Le coup de pression du gouvernement sur le vote du 8 juin

Benjamin Saint-Huile, député Liot du Nord, à l’Assemblée nationale, mai 2023. ©Purepolitique

Comment éviter que la séance du 8 juin à l’Assemblée nationale ne se transforme en déroute pour le gouvernement ? Ce jour-là, en effet, les députés examineront la proposition de loi du groupe Liot abrogeant le report à 64 ans du départ en retraite. Et il est possible que ce texte trouve une majorité pour l’adopter.

La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet s’est opposée à une seconde délibération du bureau sur la recevabilité du texte. Plusieurs députés du camp présidentiel soulèvent en effet l’inconstitutionnalité de la proposition de loi. Selon eux, celle-ci contrevient à l’article 40 de la Constitution qui interdit aux parlementaires de créer une dépense nouvelle. Mardi 23 mai, le très proche entourage de la présidente assurait qu’il y aurait bien un contrôle de constitutionnalité, mais a posteriori. C’est-à-dire, après que le texte aura été débattu en séance.

Vote bloqué

Pour bloquer la proposition de loi et éviter une victoire symbolique des oppositions, le gouvernement travaille sur un autre scénario, celui du vote bloqué. Les préparatifs de la manœuvre sont remontés jusqu’aux oreilles du groupe Liot. Voici comment le gouvernement compte s’y prendre.

Ils peuvent choisir d’activer le vote bloqué. Il y a deux articles dans notre proposition de loi, un qui abroge le recul de l’âge légal, un deuxième sur la question de la conférence sociale. Ils peuvent dire : on vous propose de voter sur l’ensemble du texte mais nous retenons un amendement de suppression du premier article. Si vous votez la proposition, l’article deux, la conférence sociale entrera en vigueur mais pas l’article premier sur le recul de l’âge légal et l’abrogation ou alors vous votez contre ce vote bloqué que nous vous proposons, dans ces cas-là l’ensemble du texte tombe. S’ils choisissent un jeu perdant-perdant, nous en tirerons les conclusions. Nous, nous l’avons fait en responsabilité, le président Pancher, le rapporteur de Courson, avec l’ensemble du groupe, nous, nous souhaitons que le vote puisse avoir lieu parce que le Parlement, et particulièrement l’Assemblée nationale, a été empêché de voter, de s’exprimer sur ce texte majeur pour les Français. C’est donc une possibilité pour le gouvernement de saisir une main qui leur permettra enfin de sortir de la crise.

Benjamin Saint-Huile, député Liot du Nord, Palais Bourbon

Le mécanisme que vient de décrire Benjamin Saint-Huile est prévu par l’article 44-3 de la Constitution. Cet article a pour but d’empêcher l’obstruction parlementaire. Au lieu de voter sur chaque amendement et chaque article, on procède à un vote unique sur une partie du texte, voire l’intégralité de celui-ci, en reprenant les amendements avec lesquels le gouvernement est d’accord. Même si les députés les ont rejetés.

Manœuvre imparable

Ce qu’il faut retenir, c’est que dans ce scénario, les députés sont perdants, quoi qu’ils fassent. S’ils votent pour le texte auquel le gouvernement aura joint un amendement supprimant l’article 1, qui lui-même abroge le report à 64 ans, l’âge de départ en retraite ne bougera pas, il restera à 64 ans. S’ils votent contre le texte ainsi amendé par le gouvernement, la discussion s’arrête là. En effet, l’article 44-3 prévoit expressément que les articles de la proposition de loi et les amendements soumis au vote bloqué sont ensuite définitivement écartés des débats. C’est pour cela que Benjamin Saint-Huile dit que le texte tombe. C’est l’expression consacrée dans le jargon parlementaire.

