L’article 1 de la proposition de loi Liot est supprimé

Fadila Khattabi, députée Renaissance de la Côte-d’Or et présidente de la commission des Affaires sociales, à l’Assemblée nationale, le 31 mai 2023. ©Assemblée nationale

Ce qu’il s’est passé hier, mercredi 31 mai, à l’Assemblée nationale, dépasse le simple cadre de la réforme des retraites. C’est le parlementarisme qui a été tout simplement piétiné. On s’attendait, bien sûr, à une bataille au couteau entre le bloc présidentiel et les oppositions sur la proposition de loi déposée par le groupe Liot. Sa principale disposition, l’article 1, abroge en effet le report à 64 ans de l’âge de départ en retraite. Mais cet affrontement a échappé à toutes les règles.

Avant d’être examiné dans l’hémicycle, le 8 juin, le texte devait franchir le barrage de la commission des Affaires sociales : 73 députés qui ont toute latitude pour modifier ou supprimer des articles. C’est cette version enrichie ou amputée qui est ensuite soumise à l’ensemble des députés en séance publique. Hier donc, les députés du bloc présidentiel ont supprimé l’article 1.

Inconstitutionnelle

Alors, exprimés, tout le monde était présent : 73. Pour : 38, contre : 34, abstention : 1. Et donc les amendements de suppression sont adoptés, en conséquence l’article 1er est supprimé.

Fadila Khattabi, députée Renaissance de la Côte-d’Or et présidente de la commission des Affaires sociales, Assemblée nationale, 31 mai 2023

Les députés Renaissance, Horizons et Modem estiment que la proposition de loi est inconstitutionnelle.

Tout le monde sait dans cette salle que cette proposition est inconstitutionnelle. Les charges induites par l’article 1er de ce texte s’élèvent à 18 milliards d’euros par an. Le gage tabac à l’article 3 pour compenser les 18 milliards d’euros de charges supplémentaires est illusoire et irrecevable comme l’a souligné le rapporteur général du budget. Quel est votre objectif ? Que les Français fument cinq fois, dix fois, vingt fois plus pour financer leurs retraites ?

Sylvain Maillard, député Renaissance de Paris

Pratique parlementaire

La proposition de loi du groupe Liot crée une charge pour les finances de l’État, dit Sylvain Maillard. Ce qui est contraire à l’article 40 de la Constitution qui interdit aux députés de proposer des lois ou des amendements entraînant des dépenses. Jusque-là, le député de Paris a raison. Pour contourner cet obstacle tous les députés, quelle que soit leur étiquette, gagent les dépenses. C’est-à-dire qu’ils proposent dans leur texte des recettes qui viendront compenser le coût des mesures qu’ils souhaitent voir adoptées.

La pratique parlementaire veut que l’on fasse appel aux taxes sur le tabac. C’est ce que prévoit la proposition de loi du groupe Liot dans son article 3. « Irrecevable », dit Sylvain Maillard. Pure Politique a jeté un œil sur les textes en discussion en ce moment à l’Assemblée nationale et est tombé sur une proposition de loi qui entend « bâtir la société du bien vieillir en France ». Elle est signée notamment par Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance, Laurent Marcangeli, le président du groupe Horizons et Fadila Khattabi, la présidente Renaissance de la commission des affaires sociales. Son examen a commencé au mois d’avril.

Même si elles sont jugées insuffisante par beaucoup, les mesures préconisées par la proposition « Bien vieillir » entraîneront 8 à 10 milliards de dépenses nouvelles. Comment seront-elles financées ? Regardons la proposition de loi. Ô surprise ! Ce sont les taxes sur le tabac qui vont compenser cette charge nouvelle. Si l’on suit le raisonnement de Sylvain Maillard, ce texte n’aurait jamais dû venir dans l’hémicycle. Il est inconstitutionnel. Eh bien, figurez-vous qu’aucun député du bloc présidentiel n’a jugé ce texte irrecevable. Et sur les bancs des oppositions, personne n’a émis de protestation, car c’est la pratique parlementaire depuis la réforme constitutionnelle de 2008.

Indignation constitutionnelle sélective

Le bloc présidentiel a donc l’indignation constitutionnelle sélective. Cette utilisation de l’article 40 contre le texte Liot va faire jurisprudence. Désormais, la plupart des propositions de loi des députés – ce qu’on appelle l’initiative parlementaire – pourront être déclarées irrecevables, car elles entraînent des dépenses nouvelles. C’est donc une partie importante des attributions des députés qui est ainsi supprimée.

