La cérémonie juive d’Hanoukka au sein du Palais de l’Élysée

Bastien Lachaud, député LFI de Seine-Saint-Denis, à l’Assemblée nationale, le 5 décembre 2023. ©Assemblée nationale

Emmanuel Macron veut envoyer un message d’unité aux Français. C’est la confidence recueillie par Le Monde, en marge d’une visite du chef de l’État, jeudi 8 décembre, au Panthéon. Ce rendez-vous devrait intervenir dans le courant du mois de janvier. On trépigne d’impatience ! Si l’on ignore pour l’instant la teneur du message, on peut en revanche prédire que le président aura fort à faire pour convaincre. Car jeudi 7 décembre, à l’Élysée, Emmanuel Macron a porté un coup sérieux, à la fois à la laïcité et à la concorde nationale. 

Dans l’enceinte même du palais présidentiel, le chef de l’État a participé à la célébration du début de la fête juive des lumières, Hanoukka. La Conférence européenne des rabbins était venue remettre au chef de l’État le prix Lord Jakobovits récompensant l’engagement de la France contre l’antisémitisme. Sitôt le prix remis, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a allumé la première bougie du chandelier. Le président de la République est resté à ses côtés tout au long du rituel.

« Une erreur »

Ce geste voulait rattraper l’absence du président lors de la grande marche contre l’antisémitisme. Ce qu’a confirmé Élisabeth Borne le lendemain. 

Il nous a pas échappé qu’on est dans une période où il y a une montée de l’antisémitisme qu’on ne peut évidemment pas laisser passer. Il y a différentes façons d’envoyer un signal à la communauté juive sur le soutien et le message du président de la République dans cette période : c’est qu’on protège, qu’on soutient tous ceux qui veulent pratiquer leur religion et notamment à la communauté juive.

Élisabeth Borne, Première ministre, BFMTV, 8 décembre 2023

Pas de bol pour la Première ministre, Yonathan Arfi, le président du CRIF, considère que cette célébration cultuelle à l’Élysée était une erreur.

C’est une erreur. Elle n’aurait pas dû se produire. Je suis personnellement attaché à ce que la République reste fermement laïque, parce que c’est une manière de préserver notre concorde républicaine. C’est un équilibre dans la société française qui nous protège tous.

Yonathan Arfi, président du CRIF, Sud Radio, 8 décembre 2023

Entorse présidentielle à la laïcité

Même le Rassemblement national, qui a toujours eu quelques problèmes avec la laïcité, notamment en se montrant favorable à l’installation de crèches de Noël dans les mairies, s’est montré critique.

Je crois que nous sommes dans une République laïque et le fait que le président de la République célèbre une cérémonie religieuse au cœur de l’Élysée, oui je comprends que ça puisse étonner.

Laurent Jacobelli, député RN de Moselle, BFMTV, 7 décembre 2023

À gauche, le député socialiste Jérôme Guedj a déploré l’entorse présidentielle à la laïcité depuis le meeting de Saint-Ouen où se réunissait la Nupes.

Messe du Pape à Marseille

Du côté de La France insoumise, Aurélien Saintoul n’a pas manqué l’occasion de rappeler le précédent de la présence d’Emmanuel Macron lors de la messe que le Pape a célébré à Marseille au mois de septembre.

Les macronistes, la droite, l’extrême droite, ont la laïcité à géométrie variable. Il y a quelques mois, le président de la République s’est rendu à la messe du pape à Marseille, et après il nous explique qu’il ne reconnaît aucun culte. Écoutez. Je crois qu’il y a un problème de confusion intellectuelle.

Aurélien Saintoul, député LFI des Hauts-de-Seine, BFMTV, 8 décembre 2023

« Confusion intellectuelle », dit le député insoumis. L’expression semble appropriée. Car la réaction d’Emmanuel Macron aux critiques est assez désarmante…

La laïcité, ça n’est pas l’effacement des religions. C’est le fait que chacun a le droit et la liberté de croire et de ne pas croire. Si le président de la République s’était prêté à un geste cultuel ou avait participé à une cérémonie, ce ne serait pas respectueux de la laïcité. Ça ne s’est pas passé.

Emmanuel Macron, président de la République, BFMTV, 9 décembre 2023

Attitude irresponsable

Ce n’est pas moi qui ai allumé la bougie, nous dit en substance le président comme un gosse se justifiant après l’incendie de l’appartement familial. Le manque de maturité de cet homme ne cessera jamais d’étonner. Emmanuel Macron ne voit donc aucun problème à ce qu’on célèbre un culte à l’Élysée tant qu’il n’y participe pas, oubliant que sa seule présence est déjà un acte de participation. Qu’un badaud assiste à un acte liturgique ne porte pas à conséquence. Mais à travers la personne du président, c’est la République qui s’affiche au côté d’une religion. 

