Dupont-Moretti et Kohler : le gouvernement minimise les scandales

Lundi 3 octobre, le garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, et le le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, ont été tous les deux inquiétés par la justice. Le même jour. L’opposition tente de s’emparer de ces nouveaux scandales lors des questions au gouvernement le mardi 4 octobre. Mais le gouvernement s’en défend. Récit de cette journée à l’Assemblée nationale.

En politique, quand on est en difficulté, il faut savoir allumer des contre-feux. La journée du mardi 4 octobre à l’Assemblée l’a encore démontré. La veille, on apprenait le renvoi du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts. Le ministre de la justice est accusé d’avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats à qui il s’était opposé en tant qu’avocat.
Le même jour, la mise en examen pour prise illégale d’intérêt du secrétaire général de l’Élysée, était rendue publique. En 2010 et 2011, Alexis Kohler a approuvé des contrats entre le port du Havre et l’armateur italo-suisse MSC. Membre du conseil de surveillance de la société, il n’a pas signalé que celle-ci est dirigée par des cousins de sa mère. Rappelons à ceux qui ne s’en souviendraient pas
que Kohler est la doublure d’Emmanuel Macron. De la gestion gouvernementale aux campagnes présidentielles, tout passe par lui.

Détourner l’attention

A l’Assemblée, la rentrée parlementaire, mardi 4 octobre, avec sa séance des questions au gouvernement, s’annonçait donc particulièrement pénible pour la majorité présidentielle. Cette dernière s’est employée à ce que l’on parle d’autre chose. Et quoi de mieux que d’agiter une nouvelle fois l’affaire Quatennens. Tout commence avec cette phrase d’Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance au détour d’une question sur les violences faites aux femmes :

« Depuis plusieurs semaines, on loue la vertu de celui qui reconnaît des faits de violences conjugales. Depuis plusieurs semaines, on entend ceux qui parlent de leur affection pour un homme qui frappe sa femme. Depuis plusieurs semaines, on fait fi des règles élémentaires de l’État de droit. »

Une longue salve d’applaudissements salue cette première pique. Sur les bancs de la Nupes, on proteste. Sandrine Rousseau se lève et fait le signe de ralliement des féministes des années 70. Aurore Bergé reprend la parole :

« Oui, nous devons faire mieux et ça commence par nos attitudes ! Ça commence par les mots que nous employons ! Ça commence par le fait de respecter les victimes ! Ça commence par le fait d’être clair avec notre État de droit ! »

https://twitter.com/bfmtv/status/1577339439101231109
Sandrine Rousseau se lève pendant la prise de parole d’Aurore Bergé, députée Renaissance, et forme un triangle avec ses mains, signe de ralliement des féministes dans les années 70.

C’est au tour de la première ministre Élisabeth Borne de prendre la parole. Le tumulte est à son comble. Sur son banc, Danièle Obono proteste. La Première ministre a terminé de parler. La présidente de l’Assemblée intervient :

« Madame Obono, je vous précise qu’en application de l’article 71 du règlement je prononce un rappel à l’ordre à votre encontre. Vous continuez à invectiver l’Assemblée et à invectiver la présidence ? Si, c’est ce que vous faites. Allez-y ! Donc je prononce un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal. »

Une sanction qui prive la députée insoumise du quart de son indemnité pendant un mois.

« Les joutes font partie de la vie politiques »

Sandrine Rousseau se précipite salle des quatre colonnes pour s’exprimer devant les journalistes :

« On a Aurore Bergé qui nous a expliqué qu’il fallait être éthique dans nos conduites alors même que Damien Abad siège dans leur groupe et qu’il n’y a aucune parole pour demander sa démission. Je le demande donc fermement devant vous et formellement devant vous : Damien Abad doit démissionner. »

Elle est bientôt rejointe par Mathilde Panot et Clémentine Autain :

« C’est une mise en cause de notre famille politique, éhontée. Éhontée quand on sait que le ministre Darmanin qui a quand même été mis en cause pour avoir échangé des relations sexuelles, contre un logement. Quand on sait que monsieur Damien Abad reste sur les bancs de l’Assemblée nationale sans qu’il n’y ait aucune mesure prise alors que, ce dont il est question ce sont des faits de viol répétés, avec des témoignages, avec à l’intérieur des crimes, avec l’usage de drogue mis dans des verres pour pouvoir violer des femmes. Et on est là à avoir des leçons d’un groupe politique aussi qui n’a pas été fichu de mettre un milliard sur la table pour lutter contre les violences sexuelles. »

