Et si la réforme des retraites était contraire à la Constitution ?

Aurélien Pradié, député LR du Lot, à l’Assemblée nationale, le 17 janvier 2023. ©Purepolitique

Mardi 17 janvier, à Paris, la gauche avait visiblement retrouvé sa combativité. Un bon millier de personnes se sont retrouvées à l’appel de la Nupes pour participer à une réunion contre le projet de réforme des retraites. Un prélude à la manifestation de ce jeudi 19 janvier. 

Comme le remarquait un orateur, c’est dans ce même gymnase Japy que s’est tenu le premier meeting en faveur du non au Traité constitutionnel de 2005. Y voir un présage de victoire serait bien sûr audacieux. Mais l’enthousiasme était au rendez-vous. En dépit de ses tiraillements, la Nupes fait bloc contre la réforme des retraites. 

Le gouvernement compte sur notre résignation. Ils nous ont habitué à un 49-3 à répétition, et ils disent aux Français : « De toute façon, que vous manifestiez ou pas, c’est la même chose, on passera en force. » Mais non. Nous pouvons les faire reculer.

Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et premier secrétaire du Parti socialiste, 17 janvier 2023

« Partage des richesses »

La question qui se pose jeudi, ce n’est pas seulement celle des retraites à 64 ans, ce n’est pas seulement la pénibilité, ce n’est pas seulement les carrières longues, ce n’est pas seulement le minimum vieillesse, mais c’est le partage des richesses dans notre pays.

François Ruffin, député LFI-Nupes de la Somme, 17 janvier 2023

On est là ce soir, on sera là le 19. Celles et ceux qui hésitent à venir, c’est à nous de les convaincre, un par un. S’ils ne sont pas là le premier jour, ce n’est pas grave ils sont là le deuxième, le troisième et tous les jours qui suivront.

Marine Tondelier, secrétaire nationale EELV

Tous ensemble ! Tous ensemble ! Tous ensemble ! Tous ensemble ! Tous ensemble ! Tous ensemble !

Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste

Portrait cinglant

Quelques heures plus tôt, à l’Assemblée nationale, l’ambiance était tout aussi survoltée. Au détour d’une question au gouvernement, le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a dressé un portrait cinglant de son ancien camarade Olivier Dussopt, l’actuel ministre du travail.

Vous êtes aujourd’hui de celles et ceux qui allés défendre un projet de loi où celles et ceux qui ont commencé à travailler entre 14 et 20 ans auront à cotiser 44 années quand tous les autres n’auront à cotiser que 43 ans. Voilà ce que vous défendez aujourd’hui. Je ne suis pas dans votre tête ni dans votre peau, mais j’ai honte pour vous, honte de ce que vous défendez aujourd’hui, honte de voir que vous avez renié l’ensemble de vos projets. Je vous ai connu avec Henri Emmanuelli, je vous ai connu avec Martine Aubry, et je vous vois aujourd’hui dans ce gouvernement, faire en sorte de renier complètement ce que vous avez, jusqu’ici, été l’apôtre du progrès social.

Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et secrétaire national du Parti socialiste

Au chapitre des surprises de la journée, il faut encore mentionner la présence de Laurent Berger dans les murs de l’Assemblée. Le secrétaire général de la CFDT répondait à l’invitation du groupe centriste Liot qui s’est prononcé contre le projet de réforme des retraites.

Je suis ravi d’être invité par le groupe Liot ce matin, mes collaborateurs, mes collègues ont rencontré d’autres groupes parlementaires, on est à disposition de tous les groupes parlementaires pour leur porter les propositions de la CFDT.

Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT

Une seule voix

À droite, la famille affecte de s’être retrouvée. Aurélien Pradié, le député du Lot qui la semaine passée envisageait de ne pas voter le projet de loi du gouvernement, veut croire que le président de son groupe et lui-même parlent d’une seule voix. 

Vous pourriez vous abstenir vous ? 

