La motion de rejet du projet de loi immigration adoptée

Adoption de la motion de rejet du projet de loi immigration à l’Assemblée nationale, 11 décembre. ©Assemblée nationale

Cela faisait vingt-cinq ans que ce n’était pas arrivé. Une motion de rejet du projet de loi immigration a été adoptée par l’Assemblée nationale, lundi 11 décembre. C’est peu dire que tout le monde a été surpris par le résultat. À commencer par ceux qui ont voté pour.

Je mets aux voix la motion de rejet préalable. Le scrutin est ouvert. […] Le scrutin est clos. Voici le résultat du scrutin : votants : 548, exprimés : 535, majorité : 268. Pour : 270, contre : 265. L’Assemblée nationale a adopté. En conséquence, le projet de loi est rejeté.

Yaël Braun-Pivet, députée Renaissance des Yvelines et présidente de l’Assemblée nationale, Assemblée nationale, 11 décembre 2023

Incertitude jusqu’à la dernière minute

Si les insoumis et Le Rassemblement national ont voté en bloc pour le rejet, il en est allé différemment chez les Républicains. Seuls 40 députés sur les 62 du groupe ont voté en faveur de la motion. 2 ont voté contre et 11 se sont abstenus. Jusqu’à la dernière minute, l’incertitude aura régné. Olivier Marleix peut cependant se réjouir. Les « constructifs », comme se sont désignés les 17 députés LR qui étaient plutôt favorables au projet de loi Darmanin, ne sont plus que 13 à l’arrivée. La discipline de groupe a été partiellement respectée.

En revanche, du côté de Renaissance, on n’a pas fini de ruminer son amertume. Cinq députés du parti présidentiel n’ont pas participé au vote. Alors même que le projet de loi immigration était présenté par le gouvernement comme un des textes les plus importants du second quinquennat. Ça fait un peu amateur ! Certes, il aurait encore manqué une voix pour faire basculer le scrutin. Mais cette désinvolture laissera des cicatrices. Mardi 12 décembre, les oppositions exultaient.

Même scénario chez LFI et le RN

Dans n’importe quelle démocratie, lorsque la représentation nationale vote contre un texte, le gouvernement doit retirer ce texte. Voilà ce que nous attendons aujourd’hui de ce gouvernement, c’est qu’il retire ce texte. Je rappelle que c’est à chaque fois l’Assemblée nationale qui a le dernier mot et que donc nous, nous continuerons de nous battre quel que soit le scénario qu’utilise le gouvernement, de nous battre pour empêcher que ce texte puisse arriver à son terme. Si le gouvernement ou le président de la République veut revenir devant les urnes pour savoir ce que veut le peuple français, nous évidemment nous y sommes prêts.

Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI-Nupes, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer de nouvelles élections législatives. Le scénario est aussi dans la tête du Rassemblement national.

Je pense que Elisabeth Borne fait un peu de méthode Coué. Ceci dit, je pense que la majorité est quand même ébranlée, vous imaginez bien. Ils n’ont pas de majorité, il va falloir s’y faire. On leur avait dit après le 19 juin, quand nous sommes rentrés à 88 à l’Assemblée nationale, ils ont voulu continuer un peu de façon méprisante à faire comme si de rien n’était. Je pense que là c’est un signal très fort, quand même, qui a été envoyé. Et, effectivement, revenir aux urnes, revenir au peuple, qui est quand même la cour suprême en Ve République, nous paraît être le plus cohérent.

Laure Lavalette, députée RN du Var, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

« Honneur politique »

Mais l’exécutif a écarté l’hypothèse de la dissolution comme celle du retrait du projet, leur préférant la voie de la commission mixte paritaire. Écoutez Olivier Véran répondre à ceux qui plaident pour un retour devant les électeurs. 

