Retraites : rassemblements paisibles et enfantillages à l’Assemblée

Manifestation contre le projet de loi sur les retraites, à Paris, le 11 février 2023. ©Purepolitique

La mobilisation de samedi 11 février a été importante. Mais pas suffisamment pour devenir le point de bascule du bras de fer entre le gouvernement et les opposants à la réforme des retraites. De l’aveu même des syndicats, 2,5 millions de personnes se sont mobilisées sur toute la France. Soit 300 000 de moins que le 31 janvier, journée qui avait rassemblé selon l’intersyndicale 2,8 millions de personnes.

À Paris, le cortège s’est écoulé paisiblement de la République à la Nation. Des manifestants de tous âges et de tous horizons, des familles, presque une promenade collective. Les quelques trublions qui, en amont du cortège, ont incendié des poubelles, symbole odieux du grand capital comme chacun sait, ne sont pas parvenus à perturber le défilé, comme les charges inconsidérées de certaines unités de police.

Mise en garde

Ça pourrait se gâter, cependant. Vendredi, depuis Bruxelles, Emmanuel Macron a mis en garde les organisations syndicales contre toute tentative de blocage.

Des manifestations et des mouvements de grève qui continueront de s’organiser dans un cadre qui est prévu par la Constitution. Et je sais pouvoir compter sur l’esprit de responsabilité de leurs organisateurs pour que la contestation et les désaccords puissent s’exprimer mais dans le calme, le respect des biens et des personnes et avec une volonté de ne pas bloquer la vie du reste du pays.

Emmanuel Macron, Conseil européen extraordinaire, Bruxelles, 10 février 2023

Pas de bol, l’intersyndicale appelle « si le gouvernement et les parlementaires restent sourds à la contestation populaire » à mettre « la France à l’arrêt » dans tous les secteurs, le 7 mars. Voilà le chef de l’État prévenu, au cas où il aurait oublié que la grève générale est aussi un droit constitutionnel.

Provocation de Thomas Portes

Quoi qu’il en soit, le climat bon enfant de la rue contraste singulièrement avec le spectacle qu’offre l’Assemblée nationale depuis le début de l’examen du projet de loi sur les retraites. Vendredi, après l’épisode Quatennens et les graffitis à la craie sur la place du Palais Bourbon, Renaissance et la présidente de l’Assemblée nationale ont trouvé un nouvel os à ronger : une photo publiée sur Twitter par Thomas Portes.

On voit le député insoumis, le pied posé sur un ballon à l’effigie d’Olivier Dussopt. On peut trouver la provocation de mauvais goût. D’ailleurs, qu’aurait dit La France insoumise si Olivier Dussopt avait posé devant l’objectif, un pied sur un ballon à l’effigie de Jean-Luc Mélenchon ? À coup sûr, on aurait invoqué le souvenir de la guillotine, etc.

Mais ce geste revient surtout à tendre le bâton pour se faire battre. Comme l’a souligné Olivier Faure dans un tweet. « Il y a des gestes condamnables qui desservent la cause pour laquelle des millions de Français se battent. Quel intérêt d’offrir au pouvoir une polémique alors même que nous gagnons la bataille de l’opinion sur la réforme ? » Et de fait, le lendemain, le camp macroniste a instrumentalisé l’affaire. L’incident débute au Palais Bourbon, au moment où Thomas Portes s’apprête à défendre un amendement.

« Nous exigeons des excuses »

Madame la présidente, messieurs les ministres. Calmez-vous, collègues, il n’y a pas de ballon ici.

Ne soyez pas étonné mon cher collègue. Ne soyez pas étonné.

Thomas Portes, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis, Assemblée nationale

Le tumulte se prolonge. Loin de calmer le jeu, la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet en rajoute, sortant ainsi de son rôle.

Monsieur Portes, je crois que l’hémicycle vous demande des excuses.

Yaël Braun-Pivet, députée Renaissance des Yvelines et présidente de l’Assemblée nationale

La séance est suspendue pour dix minutes. À la reprise, c’est Aurore Bergé qui monte à l’assaut.

Nous ne laisserons passer aucun comportement qui dégrade notre Assemblée nationale. Aucun comportement. Nous exigeons des excuses de votre part pour les propos que vous avez eus et l’attitude provocatrice qui est la vôtre.

Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente du groupe parlementaire Renaissance

Dangereux précédent

Nouvelle suspension de séance et réunion du bureau de l’Assemblée. Elle va durer plus de deux heures. C’est Marine Le Pen qui se montre la plus acharnée contre Thomas Portes. Elle tient enfin sa revanche sur La France insoumise après l’exclusion en novembre d’un député de son groupe, Grégoire de Fournas. Celui-ci avait invectivé dans des termes ambigus le député insoumis Carlos Martens Bilongo, provoquant un tumulte généralisé. De retour en séance, la sanction tombe.

Le bureau, après en avoir délibéré très longuement, a décidé de proposer à l’Assemblée nationale de prononcer à son encontre la censure avec exclusion temporaire.

Cette décision pose un sérieux problème de droit. L’Assemblée nationale peut-elle sanctionner l’un des siens pour son comportement à l’extérieur de l’enceinte parlementaire ? Il existe un règlement qui permet à la présidente d’assurer la police des débats dans l’hémicycle. Mais ce texte ne saurait prévaloir sur le Code pénal dès lors que les portes de l’Assemblée nationale sont franchies. Qui plus est, il n’est pas certain qu’un tribunal aurait retenu une infraction.

Cette photo et le commentaire qui l’accompagne constituent-ils une incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination ? Les critères ne semblent pas réunis. C’est donc un dangereux précédent qui s’installe. Un parlementaire d’opposition voit sa liberté d’expression entravée par des adversaires politiques déclarés, Renaissance et le Rassemblement national, là où un citoyen ordinaire n’encourrait aucune sanction.

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