En l’état nous sommes beaucoup plus nombreux à être sceptiques sur le texte, puisque nous sommes tous favorables au fait de privilégier les carrières longues. C’est quand même juste de dire à ceux qui ont commencé à travailler très tôt dans notre pays qu’ils ne vont pas être pénalisés par cette réforme. On est tous sur la même ligne dans notre famille politique, certains le disent un peu plus fortement que d’autres, on a quelques semaines de négociation encore, de bras de fer engagés, pour l’instant le gouvernement n’est pas totalement au rendez-vous sur tout.

Aurélien Pradié, député LR du Lot

Quelques couacs

Dans le camp de la majorité présidentielle, quelques couacs se font entendre. Après Barbara Pompili, ancienne ministre de l’Écologie d’Emmanuel Macron, c’est Patrick Vignal, député Renaissance de l’Hérault, qui exprime des états d’âme. 

Les gens ne suivent pas cette réforme. Est-ce qu’on a mal expliqué ? Est-ce qu’elle est mal emmanchée ? Moi je pense qu’effectivement on a des concessions à faire. Je pense que ce qui serait idéal, c’est qu’on passe d’un modèle coercitif à incitatif. Un petit point sur les 80 milliards de dividendes. Moi je ne demande pas de taxer les très riches, je demande qu’ils participent à l’effort.

Patrick Vignal, député Renaissance de l’Hérault

Selon le dernier décompte, cinq députés Renaissance ne voteraient pas le projet de loi du gouvernement. Contre l’évidence, les porte-parole de la majorité présidentielle se posent en artisans du dialogue. Dans leur récit, le recours à l’article 47-1 de la Constitution, qui réduit la durée des débats à vingt jours, ne porte pas à conséquence.

Audiences à Matignon

Le fait d’avoir d’abord cherché la concertation et le consensus le plus large les semaines précédentes avec les différents groupes d’opposition, c’est ce que la Première ministre Élisabeth Borne a fait en menant des consultations très longues, pendant de très nombreuses semaines, ce qui a amené à décaler l’examen du texte au Parlement pour essayer de trouver le consensus le plus abouti parmi les différents groupes politiques. Ça a permis notamment de dégager une voie avec le groupe du parti Les Républicains, et maintenant au Parlement nous allons avoir un texte et un débat qui vont effectivement raccourcis mais en vingt jours de débat à l’Assemblée nationale vous avez largement le temp d‘exprimer des positions, d’étudier des amendements, encore faut-il que les oppositions et en particulier La France insoumise ne se mettent pas dans une logique de blocage comme elle a décidé de le faire ces derniers jours en annonçant qu’elle a déposé 75 000 amendements.

Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance des Français établis hors de France

Voilà les débats dans l’hémicycle remplacés par les audiences à Matignon. Étrange conception du parlementarisme. Pourquoi ne pas recourir à une boucle Telegram tant qu’on y est ? Et confier à ChatGPT la rédaction des amendements ?

Posture victimaire

Quand il s’agit de convaincre l’opinion, la posture victimaire reste un ressort efficace. Prisca Thévenot, députée Renaissance des Hauts-de-Seine, a donc surfé sur les menaces proférées par certains syndicalistes. Des militants de la CGT énergie ont en effet annoncé qu’ils étaient prêts à couper le courant chez les parlementaires qui soutiennent le projet de réforme. La plupart des organisations syndicales et des partis de gauche se sont désolidarisés de ce mode d’action. Et jusqu’à mercredi 18 janvier, aucune de ces coupures ciblées n’avait été enregistrée. Mais le lamento est là. 

Je pense qu’on ne va pas arriver jusque là, mais si on en viendrait jusque là, je leur demande comment je fais par exemple avec mes enfants ? Je ne vis pas toute seule, je ne vis pas toute seule sur mon rocher. Je suis mère de famille, j’ai des enfants en bas âge, comment je fais ? Est-ce qu’ils seront ok pour que mes enfants ne puissent plus faire leurs devoirs et ne puissent plus s’éclairer le soir ? Est-ce qu’ils seraient ok pour que du coup tout ce que nous avons dans notre frigo pour le petit déjeuner, pour le dîner, ne puisse plus être conservé ? Est-ce qu’ils seraient ok pour ça ?