C’est leur droit de leur penser, c’est mon droit de ne pas être en accord avec cela. Je vous l’ai dit : nous avons adopté plus de cinquante textes en un an et demi au Parlement. Les Français ont souhaité qu’on soit en majorité relative. Ils ont souhaité qu’on ne puisse pas décider seul, c’est-à-dire que nous devons trouver des majorités avec d’autres groupes politiques. Il n’y a rien de déshonorant à cet exercice, au contraire, la recherche de compromis je crois que c’est aussi l’honneur politique de notre pays dans une période où les Français doutent de leurs institutions et doutent de la classe politique. Donc continuons.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, Conseil des ministres, 12 décembre 2023

Cruelle arithmétique

La commission mixte paritaire (CMP) est composée de sept députés et de sept sénateurs, soit quatorze parlementaires : quatre LR, quatre Renaissance, trois élus de gauche, deux centristes et un RN. L’arithmétique est cruelle. On voit tout de suite que LR et le RN sont en mesure d’imposer leurs exigences au bloc présidentiel si ce dernier veut parvenir à un accord. Autrement dit, pour reprendre l’expression consacrée, s’il veut que la commission mixte paritaire soit conclusive. Ce rapport de force en faveur de la droite et de l’extrême droite invite donc à tempérer la satisfaction exprimée par les oppositions. 

Quand vous voyez la gauche radicale et l’extrême droite se lever ensemble pour applaudir, on est en droit de penser que l’une ou l’autre de ces composantes a été bernée. Force est de constater ce matin que les gagnants ne sont pas ceux qui le pensaient hier soir. Concrètement, ceux qui voulaient le retrait du texte ont enregistré que le texte continuait sa vie. Ceux qui voulaient le départ de monsieur Darmanin ont entendu que monsieur Darmanin restait. Ceux qui voulaient, comme nous, un texte équilibré, s’inquiètent aujourd’hui de la vérification de ce que nous avions annoncé, c’est-à-dire un texte qui part maintenant en CMP Sénat et qui n’a une possibilité d’arriver en bon atterrissage que s’il est largement durci. Disons les choses avec clarté : la gauche a fait un coup politique hier, elle est cocufiée ce matin et finalement nous donnons la main à l’extrême droite et la droite radicale pour porter un texte qui va toujours plus loin, toujours trop loin.

Benjamin Saint-Huile, député Liot du Nord, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Si Benjamin Saint-Huile a raison de doucher l’optimisme des oppositions, il oublie en revanche un élément essentiel dans sa réflexion. Même si les députés avaient examiné le projet de loi, même s’ils s’étaient prononcés sur le texte, celui-ci aurait été ensuite soumis à une commission mixte paritaire. La motion de rejet n’a fait qu’abréger l’étape de la discussion dans l’hémicycle. Mais elle n’interrompt pas le parcours législatif.

Louanges du compromis

Ce qui va se passer c’est ce qui aurait dû se passer, c’est-à-dire que le texte, qu’il soit voté ou non à l’Assemblée, arrive en commission mixte paritaire et donc c’est une alliance de sénateurs LR et de députés globalement venant de la majorité présidentielle. Qu’est ce qui va se passer ? Ils vont devoir savoir s’ils font un deal ou pas, quel que soit le texte. Une CMP, commission mixte paritaire, de toute façon elle a un pouvoir absolu de réécriture des textes. Elle peut choisir de prendre un bout du Sénat, de prendre un bout de la commission de l’Assemblée, de rajouter quelque chose qui n’a jamais été évoqué dans les débats. Ça, c’est le pouvoir de la commission mixte paritaire. Et donc, finalement, entre hier et aujourd’hui rien n’a changé ni sur la commission mixte paritaire ni sur potentiellement le devenir du texte.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Du coup, le bloc présidentiel chante les louanges du compromis et de la responsabilité.

