Macron présente le plan de bataille du nouveau gouvernement

Emmanuel Macron, président de la République, à l’Élysée, le 16 janvier 2024. ©Élysée

Quand Emmanuel Macron s’exprime, on a tendance à l’écouter d’une oreille distraite. Voire à l’éviter. Le personnage s’enivre facilement de ses mots et de ses trouvailles. Sa prestation, mardi 16 janvier, devant un parterre de journalistes, une semaine après avoir nommé Gabriel Attal à Matignon, n’a pas échappé à la règle. Narcissique et péremptoire, le président a réalisé un score moyen. 8,7  millions de spectateurs, nous dit l’institut Médiamétrie.

C’est beaucoup moins que les 13 millions et quelques de Français qui avaient regardé son intervention après l’attaque du Hamas en Israël, ou les 15 millions d’avril dernier après la promulgation de la réforme des retraites. Emmanuel Macron est venu nous exposer un plan. Celui qui doit lui permettre de reconquérir le pays. Ou plus exactement, de le modeler conformément à l’image qu’il s’en fait. 

Il faut prendre au sérieux Emmanuel Macron. Parce qu’il reste trois ans et demi avant la prochaine élection présidentielle. Et que nous allons supporter les conséquences de cette nouvelle lubie présidentielle. Avec d’autant plus de violence que son artisan entend bien profiter de la verticalité de sa fonction pour l’imposer. Non par la loi, puisqu’il est minoritaire à l’Assemblée nationale, mais par le règlement. Au point de départ, il y a l’ordre.

L’ordre

Avoir une France plus forte, c’est aussi assurer l’ordre. L’ordre, en contrôlant mieux nos frontières. L’ordre, en luttant contre les incivilités. L’ordre, en luttant contre la drogue. L’ordre, en luttant aussi contre l’islam radical.

Emmanuel Macron, président de la République, Élysée, 16 janvier 2024

D’où vient cet amour soudain de l’ordre ? Du contrecoup des émeutes de juin 2023. Des sondages qui, depuis, convergent pour souligner l’aspiration des Français à un retour de l’autorité. Et enfin, de la progression du Rassemblement national dans les intentions de vote.

Mais le projet d’Emmanuel Macron va au-delà d’une simple mise au pas de la société française. Le chef de l’État entend redonner à la France une identité. C’était déjà son ambition avec le fumeux Conseil national de la Refondation ou les rencontres sans lendemain de Saint-Denis.

Recréer du commun

Cette fois, Jupiter a décidé de ne plus s’encombrer de paravents. Écoutez cette tirade :

Ce qui a fait notre pays, c’est l’ordre et le progrès. Je crois qu’il n’y a pas de progrès sans ordre, et pour le coup là on est vieux jeu s’il n’y a que l’ordre et pas le progrès. Je crois à une autorité juste, et une émancipation. Nos sociétés sont devenues un peu liquides. Et donc il faut redonner des repères.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

Dans ce passage, il y a deux références importantes. D’abord l’ordre et le progrès. Cette formule, on la doit à un philosophe français : Auguste Comte. Celui-ci prônait une réorganisation spirituelle, morale et politique de l’humanité pour l’adapter à l’âge de la science. Projet qui, en langage macroniste, est devenu le « réarmement ». Quant à la société liquide, c’est un concept emprunté à Zygmunt Bauman, un sociologue récemment disparu. Soumises à des changements de plus en plus rapides, nos sociétés ont perdu leurs repères et leurs structures. Elles se sont liquéfiées. Il faut donc recréer du commun.

Marseillaise, uniforme et temps d’écran

Ce commun, dit le président, c’est la nation. Et la reconstruction, le réarmement, ça commence par l’école. Désormais, on chantera la Marseillaise et on portera la même tenue. À l’Assemblée, l’idée a rencontré un certain écho.

Notre démocratie s’est construite effectivement à un moment donné, sous la IVe et la IIIe République, où l’école était forte, puissante, et l’école donnait des codes, l’école donnait des règles, et l’école a porté ce sentiment d’appartenance à la République. Donc que l’on reparte de l’école pour reconstruire ce réengagement civique, je trouve ça plutôt assez logique.

Erwan Balanant, député MoDem du Finistère, Assemblée nationale

Le souci présidentiel du détail va jusqu’à s’intéresser au temps de consultation des écrans. Emmanuel Macron veut le limiter. Est-ce bien le rôle d’un président de s’occuper de ces questions ?

Si le président de la République n’avait pas fait d’annonce concrète hier, on lui aurait reproché d’être abstrait, d’avoir fait une logorrhée comme a pu dire le Rassemblement national. Il a fait des annonces extrêmement concrètes, et, vous savez, le temps d’écran, on parlait de ce qui fait société, c’est une question majeure aujourd’hui dans les foyers. On voit trop souvent des foyers où les enfants sont sur un écran pour que les parents puissent se parler. Je pense que ça fait partie des grands sujets de demain et le président de la République a eu raison de les aborder.