Sur le plan juridique, la manœuvre est imparable. C’est une arnaque, mais elle est conforme à la Constitution. Reste le coût politique. Il est minime. Le gouvernement aura beau jeu de dire qu’il n’a pas empêché le débat, puisque le texte aura été examiné en séance. De la même façon, il pourra soutenir que les députés se sont prononcés. Et l’opinion, peu avertie des traquenards de la Constitution de la Ve République, retiendra au final qu’il n’y a pas eu de majorité pour voter l’abrogation de la réforme. Alors même que le texte initial aura été complètement modifié par le gouvernement.

Faites le test. Qui se souvient encore que le Sénat a adopté la réforme des retraites, début mars, en utilisant justement la procédure du vote bloqué ? Mais ce n’est pas le seul coup fourré qui se prépare.

Propos alarmants

Dimanche 21 mai, sur France 3, Laurent Marcangeli, député de la Corse-du-Sud et président du groupe Horizons – les partisans d’Édouard Philippe – a tenu des propos alarmants.

Pour bien comprendre l’avertissement de Laurent Marcangeli, il faut rappeler que trois députés corses siègent sur les bancs du groupe Liot. Par ailleurs, depuis un an, le gouvernement négocie un statut d’autonomie pour l’île avec la collectivité de Corse. Statut qui serait inscrit dans la Constitution en 2024.

Vous leur dites : si vous voulez discuter avec nous de l’avancée de la Corse, de l’autonomie de la Corse, il faut peut-être ne pas voter cette proposition de loi ?

Non, ça je ne me permettrais pas de leur dire. On est dans une situation politique qui est compliquée, tout se tient. Si demain on est dans une crise politique, si demain il y a un gouvernement qui tombe, l’avenir de la Corse à travers la réforme qu’ils appellent de leurs vœux, me semble un peu moins certain.

Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons, France 3, 21 mai 2023

« Pression inacceptable »

Les propos du président du groupe Horizons ont naturellement fait bondir les députés de l’opposition.

Quand j’entends par la bouche du président d’Horizons que le dialogue avec la Corse sur les institutions corses, sur le cheminement démocratique souhaité sur l’Île de beauté, était conditionné par le vote, ou non, des députés corses sur la réforme des retraites je me dis que c’est une pression inacceptable, pas conforme à la Constitution et qui est une ligne rouge pour nous à ne pas franchir.

Sébastien Jumel, député GDR-Nupes de Seine-Maritime, Palais Bourbon

On arrive à des députés de la majorité qui font du marchandage régionaliste. Mais c’est totalement absurde, c’est scandaleux et j’espère que ses collègues de la majorité condamnent ce type de propos parce que ce n’est pas comme ça que se positionnent les parlementaires. On n’est pas à acheter. On est libres de nos votes.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Palais Bourbon

Amicale pression

Pure Politique est allé demander à Laurent Marcangeli s’il ne craignait pas d’être allé trop loin dans son expression, dimanche.

Il y a aujourd’hui des gens qui sont dans la famille politique nationaliste qui ne comprennent pas pourquoi est-ce que les députés nationalistes corses épousent avec autant de vigueur et autant de force la cause de Charles de Courson, qui n’a pas toujours été un ami de la Corse, loin s’en faut, il suffit juste de regarder ce qu’il s’est passé vingt-cinq ans en arrière. Ils ne comprennent pas pourquoi est-ce qu’il y a autant de vigueur pour aller combattre un gouvernement avec lequel par ailleurs nous discutons en vue de trouver des solutions pour la Corse aujourd’hui et surtout demain. Moi j’ai voulu le dire parce que je sais ce qu’il se passe aujourd’hui. Il y a des positions qui sont un peu figées, qui sont un peu tendues.

Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons, Palais Bourbon

Cependant, l’amicale pression de Laurent Marcangeli ne semble pas avoir fonctionné. Écoutez Bertrand Pancher, le président du groupe Liot :

Les élus corses ont répondu eux-mêmes en leur disant que ce n’est pas ce qui leur ferait changer leurs positions sur la loi sur les retraites et ils ont expliqué qu’il ne fallait surtout pas mélanger les combats, qu’il y avait une vraie priorité en Corse c’était d’avancer sur la question institutionnelle. On prend de plus en plus de retard. Et je voudrais aussi inviter mon collègue Marcangeli, la majorité relative a pesé sur le gouvernement pour faire en sorte que ça avance dans cette direction.

