Motion de censure : les socialistes ont manqué à l’appel

Boris Vallaud, président du groupe Socialistes et apparentés, à l’Assemblée nationale le 16/01/2025 ©PurePolitique

Ils n’ont été que 131 députés à vouloir censurer François Bayrou. Les 71 élus insoumis, 36 écologistes sur 38 et 16 communistes sur 17. Mais les socialistes ont manqué à l’appel. Sur les 66 députés du groupe, il ne s’est trouvé que 8 parlementaires pour enfreindre la tardive consigne de vote de leur parti. Si le PS a choisi de ne pas censurer le gouvernement, c’est parce qu’il estime que la négociation avec ce dernier n’est pas terminée. Olivier Faure s’en est expliqué dans son intervention à la tribune.

Depuis dix jours, nous sommes entrés en négociation avec vous et vos ministres. Nous avons fait ce choix, non pour négocier une place, obtenir un ministère ou un avantage quelconque, nous l’avons pris pour vous arracher des concessions qui n’auraient pas vu le jour sans cette discussion. Nous n’avons pas la négociation honteuse.

Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du Parti socialiste, le 16/01/2025

Le patron des socialistes a ensuite énuméré ses prises de guerre.

Grâce à la négociation, il n’y aura pas de retour du gel des pensions de retraites en 2025, pas d’augmentation des taxes sur l’électricité, pas de déremboursement des consultations chez le médecin et pas d’aggravation du déremboursement des médicaments.

12 000 postes de personnels soignants hospitaliers créés ou maintenus. Pas de passage de un à trois jours de carence dans la fonction publique. Pas de suppression de 4 000 postes d’enseignants. 2 000 créations de postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap. Pas de baisse du budget des outre mers comme le proposait le budget Barnier. L’extension du prêt à taux zéro au neuf et à tout le territoire. Et les maires seront financièrement aidés, incités à construire plus de logements sociaux.

Nous avons également obtenu le minimum de justice fiscale, la spéculation financière, les dividendes seront mieux taxés, le crédit impôt recherche, la niche fiscale la plus coûteuse, sera limité. Et les patrimoines les plus insolents seront à nouveau taxés.

Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du Parti socialiste, le 16/01/2025

Un inventaire qui a sans doute fait pencher la balance au sein du bureau national du parti. Car beaucoup d’indécis se sont dit qu’il était peut-être possible de pousser l’avantage encore plus loin. A preuve ce qu’il s’est passé mercredi au Sénat avec Patrick Kanner, le président du groupe socialiste.

Nous vous avons demandé de revenir sur la suppression de 4 000 postes de professeurs, de diminuer le nombre d’élèves par classe, d’améliorer l’accueil des élèves en situation de handicap, de revaloriser le salaire des enseignants et des personnels qui œuvrent dans les établissements, et d’améliorer la mixité sociale et scolaire. Là encore, à question simple réponse simple. Annulez-vous la suppression des 4 000 postes ?

Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat, le 15/01/2025

Réponse de François Bayrou.

Je veux faire un geste de bonne volonté. Il y a cette proposition de la suppression de 4 000 postes dans l’Éducation nationale. Je suis prêt à renoncer à cette proposition de la suppression des 4 000 postes.

François Bayrou, Premier ministre, le 15/01/2025

François Bayrou se plie aux exigences des socialistes

Il suffisait de le demander… Ce jeudi matin, un courrier du Premier ministre est venu confirmer les engagements de Matignon. Un récapitulatif des concessions. La liste a été lue comme un formidable aveu de faiblesse de l’exécutif. Car jamais dans l’histoire de la Ve République on n’a vu un Premier ministre coucher par écrit ses promesses, surtout lorsqu’elles s’adressent à l’opposition.

Certes, dans ce tableau, il manque la mesure emblématique : la suspension de la réforme des retraites. Le marqueur qui aurait fait taire tous les procès en trahison du Nouveau Front Populaire par les socialistes. Mais là aussi, François Bayrou a lâché du lest. Alors qu’auparavant il n’envisageait que deux issues à la conférence sociale qui s’ouvre demain sur le financement des retraites, hier, au Sénat, il a ouvert une troisième porte.