Mathieu Lefèvre, député Renaissance du Val-de-Marne, Assemblée nationale, 17 janvier 2024

Oisiveté

Fini de glander. L’oisiveté est la mère de tous les vices, c’est bien connu. C’est même la principale responsable des émeutes de la fin du mois de juin, selon le président. Si les jeunes n’avaient pas été désœuvrés, ils ne se seraient pas abandonnés à la violence. Le spectacle de la marchandise, la dictature des marques, la pauvreté, tout ça, ça n’existe pas. Le raisonnement vaut pour les chômeurs. À en croire le président, ils se complaisent dans leur situation. Ça va changer.

Le gouvernement incitera aussi à la création et la reprise d’un emploi avec dès le printemps prochain un acte II de la réforme du marché du travail lancée en 2017, c’est-à-dire des règles plus sévères quand des offres d’emploi sont refusées.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

Mais si le penseur de l’Élysée veut davantage contrôler la jeunesse et les chômeurs, il entend cependant supprimer des règles. Celles qui protègent encore les salariés. D’abominables freins au ruissellement de la prospérité générale.

« Pour que la France reste la France »

C’est pourquoi je demande au gouvernement de porter un acte II d’une loi pour la croissance, l’activité et les opportunités économiques pour permettre de libérer davantage encore ceux qui font, qui innovent, qui osent, qui travaillent.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

C’est vrai que les 27 millions de salariés français, eux, ne travaillent pas. Ils regardent le plafond, c’est bien connu. Et pourtant les choses se font. C’est magique. Voilà le programme qui nous attend. Il ne manque plus que le lit au carré, la revue de détail et les concerts de musique militaire, le dimanche, dans les squares. Pourquoi tout ça ?

Pour que la France reste la France.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

« Impasse sur les grandes questions »

Le premier à avoir employé cette expression, c’est Laurent Wauquiez, le très droitier président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis, la droite et l’extrême droite l’ont usée jusqu’à la corde. Mais la formule permet encore de braconner sur le terrain des adversaires politiques de la Macronie. Cette invocation de l’âme française n’abuse pas le député Benjamin Saint-Huile. 

Je pense que le président de la République a un logiciel qui est arrivé au bout de sa démarche intellectuelle. Il donne le sentiment de ne plus avoir d’idée importante, structurante pour la vie du pays. Et du fait, il revient sur des histoires antérieures qu’il a déjà racontées en essayant d’enfoncer toujours un peu plus le clou sur la valeur travail, sur la question morale, sur la question de l’autorité. Il prend le pari de choisir des thématiques qui ne sont pas toujours dans le giron républicain. Et pendant ce temps-là, on fait l’impasse sur des grandes questions, je pense à la question de la transition écologique, je pense évidemment à la question de l’école de manière nette, au-delà des accoutrements et du choix vestimentaire des élèves. Je pense à la question centrale du pouvoir d’achat. On nous parle de fiscalité, dans quelques temps le ministre Le Maire nous dira qu’il faut faire des économies. Il y a une espèce de discours un peu ambivalent permanent.

Benjamin Saint-Huile, député Liot du Nord, Assemblée nationale

Le pire est à venir

Eh oui, c’est ballot. Trop occupé à tutoyer l’histoire, notre père la morale a oublié la question sociale. Pourtant, le pire est à venir si l’on en croit les prévisions.

Ce matin en commission des finances on avait une audition de la Banque de France, de l’Insee et de l’OCDE qui nous présentaient les perspectives économiques, les perspectives en termes d’emplois et des perspectives aussi sur la croissance et le pouvoir d’achat, 2023-2024, et on se dit : on atteint des sommets en taux de pauvreté. Alors certes, on fait peut-être mieux que certains pays européens, mais on ne peut pas s’en satisfaire. On ne peut pas se satisfaire d’atteindre le pic du nombre de pauvres en France, que ce soit des familles monoparentales ou des retraités pauvres ou des travailleurs pauvres, et se satisfaire dans le même temps de dividendes qui n’ont jamais été aussi hauts. Le paradoxe c’est qu’on n’a jamais eu autant de pauvres et on n’a jamais eu autant de gens très très riches.

Christine Pires Beaune, députée PS-Nupes du Puy-de-Dôme, Assemblée nationale

« 650 euros en plus par an »

Et ce n’est pas la hausse du prix de l’électricité au 1er février qui va inverser la tendance.

C’est terrible en fait pour les Français. Vous savez que le prix de l’électricité a déjà augmenté de 15 % puis de 10 % l’année dernière, donc de 25 % [26,5 %, ndlr] et, à nouveau, ils veulent l’augmenter de 10 %. C’est, en tout, on a calculé, en moyenne une facture de plus de 150 euros en un an, quasiment, pour les ménages. En moyenne, les ménages vont payer 650 euros en plus par an pour leur électricité. C’est juste effroyable, cruel.

Aurélie Trouvé, députée LFI de Seine-Saint-Denis, Assemblée nationale

Courageux, mais pas téméraire, le président a renvoyé la décision vers le gouvernement. 