Prisca Thévenot, députée Renaissance des Hauts-de-Seine

Révision de stratégie

Du côté de La France insoumise, l’heure est à la révision de la stratégie. Le recours à l’article 47-1 modifie la donne. À quoi bon tenter de retarder les débats par une avalanche d’amendements si le projet de loi, voté ou non, est transmis au bout de vingt jours au Sénat ? 

Ça implique une discussion stratégique parce que si nous menons la bataille parlementaire de grève de zèle telle que nous l’avions fait en 2019, 2020, alors il serait possible que nous n’arrivions, par exemple, pas au premier article, à la fin du premier article. Donc effectivement il faut qu’on discute, à la fois avec les chefs de file, à la fois avec le groupe parlementaire, pour savoir qu’elle va être la stratégie que nous adoptons.

Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI-Nupes, Assemblée nationale

Nombreuses inconnues

Ce n’est pas le seul écueil qui pointe. Sur le plan constitutionnel, le véhicule législatif retenu par le gouvernement, une loi de financement de la Sécurité sociale rectificative, présente de nombreuses inconnues.

Ce qui nous inquiète c’est que des projets de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif, il y en a seulement eu deux dans la Ve République. Et généralement, ils étaient utilisés lorsqu’il y avait vraiment une modification, un événement qui changeait des donnes économiques et donc qui faisait modifier à la marge ou de manière un peu plus conséquente, ce qui avait été voté par les assemblées. Là, ils utilisent un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif pour faire passer un texte de fond. Je ne sais pas si avec un PLFSS rectificatif il peut y avoir une motion référendaire. Je ne suis pas sûre. Je ne sais pas si, lorsque ce texte passe par ordonnance, si ensuite il peut y avoir une saisine du Conseil constitutionnel. […] Je ne sais pas, est-ce que c’est possible dans un PLFSS rectificatif, d’avoir un cavalier social en soi ? Puisque tout le texte est un cavalier en fait.

Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI-Nupes

Ce n’est pas tout. Depuis quelques jours, un débat prospère chez les spécialistes en droit constitutionnel. La question est la suivante : la limitation à vingt jours de débat s’applique-t-elle à un projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui vient rectifier une loi de financement déjà adoptée ? La réponse n’est pas anodine.

Ancienne jurisprudence

Si le Conseil constitutionnel venait à estimer que les débats ont été limités dans le temps à tort, c’est l’échafaudage du gouvernement qui s’effondrerait. Il lui faudrait tout reprendre au début. Déposer un nouveau texte. Le présenter en commission puis séance. Subir des journées et des journées de débat. Recourir vraisemblablement à l’article 49-3. Et tout cela dans un climat d’hostilité générale. Politiquement, le pari est intenable. Alors que dit le Constitutionnel en la matière ? Il existe bien une jurisprudence, mais elle est ancienne.

C’est une décision du Conseil constitutionnel de 1983 il me semble, avant même l’établissement des lois de financement de la Sécurité sociale. Il n’empêche qu’elle s’applique je crois aux lois de finances et à la procédure d’urgence, et donc en effet ça peut soulever des questions constitutionnelles et nous sommes en train de travailler sur le sujet, parce qu’en effet l’urgence n’est absolument pas démontrée dans le cas d’espèce.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Palais Bourbon

Je sais, j’ai vu ça, j’ai vu des constitutionnalistes, donc je vais regarder la chose. Si c’est le cas et si je suis convaincu, on pourra toujours faire des recours. À ce stade je n’ai pas de jugement.

Éric Coquerel, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis et président de la commission des Finances, Palais Bourbon

Bricolage

Cette décision, la voici :

Bien que les lois de règlement soient des lois de finances, l’ensemble des règles relatives à l’élaboration des lois de finances ne les concerne pas. En particulier, les délais et sanctions posés par les articles 47 de la Constitution.

Décision du Conseil constitutionnel, 19 juillet 1983

En 1985, une seconde décision du Conseil constitutionnel semblait aller dans le même sens. Ni vous ni moi ne sommes agrégés de droit public. On va donc laisser les sages trancher la question. Mais cette incertitude sur la constitutionnalité du cheminement législatif respire le bricolage. Comment l’opinion ne se sentirait pas renforcée dans son rejet de la réforme ?

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