Les oppositions ont voulu se payer le gouvernement. J’en appelle maintenant tous à la responsabilité. Le gouvernement a décidé de continuer le processus du texte. Nous nous en réjouissons, je crois que cet intergroupe l’a montré extrêmement largement, et nous souhaitons que ce texte aille jusqu’au bout. Il faut des compromis. J’en appelle à la responsabilité de l’ensemble des partis, l’ensemble des groupes, au Sénat et à l’Assemblée pour qu’on trouve, pour les Français, un texte qui convient, qui fonctionne, qui soit efficace comme la promesse que nous leur avons faite.

Sylvain Maillard, député de Paris et président du groupe parlementaire Renaissance, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

LR ne transigera pas

Mais voilà, Les Républicains ne sont pas disposés à transiger.

Nous avons toujours dit que nous défendrons jusqu’au bout le texte du Sénat. Tout le texte du Sénat. Rien que le texte du Sénat. C’est ce que nous ferons naturellement en commission mixte paritaire. C’est notre condition pour approuver cette réforme. Autrement, naturellement, les mêmes causes produisant les mêmes effets il y aura le même résultat dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Le patron des Républicains annonce tranquillement que lui et ses troupes voteront contre le projet de loi si la CMP ne reprend pas la version votée par le Sénat. Encore faut-il que les quatorze parlementaires se mettent d’accord sur un texte, ce qui n’est pas le souci majeur des Républicains, comme l’explique Olivier Marleix.

Si cette CMP n’aboutissait à un texte, elle n’est pas conclusive, le gouvernement serait contraint de repartir pour une navette avec le texte du Sénat. C’est le seul texte qui fait foi aujourd’hui. Nous ça nous va très bien. C’est un texte de fermeté, dans lequel il n’y avait notamment pas ce droit à la régularisation que nous contestons.

Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Invitation à recourir au 49-3

Les frondeurs LR se montrent encore plus durs que Ciotti et Marleix.

Le problème de la Macronie, c’est qu’ils ont voulu faire du « en même temps » sur l’immigration. Il n’y a pas de « en même temps », soit on veut plus d’immigration, soit on en veut moins. Et un texte qui comportera le « en même temps » à la fin de la CMP risque malheureusement de subir le même sort que ce qui s’est passé lors de la motion de rejet préalable, une coalition d’oppositions qui fait que avec des abstentions, avec des absents, le texte ne passe pas. Moi je suis absolument convaincu que la seule majorité qui existe pour faire passer un texte sur l’immigration c’est entre la majorité et les Républicains sur une base beaucoup plus dure quitte à forcer la main de la majorité en utilisant par exemple un 49-3 comme ça a été imaginé à la base, pour forcer la main de la majorité et non pas forcer la main de l’opposition.

Pierre-Henri Dumont, député LR du Pas-de-Calais, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Vous avez bien entendu. Pierre-Henri Dumont suggère au bloc présidentiel de passer un accord avec LR en reprenant la version la plus droitière du projet de loi. Et pour forcer la main des députés qui se montreraient réticents au sein de ce même bloc présidentiel, il invite le gouvernement à recourir au 49-3. Ce qui, signalons-le au passage, était la vocation première de l’article 49-3 : mettre au pas la majorité présidentielle. Il semble que ce scénario soit la seule porte de sortie du gouvernement. Parce qu’un texte qui reprendrait la version du Sénat n’a guère de chance d’être voté par les députés.

Pas l’intention d’avaler des couleuvres

Je pense qu’il n’y aura pas plus de majorité pour un texte issu de la CMP qu’il n’y en avait pour le texte hier parce que ce qu’ils vont sans doute, peut-être, et encore on n’en sait rien, gagner à droite, ils vont le perdre au centre et ailleurs. On n’est pas à la fin de l’histoire.

Benjamin Lucas, député écologiste des Yvelines, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Eh oui, le groupe MoDem – 51 députés, tout de même – n’a pas l’intention d’avaler des couleuvres, qui, en l’occurrence, ressemblent davantage à des boas constrictors. 