Je peux vous dire que je ne me substituerai pas au gouvernement pour faire les annonces précises. Ce que je disais c’est que l’électricité, le prix va revenir dans la norme, mais surtout il restera, quel que soit ce que le gouvernement annonce dans les prochains jours, substantiellement inférieur à ce qui est payé en Allemagne, en Espagne, en Italie.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

Enfants gâtés

Ce n’est pas une bonne nouvelle, ça ? On va raquer, mais ça pourrait être pire. Les Français sont décidément d’incorrigibles enfants gâtés. Voilà maintenant qu’ils ne veulent pas payer leurs médicaments plus chers. Incroyable !

Au moment où, de manière sérieuse, je vois ce que nos compatriotes peuvent dépenser pour les forfaits de téléphonie, la vie quotidienne, se dire qu’on va passer de 50 centimes à 1 euro pour un médicament, une boîte de médicaments, je n’ai pas le sentiment qu’on fait un crime terrible. Je pense que ça responsabilise et que c’est une bonne mesure.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

C’est curieux, avec Emmanuel Macron, on en revient toujours à une affaire de téléphone. Le temps d’écran, le choix du forfait… C’est une obsession, ou un problème avec l’opérateur de l’Élysée. Avec les pigeons voyageurs, ça marchait mieux, quand même. Quoi qu’il en soit, nous a prévenus le président, il faudra choisir, le moment venu, entre lui et le Rassemblement national.

« Un peu fort de café »

Beaucoup de nos compatriotes se disent : « Au fond, le pays ne marche plus. On a tout essayé, on ne les a pas essayés [le Rassemblement national, ndlr]. » Et ma crainte, et ce contre quoi je me bats, parce que je ne suis pas là pour craindre vous me direz, c’est que tout le monde s’habitue à ça et plus personne ne dit que le Rassemblement national, comme toutes les extrêmes droites en Europe, c’est surtout et avant tout le parti de l’appauvrissement collectif. C’est le parti du mensonge et ça continue de l’être. C’est le parti qui a le programme qu’il a complètement piqué à l’extrême gauche.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

Éric Coquerel a eu du mal à digérer le parallèle entre le programme de son mouvement et celui du Rassemblement national.

Pour quelqu’un qui a repris l’entièreté du programme du Rassemblement national pour la loi immigration, c’est un peu fort de café, non, vous ne trouvez pas ? Ce n’est pas nous qui piochons dans le programme du Front national, c’est eux. Il faut lui renvoyer la balle.

Éric Coquerel, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis et président de la commission des Finances

Emprunt doctrinal

Un emprunt doctrinal qui est confirmé par le Rassemblement national.

Si vous avez un rendez-vous avec toute la nation, si vous êtes le président de tous les Français, vous ne pouvez pas attaquer une si large partie de vos opposants politiques. Tout le monde a vu d’ailleurs que le visage, le physique de monsieur Macron, s’était crispé à l’évocation des sondages du Rassemblement national. Il est très mal à l’aise sur ce que nous proposons. Vous l’avez dit, ça a été dit, puisqu’il reprend beaucoup de nos mesures symboliques sans les appliquer.

Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme

Mais la prestation présidentielle n’aurait pas été complète sans sa séquence « gros bobard ». Un gros bobard qui s’appelle Rachida Dati. 

Nous n’avons pas parlé de Paris. Vous aurez du mal à me croire quand je vous dis ça, mais c’est vrai. La seule chose que je veux pour Paris, c’est qu’un électeur puisse avoir les mêmes droits et compter autant à Paris qu’à Amiens, à Besançon ou ailleurs, et donc que le gouvernement et le Parlement puissent décider d’une réforme en profondeur de la loi Paris-Lyon-Marseille pour revenir au droit commun.

Emmanuel Macron, Élysée, 16 janvier 2024

Dénégation jupitérienne

« Vous n’allez pas me croire », dit Emmanuel Macron. Bien sûr que non ! La preuve, le lendemain de cette dénégation jupitérienne, Rachida Dati annonce qu’elle est candidate à la mairie de Paris. Histoire de sceller médiatiquement le pacte passé avec le Président : « À toi le bon coup politique en me prenant dans le gouvernement, à moi le fauteuil d’Anne Hidalgo. » Comme Emmanuel Macron ne peut décemment la débarquer, Rachida Dati a déjà marqué le point. 

Les sept années de présidence Macron ont passablement fracturé le pays et délabré les services publics. Comment le chef de l’État pourrait-il être l’artisan d’une quelconque reconstruction ? Pour une majorité de Français, l’horizon se limite à boucler la fin du mois. Les débats philosophiques sur la France éternelle, ça ne remplit pas l’assiette. Que chacun dans ce pays ait un toit au-dessus de sa tête et de quoi nourrir sa famille fera bien plus pour la concorde nationale que les envolées d’un président qui tente en vain de se réinventer sans y parvenir.

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