Mathilde Panot relève un détail surprenant. Le temps de parole des députés est limité strictement à deux minutes. Les applaudissements comme les interruptions hostiles sont toujours comptabilisés dans cette durée. Or pendant la prise de parole d’Aurore Bergé, le compteur a été arrêté. Elle s’en plaint aux journalistes : « Je trouve que c’est absolument inadmissible comme manière de gérer les choses. »

Comment ne pas être intrigué, encore, par la démarche inhabituelle du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran ? Alors que les ministres viennent rarement s’exprimer devant les journalistes, l’ancien ministre de la Santé est venu commenter l’incident :

« La vie politique est émaillée de plus en plus de faits divers, de joutes verbales. Parfois, pour le bonheur des spectateurs mais souvent pour le malheur de notre fonctionnement institutionnel. Nous devons, chacun et chacune, nous montrer à la hauteur. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas, de temps en temps, s’adonner à ces joutes qui font aussi partie de la vie politique de notre pays. »

Une pagaille maitrisée

La majorité a réussi son coup. En semant la zizanie délibérément pendant la séance des questions au gouvernement, elle est parvenue à occulter les sujets qui la mettent en danger. Car dans la liste des questions prévues à l’ordre du jour de mardi, il en est une qui méritait toute l’attention de l’opinion. Elle est posée par Boris Vallaud, député PS des Landes :

« Nous avons appris hier que le garde des Sceaux mis en examen depuis juillet 2021 était renvoyé devant la Cour de justice de la République. Il a fait un pourvoi en cassation. En 2017, le candidat Emmanuel Macron, aujourd’hui président, affirmait que tout ministre mis en examen devrait démissionner. Je voudrais savoir ce que vous pensez aujourd’hui de cette déclaration ? »

La Première ministre s’empresse de lui répondre :

« Alors j’ai pris acte de la décision rendue hier dans le cadre de la procédure engagée contre Eric Dupond-Moretti. Je ne crois pas qu’il soit démocratiquement sain que des décisions de l’autorité judiciaire soit commentée ici dans l’enceinte du pouvoir législatif par un membre de l’exécutif. L’indépendance de l’institution judiciaire est un principe cardinal de notre démocratie. La présomption d’innocence en est un autre pilier. »

Mais Boris Vallaud réplique :

« Madame la Première ministre, je vois poindre, et peut-être vous avec moi, un conflit d’intérêt. Dans quelques mois, l’actuel procureur général auprès de la Cour de la cassation prendra sa retraite et le président de la République lui nommera un successeur sur avis du garde des Sceaux, ici, justiciable. Il y aura deux difficultés, madame la Première ministre. D’abord, ce nouveau procureur général aura à connaître, probablement, du pourvoi en cassation du garde des Sceaux. Il aura, s’il était décidé d’un renvoi devant la Cour de justice de la République, à connaître de l’affaire qui occupera à nouveau le garde des Sceaux justiciable. Dans quelle démocratie peut-on, d’une certaine manière, participer au choix de ces magistrats ? Je vous pose la question. »

Elisabeth Borne s’avance à nouveau devant le micro :

« Il n’y a aucune interférence, il n’y aura aucune interférence, dans le suivi des dossiers dans lesquels le garde des Sceaux est impliqué, soit en tant que justiciable, soit dans ceux dont il aurait pu connaître en tant qu’avocat. »

La démocratie mise à mal

Le principal garant de la justice dans ce pays reste donc à son poste malgré sa mise en examen. Et il va pouvoir choisir le procureur qui va requérir contre lui. Ça ne se passe pas en Russie, mais bien en France. La situation fait réagir les députés, à commencer par Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne :

« Monsieur Dupond-Moretti devrait avoir démissionné. C’est évident. Il est poursuivi pour des actes dans l’exercice de sa fonction de ministre. Personne ne le dit, la Cour de justice de la République ce n’est pas une mise en examen classique, c’est dans l’exercice de sa mission de ministre. Conflit d’intérêt. C’est-à-dire qu’en fonction de son métier d’avant, il a utilisé sa fonction de ministre pour s’attaquer à des magistrats. Mais vous imaginez la gravité ? »

