Le gouvernement veut laisser le moins de temps possible aux oppositions pour construire un rapport de force.
À cet effet, il a choisi d’utiliser un véhicule législatif particulier : un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative. Ce qui fait bondir Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste.
Une réforme des retraites c’est un projet de société. Ça ne peut pas être trois amendements à un projet de financement de la Sécurité sociale. C’est honteux de faire ça. C’est pour aller vite, c’est pour frapper fort et c’est pour empêcher les Français de s’exprimer
Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi cette voie législative ?
Délais raccourcis
D’abord, parce qu’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative est, comme son nom l’indique, un texte budgétaire. À ce titre, il doit respecter des délais raccourcis par rapport aux projets de loi ordinaires.
Qui plus est, en matière budgétaire, le gouvernement peut recourir autant de fois qu’il le veut à l’article 49- 3 de la Constitution. Celui qui permet de faire adopter un texte sans vote sauf si une motion de censure est votée. Mais l’exécutif n’aura pas forcément besoin d’utiliser cette arme, on va le voir un peu plus loin.
Le député communiste de Seine-Maritime, Sébastien Jumel, explique pourquoi :
20 jours de débat
Comme c’est une loi de finances, alors elle est astreinte à des délais : 20 jours pour être examinée par l’Assemblée, 50 jours au total pour être examinée par le Parlement avec la possibilité, si le texte n’est pas terminé, de le transformer en ordonnance, c’est-à-dire en chèque en blanc permettant au gouvernement de faire tout et n’importe quoi.
Voilà, là aussi, un déni de démocratie de ceux qui vont tenter de nous faire passer pour une opposition faisant de l’obstruction.
Résumons : le texte doit arriver en séance publique le 6 février. Les députés auront alors 20 jours pour l’examiner. Des milliers d’amendements vont être déposés par les oppositions. Il y a de fortes chances que ce délai des 20 jours se révèle trop court pour qu’on arrive au stade du vote.
C’est là qu’entre en jeu l’article 47-1 de la Constitution. Voici ce qu’il dit :
Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.
article 47-1 de la Constitution
Transmission au Sénat même si les députés n’ont pas voté
Qu’il soit voté ou non, le texte ira au Sénat. La chambre où les Républicains sont majoritaires.
Et comme ces derniers sont favorables à la réforme, le projet de loi du gouvernement a toutes les chances d’être adopté.
Imaginons cependant que le Sénat dépasse les 15 jours qui lui sont alloués par la Constitution pour se prononcer – ça n’est jamais arrivé depuis 1958.
Pas de problème. Le gouvernement peut dans ce cas recourir à une ordonnance pour mettre en œuvre les dispositions du projet de loi.
Une ordonnance, c’est quoi ? C’est une autorisation que le pouvoir législatif donne au pouvoir exécutif pour légiférer à sa place pour un temps donné et sur un domaine particulier.
Autrement dit, sur le plan institutionnel, le gouvernement est assuré de faire passer sa réforme. Et cela, sans même recourir à l’engagement de responsabilité prévu par l’article 49-3. Celui qui a été utilisé à 10 reprises pour faire adopter le budget.
Une jurisprudence ambigüe
Cependant, des juristes comme Benjamin Morel, Maître de conférences en Droit public à Paris II fait remarquer que le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence, établit une claire distinction entre les lois de finances et les lois dites de règlement (celles qui viennent corriger des dispositions budgétaires). Dans une décision du 24 juillet 1985, les sages du Palais-Royal écrivent ainsi :
La procédure d’urgence de plein droit, tout comme la fixation de délais d’examen, répond à la préoccupation d’obtenir en temps utile, et plus spécialement avant le début de l’année, l’intervention des mesures d’ordre financier commandées par la continuité de la vie nationale ; qu’une telle nécessité ne se retrouve pas pour les lois de règlement qui, dès lors, restent soumises, en ce qui concerne la procédure d’urgence, aux prescriptions générales de l’article 45 de la Constitution ;
Cette jurisprudence a néanmoins été contredite l’année suivante par le Conseil comme le souligne Mathieu Carpentier, Professeur de droit public à l’université de Toulouse. La décision du 3 juillet 1986 dispose ainsi que :
Considérant que les règles de procédure ainsi posées sont applicables, non seulement à la loi de finances de l’année (…) mais également aux lois de finances dites « rectificatives » qui, aux termes du quatrième alinéa de l’article 2, « peuvent, en cours d’année, modifier les dispositions de la loi de finances de l’année » ;
Il serait donc bien surprenant que le Conseil constitutionnel ne soit pas saisi par les oppositions, soit parce que le gouvernement aura stoppé la discussion au terme des 20 jours, soit parce qu’il l’aura laissée déborder. A charge pour les sages du Palais-Royal de fixer une fois pour toutes la doctrine en la matière.
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