Vous savez ce que j’ai dit du texte du Sénat quand il est sorti. J’ai dit que c’était un texte, une version qui était une provocation. On a travaillé en commission, on avait un beau texte en sortie de commission, un texte qui me semblait équilibré, qui méritait encore débat, et on a des oppositions qui ont refusé de débattre. Donc maintenant la CMP va arriver. On ne se laissera pas non plus faire par une CMP qui irait trop loin. Je vous rappelle : une CMP n’est pas toujours conclusive. Il faut juste que tout le monde ait ça en tête aussi.

Erwan Balanant, député MoDem du Finistère, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Prêt à capituler

Pour soutenir Renaissance, il n’y a que le groupe Horizons.

Je tiens à réaffirmer encore aujourd’hui que le texte issu du Sénat ne nous posait, pour notre compte à nous, pas beaucoup de problèmes.

Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons, Assemblée nationale, 12 décembre 2023

Le gouvernement semble prêt à capituler. Du moins, si l’on s’en rapporte à l’entretien que Bruno Le Maire a accordé, mercredi 13 décembre, au Figaro. Dans le contexte éruptif du moment, on imagine bien que la parole du ministre va au-delà d’une simple expression personnelle.

Nous pouvons nous en sortir uniquement à deux conditions : si la majorité reconnaît qu’elle a subi une défaite et si les vainqueurs, les LR, font preuve d’un peu de mansuétude.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Le Figaro, 13 décembre 2023

En gros, Bruno Le Maire dit aux Républicains : ok, les gars, vous avez gagné, mais si vous pouviez éviter de nous trucider, ce serait sympa.

Formule droitisée à l’extrême

C’est sans doute ce que les six bourgeois de Calais ont dit aux Anglais au début de la guerre de Cent Ans. La ville est alors assiégée par les troupes du roi Édouard III. Pour éviter l’assaut et le massacre des habitants, les six plus riches bourgeois de la ville ont accepté de se rendre. Ils se sont livrés en chemise, pieds nus et la corde au cou, prêts à être pendus. Ce qui serait arrivé si la femme d’Édouard III n’avait pas intercédé auprès de son époux. Reste à savoir maintenant qui intercédera pour Bruno Le Maire… 

La commission mixte paritaire se réunit lundi 18 décembre. Si elle se met d’accord sur une nouvelle mouture du projet de loi, forcément droitisée à l’extrême, celle-ci sera soumise aux députés mardi pour un vote définitif. Ou une déclaration d’engagement de la responsabilité du gouvernement comme le suggérait aimablement le député Pierre-Henri Dumont.

Baguette magique

C’est là qu’intervient un détail déterminant. Élisabeth Borne peut-elle recourir à l’article 49-3 ? Saisi par des députés RN, le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision au plus tard samedi 16 décembre. Il dira s’il faut considérer que le gouvernement a déjà consommé l’unique 49-3 auquel il a droit à chaque session. L’exécutif a en effet utilisé cet article début octobre pour faire adopter la loi de programmation des finances publiques.

Si les membres du Conseil constitutionnel privent Élisabeth Borne de sa baguette magique, le gouvernement risque d’être battu lors du vote mardi, une partie de ses troupes refusant de voter un texte jugé trop droitier. Scénario catastrophe qui conduirait certainement Matignon à retirer le projet de loi avant mardi.

C’est la dernière hypothèse qui court. Toutes les mesures répressives seraient regroupées dans un nouveau texte que la droite pourrait voter. Et les dispositions qui concernent les régularisations, le droit d’asile ou l’aide médicale feraient l’objet d’un second texte susceptible d’être voté par la gauche. On serait le gouvernement, on aurait commencé par là. Mais bon, l’incommensurable talent de Gérald Darmanin devait permettre de marier l’eau et le feu. Pour l’instant, c’est plutôt les pompiers qu’on attend.

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