Bertrand Pancher, député de la Meuse et président du groupe parlementaire Liot, Palais Bourbon

Faire sauter l’article 1

Le 31 mai, la proposition de loi sera examinée par la commission des Affaires sociales. C’est dans une semaine. Déjà, la présidente de ladite commission, la députée Renaissance Fadila Khattabi, a saisi Éric Coquerel, le président de la commission des Finances, sur la recevabilité financière de la proposition de loi du groupe Liot. Le 25 mai, au micro de Sud Radio, Yaël Braun-Pivet a mis un petit coup de pression sur l’insoumis :

Il appartient au président de la commission des Finances qui est saisi de cette question de l’article 40 de prononcer l’irrecevabilité en ce que, de toute évidence, le texte de loi constitue une charge pour nos finances publiques et donc contrevient à cet article. C’est sa mission, et j’espère que comme moi il l’a remplira pleinement.

Yaël Braun-Pivet, députée Renaissance des Yvelines et présidente de l’Assemblée nationale, Sud Radio, 25 mai 2023

Éric Coquerel se prononcera avant le 31 mai. Sauf coup de théâtre, il devrait conclure à la recevabilité de la proposition de loi.

Les députés Renaissance et leurs alliés espèrent faire sauter en commission des Affaires sociales l’article 1, celui qui abroge le report de l’âge de départ à 64 ans. Objectif de la manœuvre, contraindre l’opposition à déposer en séance, le 8 juin, un amendement qui rétablirait l’article. La présidente de l’Assemblée nationale aurait alors toute latitude pour déclarer cet amendement irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. C’est l’hypothèse évoquée par certains médias ces jours-ci.

Obstacle de taille

Mais ce scénario se heurte à un obstacle de taille. Il créerait un précédent dont l’opposition ne manquerait pas de s’emparer. Les propositions de loi émanant des députés qui soutiennent le gouvernement pourraient se voir opposer à leur tour le fameux article 40. Justement, ces derniers mois, le gouvernement a tendance à privilégier ce véhicule législatif. À la différence d’un projet de loi qui émane du gouvernement, une proposition de loi déposée par des parlementaires ne nécessite ni l’avis du Conseil d’État, ni la rédaction d’une étude d’impact. Ce qui permet de prendre quelques libertés dans la rédaction.

Bref, retoquer la proposition de loi du groupe Liot au titre de l’article 40, c’est prendre le risque de déclencher une guerre nucléaire qui anéantirait toute initiative législative d’origine parlementaire. Quitte à déplaire à l’exécutif, Yaël Braun-Pivet ne veut pas s’engager dans cette escalade. D’autant qu’elle entame par ailleurs un cycle de discussions sur la réforme des institutions. Un groupe de travail transpartisan est en cours d’installation. Il doit rendre ses conclusions fin juin.

Pas grand risque

L’opposition a prévenu. Sa participation est conditionnée à l’abandon de l’article 40 contre la proposition de loi du groupe Liot.

Le groupe GDR, le groupe communiste, a indiqué qu’il participerait à ces groupes de travail si et seulement si l’article 40 de la Constitution visant à empêcher le vote du Parlement sur la réforme des retraites n’était pas utilisé. Sinon la président de l’Assemblée se retrouverait toute seule à discuter seule avec elle-même sur la réforme des institutions.

Sébastien Jumel, député GDR-Nupes de Seine-Maritime, Palais Bourbon

L’exécutif estime que les Français sont en train de tourner la page des retraites. Il ne court pas grand risque, croit-il, en recourant à des moyens déloyaux pour torpiller le débat. Surtout à la veille des grandes vacances. À charge maintenant pour les oppositions de démontrer que le gouvernement s’est trompé dans ses calculs. Et que la colère est toujours là.

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