Prix des carburants : comment le gouvernement nous manipule

Guillaume Kasbarian, député Renaissance d’Eure-et-Loir et président de la commission des Affaires économiques, lors de la tenue de la commission, le 20 septembre 2023. ©Assemblée nationale

Eurêka. Le gouvernement a trouvé le moyen de faire baisser les prix des carburants. Élisabeth Borne l’a annoncé, samedi 16 septembre, dans Le Parisien. Les distributeurs vont être autorisés à vendre à perte le précieux liquide. C’est-à-dire en dessous de ce qu’il leur a coûté.

À titre exceptionnel sur le carburant et sur une période limitée de quelques mois, nous allons lever cette interdiction, ce qui permettra aux distributeurs de baisser davantage les prix. Avec cette mesure inédite, nous aurons des résultats tangibles pour les Français, sans subventionner le carburant.

Élisabeth Borne, Première ministre, Le Parisien, 16 septembre 2023

Durée de six mois

Où la Première ministre a-t-elle péché cette idée ? Devant son bol de café en écoutant France Inter. C’est le président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale qui le dit.

Le gouvernement a donc annoncé son intention d’intervenir par voie législative. Un projet de loi sera soumis au Conseil des ministres du 27 septembre. Un second article est venu à ce futur projet de loi, il concerne le prix des carburants, qui nous préoccupe tous. Un acteur de la grande distribution, ici présent, a déclaré le 12 septembre sur France Inter, je cite : « Sur le carburant, comme j’achète et je revends, je ne peux pas revendre à perte pour pratiquer le juste prix. Je n’en ai pas le droit contrairement à TotalEnergies par exemple. » Fin de citation. À l’écoute des acteurs économiques, le gouvernement a donc annoncé que les distributeurs de carburant pourraient être autorisés à vendre à perte dès le début du mois de décembre pour une durée de six mois. Cette disposition sera intégrée dans le texte initial du projet de loi qui nous sera soumis. Elle devrait pleinement satisfaire ceux qui ne se privent de dire dans les médias, la main sur le cœur, qu’ils dirigent une ONG qui aimerait tant baisser les prix mais que la loi les en empêche.

Guillaume Kasbarian, député Renaissance d’Eure-et-Loir et président de la commission des affaires économiques

Distributeurs au pied du mur

Qui est l’acteur économique en question ? Il s’agit de Dominique Schelcher, le PDG de Système U.

Je ne suis pas producteur de carburant. Je suis un commerçant, j’achète et je revends. J’ai un prix d’achat, je rajoute les taxes, la TVA et toutes les taxes. À un moment je vais moi-même me retrouver, même sans prendre de marge, à plus de deux euros. Et je n’ai pas le droit de vendre à perte. La force de Total, et tant mieux, la force de Total c’est qu’il produit son carburant et qu’il gère sa marge et que donc il peut, lui, à un moment, décider de prendre moins de marge à la production.

Dominique Schelcher, PDG de Système U, France Inter, 12 septembre 2023

Comment ne pas applaudir le gouvernement ? Il met les distributeurs au pied du mur. On va voir ce qu’on va voir, mille millions de mille sabords, comme dirait le capitaine Haddock devant la station-service de Moulinsart. Dans la foulée, le camp présidentiel promet monts et merveilles.

« Geste considérable »

Jusqu’à 47 centimes de moins au litre, assure Pieyre-Alexandre Anglade.

Si on va jusqu’à 25 % de diminution par rapport au prix d’achat, du prix de vente, ça peut être jusqu’à 47 centimes d’économisés sur un litre d’essence pour les Françaises et les Français, et donc c’est un geste considérable.

Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance des Français établis hors de France et président de la commission des affaires européennes, France Info, 17 septembre 2023

Le lendemain, Bruno Le Maire se montre plus prudent.

Ce sera effectif à partir de début décembre, j’espère le 1er décembre, puisque le texte de loi sera examiné à l’Assemblée début octobre. Le temps qu’il soit adopté, cette mesure rentrera en vigueur le 1er décembre. 

Et pour combien de temps ? 