Si ce geste est une erreur, c’est encore parce qu’il ramène la lutte contre l’antisémitisme à l’empathie pour une religion. Or, pour un républicain, peu importe la confession. Ce qui doit être défendu, c’est le droit de croire ou de ne pas croire et la liberté pour le croyant de pratiquer le culte de son choix. Quel que soit ce culte. Au passage, on fera remarquer au président que de nombreux juifs se considèrent comme tels sans être pratiquants ou même croyants. L’attachement est culturel plutôt que cultuel. Remarque qui vaut également pour les catholiques et les musulmans. 

Enfin, un peu de sens politique, à défaut du respect de la loi de 1905, aurait dû conduire le président à refuser que cette cérémonie se tienne à l’Élysée et en sa présence. Au moment où le conflit israélo-palestinien renvoie les Français juifs et les Français musulmans à leurs appartenances confessionnelles respectives, était-il opportun de privilégier un culte par rapport à l’autre ? C’est une attitude irresponsable.

Pédagogie de la laïcité

Tandis que L’Élysée se transformait, l’espace d’un instant, en synagogue, l’IFOP livrait un sondage éclairant sur le rapport que les Français musulmans entretiennent avec la laïcité. À 78 %, ces derniers vivent la laïcité comme une discrimination à leur égard. Ce n’est certainement pas le comportement présidentiel qui va les détromper. Comment justifier, par exemple, l’interdiction de l’abaya quand le président autorise la célébration d’un culte dans un palais de la République ? Bon courage aux profs et aux proviseurs. On attend d’ailleurs le commentaire de Gabriel Attal. Mais ce bon ministre est très occupé… 

Au-delà, cette enquête montre qu’une pédagogie de la laïcité est non seulement nécessaire mais urgente. La loi de 1905 reste largement incomprise par une partie non négligeable de nos concitoyens. Il ne s’agit certainement pas de négocier, mais d’expliquer. Cet état de fait rend particulièrement opportune la proposition de loi que vient de déposer le député LFI Bastien Lachaud sur l’application du principe de laïcité.

C’est donc pour cela que nous avons déposé une proposition de loi avec trois axes principaux : la séparation des Églises et de l’État sur l’ensemble du territoire, donc l’abrogation du Concordat et l’application de la loi de 1905 sur l’ensemble du territoire et donc la suppression de l’ensemble des dispositifs fiscaux qui aujourd’hui favorisent les religions au détriment du principe de laïcité. Un deuxième axe : l’école publique et gratuite avec le renforcement du creuset républicain qui est l’école publique, laïque et gratuite. Et surtout, libérer les établissements d’enseignement privé de la tutelle de l’État, des collectivités territoriales, par la suppression de leurs financements publics. L’argent public va à l’école publique. Enfin, troisième axe : les services publics avec l’interdiction aux représentants de l’État d’assister à une cérémonie religieuse dans l’exercice de leur fonction, et l’interdiction que les hommages de la nation soient rendus lors d’une cérémonie religieuse.

Bastien Lachaud, député LFI de Seine-Saint-Denis, Assemblée nationale, 5 décembre 2023

Service public unifié et laïque de l’éducation nationale

Ce texte, s’il vient un jour à être examiné en séance – ce qui est une autre paire de manches – renoue pour partie le fil interrompu d’une grande réforme promise par la gauche il y a une quarantaine d’années : la création d’un grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale. 

En 1984, devant l’impressionnante mobilisation de l’enseignement privé et des catholiques, François Mitterrand avait préféré capituler plutôt que d’aller à la confrontation, lâchant son ministre de l’Éducation, Alain Savary. La paix civile y avait trouvé son compte mais la gauche qui venait déjà d’encaisser le tournant de la rigueur l’année précédente, perdit là ses dernières illusions et du même coup des bataillons d’électeurs. 

Si le Parti socialiste n’est plus aujourd’hui que le souvenir de ce qu’il fût, c’est à ces renoncements qu’il le doit. Soyons justes : François Hollande s’est chargé d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil. La laïcité reste le fondement de la concorde nationale. Pendant des siècles, les guerres de religion ont ensanglanté la France. Il ne faut jamais l’oublier. Surtout au moment où certains se plaisent à agiter, non sans délectation, le spectre d’une guerre civile.

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