Désaccord : on en reste au texte actuel. Accord complet : on fait un texte de loi. Accord partiel : on traduit l’accord partiel dans un texte d’amélioration de notre système de retraite.

François Bayrou, Premier ministre, le 15/01/2025

“C’est insuffisant” a répondu aujourd’hui Olivier Faure.

Accord ou pas accord, nous souhaitons que le Parlement ait le dernier moment. Nous allons donc donner toute ses chances à la négociation. Mais que personne ne s’y trompe. Si nous avons le sentiment que le débat est verrouillé et ne permet pas d’aller au bout des alternatives, nous déposerons une motion de censure.

Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du Parti socialiste, le 16/01/2025

Alors, qui balade qui dans cette affaire ? Les socialistes sont-ils en train de dîner avec le diable ? Ce qu’il ne faut jamais faire, même avec une longue fourchette comme le rappelait Jean-Luc Mélenchon dans une note récente. Surtout, s’il n’y a que des miettes au menu, pour filer la métaphore insoumise jusqu’au bout. Ou bien, tout simplement les socialistes tentent-ils de donner sa chance au produit – quand bien même François Bayrou n’est plus de première fraîcheur – au risque de fracturer le Nouveau Front Populaire. Quoi qu’il en soit, le PS ne pouvait plus rentrer au bercail après l’ultimatum de Jean-Luc Mélenchon.

Trahison ou pas trahison ?

Devant quelques journalistes, le chef de file des insoumis a menacé les députés qui ne voteraient pas la censure de présenter un candidat LFI dans leur circonscription le moment venu. Cette menace a été vécue comme l’oukase de trop. Y compris parmi les députés qui étaient tentés de censurer le gouvernement, ce qui est un comble. Pour Éric Coquerel, les socialistes sont passés de l’autre côté de la barricade.

Insoumis, écologistes, communistes et ultramarins sont ensemble pour voter la motion de censure. Ca, c’est le premier constat. Vis-à-vis du PS, et de tous ceux qui d’ailleurs soit disant dans l’opposition ne vont pas voter cette motion de censure, je rappelle que cette motion de censure remplace un vote de confiance, c’est-à-dire qu’elle remplace le vote qu’aurait dû proposé monsieur Bayrou pour à la fois déterminer le périmètre de sa majorité.

Je considère qu’à ce stade, ceux qui ne la votent pas de facto sont dans une majorité sans participation au gouvernement. C’est le bilan que j’en tire. Ça pourra peut-être évoluer mais aujourd’hui voilà la chose. Ça veut dire un renversement d’alliance. C’est ça qui est en train de se faire. De la part du Parti socialiste, et en plus très franchement pour un enfumage total.

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 16/01/2025

Mathilde Panot prévient que l’attitude des socialistes ne restera pas sans lendemain.

Il y aura de lourdes conséquences à ce qu’il s’est passé aujourd’hui. Ces conséquences, nous devrons en discuter dans les jours qui viennent, donc je ne peux rien vous dire pour le moment. Je peux juste vous dire que le Parti socialiste encore une fois s’est rangé du côté du problème, du côté d’Emmanuel Macron.

Et lorsqu’Olivier Faure disait seulement en août dernier, ça ne date pas d’il y a trois ans, ça ne date pas d’il y a dix ans, lorsqu’il disait en août dernier “nous ne serons jamais les supplétifs de la macronie et nous n’offrirons jamais le scalp du Nouveau Front Populaire à Emmanuel Macron et les différents gouvernements qu’il porte”, eh bien c’est exactement ce qu’on fait aujourd’hui ceux qui n’ont pas voté la censure.

Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 16/01/2025

Boris Vallaud, le président du groupe socialiste estime en revanche qu’il n’y a pas de renversement d’alliance.

Nous demeurons une opposition intransigeante à chaque fois qu’il en va des principes. Une opposition qui se bat, qui ne confond pas sa droite et sa gauche. Mais qui veut être utile aujourd’hui et pas seulement dans 30 mois. Nous ne changeons pas d’alliance, nous ne changeons pas de camp, nous demeurons dans l’opposition et cela demeure parfaitement clair. Et ce gouvernement demeurera toujours, face à nous et à nos exigences, d’une certaine manière en sursis.