Dès lors, la question est la suivante : Éric Dupond-Moretti et Alexis Kohler peuvent-ils rester à leur poste ? Le macroniste Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance des Français établis hors de France, ne voit pas le problème :

« Moi je crois que notre pays est un État de droit. Et l’État de droit, c’est de respecter les procédures de justice. Il n’y a rien qui stipule nulle part que l’on doive démissionner lorsque l’on est mis en examen, par exemple lorsqu’une plainte est déposée contre quelqu’un. Après c’est à chacun, en son âme et conscience, d’assumer et de prendre ou non ses responsabilités. Il y a des procédures de justice qui sont ouvertes et la justice doit faire son travail. Et à l’issue de ces procédures, les uns et les autres peuvent en tirer les conséquences. »

Appels aux démissions

À droite, Olivier Marleix, député LR d’Eure-et-Loir, souligne combien la doctrine de l’exécutif a changé depuis 2017 :

« C’est une profonde injustice pour François Bayrou. Je vous rappelle que monsieur Bayrou a été expédié du gouvernement au bout de quelques semaines à peine, parce qu’il était mis en examen. Là, on a un de ses successeurs, qui lui est renvoyé devant un tribunal pénal, et qui entend rester pour autant ministre de la justice. C’est un peu étrange comme affaire. Quant au cas de monsieur Kohler, il est mis en examen quand même sur des chefs assez graves, qui évoquent la question d’une collusion au plus haut niveau de l’État, entre des intérêts publics et des intérêts privés. »

Pour Marine Le Pen, le garde des Sceaux doit démissionner. « La simple suspicion qui pèse sur un ministre de la justice, à trait devant la Cour de justice de la République, doit pousser évidemment monsieur Dupond-Moretti à quitter ce poste. »

Quant au cas d’Alexis Kohler, Marine Le Pen renvoie la décision à Emmanuel Macron :

« L’apparence est contre monsieur Kohler. Alors c’est peut-être injuste parce qu’il existe effectivement des règles sur la présomption d’innocence, mais en politique l’apparence est aussi importante. Donc c’est au président de la République, maintenant, de prendre ses responsabilités et de les assumer. J’appelle à ce que le président de la République se rende compte que compte tenu de la fracture qui existe aujourd’hui entre les Français et la vie politique, compte tenu de la multiplicité des affaires autour d’Emmanuel Macron depuis le début de son mandat, il doit en tirer les conclusions. »

Les écologistes se montrent tout aussi catégoriques. Cyrielle Chatelain, députée EELV de l’Isère réagit sur une possible démission d’Eric Dupont-Moretti :

« L‘impression que ça donne, c’est qu’on a un ministre qui est censé faire respecter la justice, qui s’y déroge et qui reste en poste. Comment on peut avoir foi dans un ministre qui est censé représenter une institution si lui-même ne la respecte pas ? Est-ce qu’il doit démissionner ? Pour moi oui, il devrait démissionner. »

Et de poursuivre sur le cas Alexis Kohler :

« De la même manière, aujourd’hui on ne peut pas accepter d’avoir le collaborateur le plus proche du président de la République, président de la République qui parle de “République exemplaire”, et qui finalement est mis en examen pour des faits aussi graves. »

« Parlons des sujets des gens »

Il n’est que les communistes pour apporter un bémol. Certes ces scandales pourrissent le climat politique. Pour autant, les préoccupations des Français sont ailleurs, rappelle Sébastien Jumel, député PCF de Seine Maritime :

« La consanguinité du secrétaire général de l’Élysée avec le monde de la finance, le ministre de la justice en incapacité d’assumer la crédibilité de sa fonction, être garde des Sceaux, alors qu’il est mis en examen, tout ça renvoie aussi à des décisions du président de la République. Il doit choisir ses collaborateurs et nous dire ce qu’il attend d’eux. Mais parlons des sujets des gens. Chez moi, on me parle de l’assurance chômage, on me parle des retraites, on me parle du renoncement du fait que le gouvernement s’est couché face à l’interdiction de la pêche des Mersal, ces bateaux-usines qui tuent l’océan et qui tuent la pêche artisanale. Je vous assure qu’on me parle plus de ça que de toutes les questions qui traversent les rédactions. »

La question est maintenant de savoir combien de temps Éric Dupond-Moretti et Alexis Kohler pourront résister à la pression médiatique et politique.

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