Elle durera six mois, en tout cas c’est la proposition que nous ferons aux parlementaires et ça permettra effectivement de trouver, en fonction de ce que les distributeurs peuvent faire, des carburants moins chers partout en France. C’est ça notre objectif. […] Total a accepté de faire aussi un blocage à 1,99 euros. Nous l’avons obtenu de Total. Donc je ne veux pas m’engager sur un chiffre que je ne suis pas certain de tenir.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, France 2, 18 septembre 2023

Douche froide

Juste après cette émission, le ministre de l’Économie et des Finances rencontre les dirigeants de Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U, Casino et Auchan. C’est la douche froide. Les patrons de la grande distribution indiquent au ministre qu’ils se refusent à vendre à perte sur les parkings de leurs hypermarchés. Le lendemain, lors de leur audition par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, ils se montrent tout aussi catégoriques. Interpellé à propos de son intervention sur France Inter, le PDG de Système U se défend. 

J’ai répondu à une question de Léa Salamé sur : « Mais pourquoi messieurs les distributeurs vous ne pouvez pas faire comme Total et vous ne pouvez pas plafonner le prix ? » C’est à cette question que j’ai répondu en expliquant le mécanisme, c’est vrai je l’ai fait plusieurs fois, en expliquant simplement ce mécanisme. Jamais je n’avais dans la tête de le regretter ou de demander de changer ce fonctionnement. Il y a une incompréhension là-dessus. Je n’ai jamais, vous ne trouverez aucune déclaration de ma part qui dira : « On appelle à remettre en cause le seuil de revente à perte ».

Dominique Schelcher, commission des affaires économiques, 20 septembre 2023

« Distorsion de concurrence »

Ses concurrents tiennent le même discours.

Si je me mets à vendre à perte de l’essence, je fragilise l’ensemble de l’équilibre que je viens de vous décrire, donc nous continuerons à nous battre avec des opérations à prix coûtant, mais notre modèle ne nous permet de vendre à perte.

Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, commission des affaires économiques, 20 septembre 2023

On ne va pas l’utiliser, cette possibilité-là, parce qu’à un moment, si on fait ça, on va augmenter le prix des pâtes. Donc on n’est pas complètement cinglés. Bien évidemment, on nous propose le dispositif mais vous pensez bien que, en plus il y a… là pour le coup je vous parlais de la distorsion de concurrence avec l’action, on est dans les territoires, on n’a aucun intérêt à tuer le petit pompiste qui ne pourra pas évidemment le faire.

Thierry Cotillard, PDG du groupe Les Mousquetaires, commission des affaires économiques, 20 septembre 2023

« Effort collectif »

Mais ces refus en cascade n’empêchent pas Olivier Véran, au même moment, de vanter le projet de loi annoncé par Élisabeth Borne.

Vous entendez, nous entendons régulièrement, des responsables de la distribution dire que parfois ils sont gênés par des normes, que parfois l’État les empêche de faire davantage de gestes à destination des consommateurs. Nous entendons ce message, nous proposons de lever un certain nombre de contraintes pour une période déterminée, pour une période donnée de six mois. Et nous proposons donc à ceux qui le souhaitent, sans aucune obligation d’achat pour reprendre la formule, de participer à cet effort collectif.

Pour l’instant il n’y a pas eu de propos en ce sens. 

Nous verrons encore une fois comment les uns et les autres se positionneront de manière pratique.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, Conseil des ministres, 20 septembre 2023

Se défausser sur les distributeurs

Pourquoi le porte-parole du gouvernement s’obstine-t-il à faire semblant de croire que les distributeurs sont disposés à vendre à perte leur carburant ? Parce que l’objectif du gouvernement est de se défausser sur ces derniers. Si Élisabeth Borne voulait vraiment baisser les prix de l’essence et du diesel, elle pourrait commencer par les bloquer, ou encore réduire les taxes sur le carburant qui représentent jusqu’à 60 % du prix payé par l’automobiliste. 

Mais de tout ça, il n’est pas question. La grande distribution a le dos large. Autant en profiter. C’est ce qui s’appelle de la gesticulation médiatique. Vous allez voir, bientôt, Olivier Véran nous appellera à envahir les stations-service. Comme Fabien Roussel nous incitait déjà à le faire, la semaine dernière. Avec le succès que l’on sait.

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