Un mot, au passage, sur les circonstances de ce vote. Il n’a été acquis que grâce au renfort des députés Républicains. Sur les 38 voix pour la suppression, 32 viennent du bloc présidentiel et 6 des 8 députés LR. Les soutiens du texte ayant recueilli 34 voix, il aurait suffi que deux LR basculent pour que l’article 1 soit maintenu.

C’est ici qu’entre en jeu un mécanisme peu connu du grand public. Les députés qui siègent dans la commission des Affaires sociales, comme les autres commissions, sont choisis par le président de leur groupe. Celui-ci se comporte comme le sélectionneur d’une équipe de foot. En fonction du match, il aligne les joueurs qui lui semblent les plus adaptés pour contrer l’équipe adverse. Ça s’appelle « le switch ».

Museler les frondeurs

À quoi sert un switch ? Il peut servir, quand on est député Républicain, à museler une opposition potentielle. C’est ce que j’ai l’impression de sentir. Il peut servir, quand on est un député de l’opposition et qu’on n’était pas certain d’être là, à être présent. Moi j’ai un collègue, par exemple, ultramarin qui est retenu loin d’ici, on a décidé de le remplacer pour nous assurer d’avoir l’ensemble de nos voix. C’est finalement une pratique assez logique et normale, notamment quand on a un vote qui va se jouer à quelques voix.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Palais Bourbon

Ça sert à museler les frondeurs, dit en substance Arthur Delaporte. De fait, 24 heures avant la réunion de la commission, le patron des députés LR, Olivier Marleix, a écarté deux députées de son groupe qu’il jugeait peu fiables, Anne-Laure Blin et Véronique Louwagies. Aucun secret, il suffit de consulter le Journal officiel. C’est cette permutation qui a permis au bloc présidentiel de trouver une majorité pour supprimer l’article 1 de la proposition de loi du groupe Liot. Pour quel objectif ? En fin de journée, Charles de Courson expliquait la manœuvre.

La minorité présidentielle avait une stratégie très simple : voter contre l’article 1er de façon à nous obliger, et ce que je ferai, je redéposerai un amendement pour rétablir l’article 1er et à ce moment-là demander à madame la présidente de l’Assemblée nationale de déclarer cet amendement contraire à l’article 40. C’est ça la manœuvre. Elle est toujours la même : tout faire pour qu’on ne vote pas sur l’article 1er tel qu’il avait été déposé par notre groupe car ils savent pertinemment que si on vote sur cet article 1er, il sera adopté. Le déni de démocratie continue. Jusqu’au bout nous nous battrons contre ce déni de démocratie.

Charles de Courson, député Liot de la Marne, Palais Bourbon

Traquenard

Vous avez compris le traquenard. Les macronistes et les LR suppriment l’article 1 en commission. Charles de Courson le rétablit par un amendement. Ce qui permet à Yaël Braun-Pivet d’intervenir et de le déclarer irrecevable. Mais le désastre démocratique ne s’arrête pas là. Sur instruction de la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, la présidente de la commission des Affaires sociales, Fadila Khattabi, a écarté plus d’un millier d’amendements déposés par l’opposition.

Il y a une volonté d’obstruction qui est vraiment flagrante, je dis bien flagrante avec le dépôt de plus de 1 000 sous-amendements. Au regard de l’article 41 et après en avoir discuté également avec la présidente de l’Assemblée nationale, et au regard de cette obstruction vraiment flagrante, nous allons poursuivre l’examen du texte sans examiner les 1000 et quelques sous-amendements qui ont été déposés. Vous voulez faire croire non pas des couleuvres aux Français mais vous voulez leur faire avaler des anacondas. C’est tellement énorme. 1 300 sous-amendements déposés.

Fadila Khattabi, députée Renaissance de la Côte-d’Or et présidente de la commission des Affaires sociales, Assemblée nationale

Ce qui a provoqué un tonnerre de protestations.

Ce qu’il se passe est ahurissant. C’est-à-dire que la discussion que nous avons eue portait sur la décision que vous avez prise de ne pas examiner l’ensemble des amendements que nous déposons. Donc c’est le déni du droit élémentaire des parlementaires à déposer des amendements. Ce après quoi vous soumettez au vote un amendement sans qu’il n’y ait aucune explication de vote. C’est du jamais vu, madame la présidente. C’est un déni inouï de démocratie. Comprenez notre colère ! Comprenez notre colère !

Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, Assemblée nationale

Écœurés

Soyons honnêtes. Il s’agissait pour les oppositions de sauver le texte de la proposition de loi en faisant traîner les débats. La procédure législative prévoit que si la commission n’a pu terminer l’examen de la proposition de loi, les députés se prononceront en séance publique sur le texte tel qu’il a été déposé par ses auteurs. Voilà pourquoi la Nupes a fait pleuvoir les amendements.

On a compris le danger. Si un président de commission peut supprimer n’importe quel amendement au motif qu’il estime être en présence d’une tentative d’obstruction, c’est la fin du débat démocratique. Écœurés, les députés de la Nupes ont claqué la porte de la commission en début d’après-midi.

La seule arme qu’il nous est restée aujourd’hui est de partir de cette commission pour en dénoncer le caractère factice. Mais je voudrais vraiment alerter sur les dangers que nous courons aujourd’hui parce que cette ligne rouge servira de jurisprudence et que nous risquons dans l’avenir de payer extrêmement cher la décision de la présidente de la commission des Affaires sociales et de la présidente de l’Assemblée nationale aujourd’hui. Ils sont prêts à tout, à tout, y compris le pire pour ne pas perdre.

Sandrine Rousseau, députée écologiste-Nupes de Paris, Palais Bourbon

« Insulte à la démocratie »

C’est une insulte à la démocratie mais c’est un jour tragique aussi pour notre institution l’Assemblée nationale mais plus largement pour le peuple français. Ce qu’attendaient les concitoyens c’était un vote. Ce qu’ils ont vu aujourd’hui c’est une mascarade. C’est une mascarade qui n’utilise même pas les règles pour écraser la démocratie. Elle invente du droit, elle invente une règle, elle nous écrase nous-mêmes dans notre capacité d’écrire la loi.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Palais Bourbon

À chaque étape, c’est un geste nouveau contre la démocratie et un geste nouveau d’abaissement du Parlement. Franchement, non seulement c’est insupportable mais c’est inquiétant pour la suite et pour le fonctionnement même de nos institutions où déjà le Parlement est largement abaissé et où l’exécutif a le dessus, le gouvernement, le dessus en permanence avec le président de la République.

Pierre Dharéville, député GDR-Nupes des Bouches-du-Rhône, Palais Bourbon

Se poser en victime

Le bloc présidentiel, lui, préfère se poser en victime.

Nous, nous sommes restés calmes, droits, sereins, et nous avons subi des menaces, des intimidations, des insultes, des manoeuvres, des manigances, des tentatives de coups, et nous avons juste répondu par la démocratie, c’est-à-dire par le vote. Systématiquement vous entendez des insultes.

Lesquelles ?

Vous le verrez, nous avons des vidéos, nous les publions progressivement. Tout cela est malheureusement documenté. Le fait de vouloir venir menacer, intimider la présidente de la commission des Affaires sociales en se levant, en venant le plus proche d’elle, avec une dizaine, quinzaine de parlementaires pour chercher à l’intimider.

Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente du groupe Renaissance, Palais Bourbon

Voie ouverte à un régime autoritaire

Et le RN là-dedans ?

Entre la majorité qui essaie de passer en force et la Nupes qui déserte… Tout le monde est parti alors qu’on aurait pu faire tomber ce texte et l’article 2. Voilà, la Nupes a déserté. On peut quand même s’arrêter deux secondes sur l’attitude évidemment des LR. Vous avez bien vu que jusqu’alors ils étaient la béquille, ils ont été la béquille de la macronie maintenant ils sont le bras armé de la macronie. C’est évidemment plus qu’une variable d’ajustement.

Laure Lavalette, députée RN du Var, Palais Bourbon

Laure Lavalette a bien tort de se plaindre. En brutalisant continuellement le parlement et les institutions de la République, l’exécutif et ses courroies de transmission ouvrent la voie à un régime autoritaire. Un régime illibéral comme se plaît à dire le chef de l’État lorsqu’il évoque la Hongrie ou la Pologne. Si elle venait un jour à s’asseoir dans le fauteuil occupé par Emmanuel Macron, Marine Le Pen n’aurait pas grand-chose à faire pour s’y trouver à l’aise. L’essentiel du boulot est déjà fait.

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