Boris Vallaud, président du groupe Socialistes et apparentés, le 16/01/2025

Pas de panique à gauche

Du côté des écologistes, on ne veut voir dans ces votes divergents qu’un coup de canif dans un contrat de mariage qui resterait en vigueur.

Nous nous refusons de rentrer dans une logique où il y aurait, comme on peut l’entendre ces derniers jours, d’un côté la gauche de la vocifération et de l’autre la gauche de la trahison, ceux qui travaillent et ceux qui braillent ou je ne sais quoi. Pour nous il y a une gauche et les écologistes qui doivent rester unis.

Nous, nous avons considéré que le compte n’y était pas pour ne pas censurer François Bayrou parce qu’il y a monsieur Retailleau de la droite radicalisée au gouvernement qui pousse chaque jour plus loin les provocations, parce que sur la réforme des retraites nous considérons quand même que le risque au bout de ce processus c’est qu’on reste avec la réforme d’Elisabeth Borne et que les Français partent à la retraite à 64 ans.

Parce que la présidente Chatelain l’a dit, il y a une trajectoire austéritaire qui va faire peser sur les services publics et les solidarités bien des drames pour les Françaises et les Français. Mais nous respectons évidemment les positions de chacune et de chacun. Vous savez, l’histoire de ce parlement, de ces murs, l’histoire de la gauche, elle est faite de nuances, parfois de désaccords, mais nous n’avons aucun doute sur le fait que nous arriverons à nous retrouver autour de ce qui nous rassemble.

Benjamin Lucas, député Écologiste et social, le 16/01/2025

Si l’on s’en rapporte à l’histoire récente, on doit convenir que Benjamin Lucas peut raisonnablement se montrer optimiste. A la veille des Européennes, la Nupes était donnée pour morte. Cela n’a pas empêché le Nouveau Front Populaire de surgir des décombres. Face à l’extrême droite, la gauche s’est toujours rassemblée. Le Rassemblement national, justement, se montrait amer. A la différence de Michel Barnier qui avait placé sa survie entre les mains de l’extrême droite, François Bayrou a préféré ignorer le groupe lepéniste.

Du coup Jean-Philippe Tanguy a choisi de mettre tout le monde dans le même panier.

Evidemment que le Parti socialiste a rejoint la majorité. Mais c’était écrit d’avance, parce que je rappelle qu’Emmanuel Macron vient du Parti socialiste. Que madame Borne, que monsieur Attal viennent du Parti socialiste. A partir du moment où le macronisme procédait du socialisme il avait une grande chance d’y retourner.

D’ailleurs moi je l’avais dit le soir de l’élection législative. J’avais dit que ce n’était qu’une question de temps avant que les socialistes trahissent. Parce qu’ils n’ont rien obtenu contrairement au Rassemblement national qui pose des lignes rouges très claires, les socialistes avaient besoin, eux, d’excuses. Donc ils ont eu leurs excuses pour trahir, et maintenant ils préparent la seule chose qui compte pour eux ce sont les élections municipales.

Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 16/01/2025

Le Rassemblement national se retrouve isolé

Jean-Philippe Tanguy ne manque pas de toupet. Car les députés du Rassemblement national n’ont pas voté la censure. Doit-on alors les considérer comme des soutiens du gouvernement ? Objectivement, ils le sont. Et, à la différence du Parti socialiste, ils n’ont obtenu aucune concession en échange de leur refus de censurer le gouvernement. Quant au MoDem, ses représentants étaient touchés par la grâce.

Les Français attendent ça de nous. Ils attendent une responsabilité. Ils n’attendent pas qu’on applique à la lettre l’intégralité d’un programme dont on n’a pas la majorité. Cette façon de travailler, une façon nouvelle de travailler que l’on retrouve dans les pays anglo-saxons, qu’on trouve en Allemagne par exemple, vous avez trois coalitions très régulièrement, en Hollande, vous avez 5 partis qui forment le gouvernement.

Il faut apprendre à faire des efforts, à se faire mal, pas pour soi mais pour les Français et pour les Françaises.

Bruno Fuchs, député MoDem, le 16/01/2025

Jusqu’où ira cette culture du compromis. Et surtout, jusqu’à quand tiendra-t-elle ? Le débat budgétaire pourrait rapidement remettre à l’heure toutes les pendules. Aussi bien à gauche qu’à droite.

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