’agisse du petit Clément.

Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Distances de Jordan Bardella

Ce lundi 27 novembre, Jordan Bardella était sur France 2. Sentant que son parti risquait de retomber dans la diabolisation s’il se montrait complaisant avec les identitaires, le président du Rassemblement national s’est empressé de prendre ses distances.

Je pense qu’on ne répond pas à la violence par la violence. Et on ne répond pas à la violence dans la société, qui est un vrai débat, qui est un vrai sujet que nous abordons ce matin, par des expéditions punitives ou par une justice privée ou par des slogans vengeurs. On y répond par l’autorité légitime de l’État et la force des lois.

Jordan Bardella, député européen et président du Rassemblement national, France 2, 27 novembre 2023

« Dérive médiatique »

Un pas de côté dont Éric Ciotti s’est curieusement montré incapable la veille sur BFM. Le journaliste Benjamin Duhamel tentait d’obtenir une réaction sur l’expédition des identitaires à Romans-sur-Isère.

Moi, ce qui m’inquiète, ce qui me terrorise, c’est ce qu’il s’est passé à Crépol. Je vous le redis, mais vous voulez me faire dire autre chose, je ne vous le dirai pas. Vous êtes dans le commentaire et je vois bien aujourd’hui qu’il y a une dérive médiatique qui voudrait accorder à des faits qui sont en réaction à Crépol une importance plus importante que Crépol.

Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, BFMTV, 27 novembre 2023

Bien évidemment, la séquence n’aurait pas été complète sans un tweet de Jean-Luc Mélenchon. Parfois, ses amis doivent regretter que l’humanité n’en soit pas restée à la tablette d’argile plutôt que de bondir jusqu’à son équivalent électronique.

La France éternelle

Du coup Ciotti a pété un plomb. 

C’est-à-dire, que la France qui se bat, c’est-à-dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.

Général de Gaulle, Paris, 25 août 1944

Jean-Luc Mélenchon a beau jeu d’épingler le patron des LR sur ses pudeurs de gazelle à propos des identitaires. Toutefois, comme de nombreux commentaires l’ont fait remarquer sur X, anciennement Twitter, on cherche encore une réaction de ce dernier sur le crime commis à Crépol. Manuel Bompard justifie ce silence.

Retenue fâcheuse

Quand on veut respecter la douleur de cette famille, la première qu’on fait c’est qu’on écoute aussi ce qu’elle a à dire. Quand elle prend l’initiative d’organiser une marche blanche et qu’elle demande à ce qu’elle soit apolitique, alors le principe des responsables politiques c’est de se taire.

Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise

Mais voilà, cette retenue est fâcheuse. Car, dans le même temps, La France insoumise, par la voix de Louis Boyard, dénonçait l’agression survenue contre Mourad, un jardinier de 29 ans, victime d’un coup de cutter à la gorge porté par un septuagénaire récidiviste.

Il m’a dit : « Cela fait trois jours que j’ai subi un crime raciste et que personne ne parle de moi. Mais si j’avais moi, Mourad, j’avais été l’agresseur, alors BFMTV et CNEWS auraient déjà été en bas de ma maison. » Qu’est ce que cela dit de l’ambiance qui règne actuellement dans notre pays ? Il ne se passe une journée sans que sur les débats télévisés il soit sous-entendu qu’il y aurait trop de musulmans dans notre pays ou qu’ils seraient incompatibles avec la République.

Louis Boyard, député LFI du Val-de-Marne, Assemblée nationale, 21 novembre 2023

Hémiplégie dans la communication de LFI

Entendons-nous bien, Louis Boyard a parfaitement raison de dénoncer cette agression raciste. Simplement, comme l’a remarqué François Ruffin dimanche, cette hémiplégie dans la communication de La France insoumise crée un malaise. 

Moi je veux une France qui fait ensemble. Qui fait ensemble. Voilà ce vers quoi on doit aller. Qui affronte ses grands défis ensemble, qui met tout le pays, qu’ils habitent à Romans-sur-Isère ou à Crépol, qui met tout le pays ensemble. Et moi je regrette que, quelque part, chacun vienne choisir ses victimes. 

C’est un message à qui, quand vous dites ça ? 

C’est un message à tout le monde, d’accord ? C’est un message à tout le monde.

François Ruffin, député LFI-Nupes de la Somme

« Risque d’un basculement de notre société »

Ce 27 novembre au matin, Olivier Véran s’est rendu à Crépol pour assurer les familles du soutien du gouvernement. 

La justice permet de ne pas céder à la tentation de la vengeance par la violence dont se sont rendus coupables à Romans les factions d’ultradroite animées par la haine et par le ressentiment. […] Vous ne voulez plus de ces bandes violentes, nous non plus. […] Ce qui a coûté la vie à Thomas n’est ni un fait divers, ni une simple rixe en marge d’un bal de village. C’est un drame qui nous fait courir le risque d’un basculement de notre société si nous ne sommes pas à la hauteur.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, BFMTV, 27 novembre 2023

Il n’est pas certain que ces propos aient rassuré les Français. Si nous sommes à la merci d’un basculement et qu’il faut compter sur le gouvernement pour l’éviter, il y a de quoi être sérieusement inquiet.

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