Une marche contre l’antisémitisme organisée

Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, à l’Assemblée nationale, le 7 novembre 2023. ©Purepolitique

La marche contre l’antisémitisme prévue dimanche 12 novembre entre l’Assemblée nationale et le Sénat a de fortes chances de ressembler à une rame de métro au plus fort de l’épidémie de Covid. Souvenez-vous, c’était l’époque où chacun cherchait à se tenir le plus éloigné possible des autres voyageurs. 

Cette manifestation appelée par Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, et Gérard Larcher, le président du Sénat, est en train de tourner au casse-tête pour les états-majors politiques. Pourtant, défiler pour dénoncer la recrudescence des actes antisémites depuis le 7 octobre ne devrait pas poser de problème. Sur le papier, du moins. Mais voilà, le RN veut venir.

« Défense des valeurs d’humanisme »

Mardi 7 novembre, alors que la manifestation en était encore au stade du bruit de couloir, Jean-Philippe Tanguy nous annonçait la participation de son mouvement. 

Si c’est les deux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat qui proposent cette marche et qui l’organisent, cela me semble une bonne nouvelle car il faut bien dire que depuis l’agression et la terreur du 7 octobre, il n’y a eu seulement qu’une seule manifestation de soutien envers Israël et suite aux événements qui se sont produits, la vague d’antisémitisme à travers le monde, et en particulier en France, il n’y a pas eu encore de manifestation de soutien. Donc si effectivement c’est vraiment une marche de rassemblement qui vise à dépasser les clivages pour la défense des valeurs de la France et des valeurs d’humanisme, moi je serai là en tout cas.

Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, Assemblée nationale, 7 novembre 2023

Décision confirmée le lendemain matin par Marine Le Pen.

J’y participerai, Jordan Bardella y sera, l’ensemble de nos élus y seront, et j’appelle d’ailleurs l’ensemble de nos adhérents et de nos électeurs à venir se joindre à cette marche.

Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, RTL, 8 novembre 2023

Banalisation consacrée

C’est là que ça coince très fort. Tout le monde a compris que cette participation allait consacrer la banalisation du Rassemblement national. L’antisémitisme des fondateurs du Front national reste le dernier fil visible qui relie le RN à l’extrême droite. Pour le reste, Marine Le Pen s’est employée depuis 2011 à ripoliner le parti au point que, désormais, selon les instituts de sondage, il effraie moins que La France insoumise. Mais les habits neufs du RN n’empêchent pas les dérapages. Comme celui de Jordan Bardella dimanche.

Moi je vous pose une question précise sur l’héritage du Front National devenu Rassemblement national dirigé pendant près de quarante ans par Jean-Marie Le Pen.

La rupture politique entre Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen en 2015 a précisément eu lieu sur la question de l’antisémitisme, allant même jusqu’à exclure son propre père. 

Jean-Marie Le Pen est antisémite ? 

Je ne crois pas. Je ne sonde pas les cœurs et les reins, et je ne le crois pas. 

Vous ne croyez pas que Jean-Marie Le Pen est antisémite ? 

Non, je ne le crois pas.

Jordan Bardella, député européen et président du Rassemblement national, BFMTV, 5 novembre 2023

Pas sa place

Ainsi, malgré ses multiples condamnations, Jean-Marie Le Pen n’aurait pas été antisémite. On se demande bien pourquoi sa fille aurait rompu les ponts, alors… Jordan Bardella a du mal à tuer le grand-père. 

Mercredi 8 novembre, Olivier Véran a affirmé que le RN n’avait pas sa place dans le défilé de dimanche. 

Le Rassemblement national, par la voix de son président Jordan Bardella, a eu l’occasion il y a quelques jours de faire le choix. Le choix de couper avec son histoire, avec les racines antisémites de ce parti d’extrême droite, ou bien le choix de couper avec la République. Nous avons entendu ce qu’a dit Jordan Bardella qui ne savait pas si les propos, si Jean-Marie Le Pen était antisémite. La justice française a répondu à cette question en condamnant Jean-Marie Le Pen pour antisémitisme. De ce fait, en mon sens, le Rassemblement national n’a pas sa place dans cette manifestation.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, Conseil des ministres, Élysée, 8 novembre 2023

Manifester à part

La veille, Stéphane Séjourné, le patron de Renaissance, s’était déjà ému de la présence du RN. Difficile de défiler bras dessus bras dessous dimanche avec celle qui, par deux fois, a été l’adversaire d’Emmanuel Macron à la présidentielle. Et qui a de bonnes chances d’être au second tour de 2027. 

Fabien Roussel est sur une ligne voisine. Mercredi matin, il envisageait de manifester à part. 

Je pense que le Rassemblement national, au regard de son histoire, n’a pas sa place dans un tel rassemblement. Pour ma part, je ne défilerai pas à ses côtés. Nous trouverons les moyens, je vais rencontrer les autres responsables des forces de gauche républicaines. Nous défilerons peut-être à un autre endroit mais pas avec eux. C’est incompréhensible. 

Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste, France 2, 8 novembre 2023

« Soutien inconditionnel au massacre »

Finalement, les communistes défileront avec les socialistes et les écologistes, séparés de l’extrême droite par un « cordon républicain », comme l’annonce un communiqué commun. Cordon républicain qui aura du boulot car Éric Zemmour et ses militants ont annoncé qu’ils se joindraient à la marche. Le cortège d’extrême droite dépassera certainement le stade de la présence symbolique. 

Du côté de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a donné le ton dès mardi soir. 

Cette référence au « soutien inconditionnel » vise expressément la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Elle avait exprimé son « soutien inconditionnel » à Israël au lendemain de l’attaque du Hamas et s’était rendue en Israël avec Éric Ciotti, le président des Républicains et le député Meyer Habib.

Recrudescence des actes antisémites

La patronne des députés écologistes, Cyrielle Chatelain, se montre au moins aussi sévère envers Yaël Braun-Pivet que Jean-Luc Mélenchon. Mais elle ne tire pas les mêmes conclusions que ce dernier.

Sur Yaël Braun-Pivet, on l’a dit, on l’a redit : elle n’aurait pas dû faire ce déplacement, ça a contribué à brouiller le message et la parole de la France dans un moment de crise internationale majeure, donc c’était une erreur. Sur le soutien inconditionnel à Israël, nous ne sommes pas sur cette position. Nous ne sommes pas sur cette position, et ce n’est pas la position traditionnelle de la France. Après, aujourd’hui, la question n’est pas celle du conflit israélo-palestinien, elle est celle de la lutte contre l’antisémitisme. Quel est le bon format ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr c’est que c’est un format qui doit permettre de montrer un soutien, de montrer une parole claire et exigeante sur la lutte contre l’antisémitisme et de rappeler un simple fait : en France il y a une égalité pour tous les Français, quelle que soit leur religion, quelle que soit leur croyance, ils doivent se sentir pleinement protégés, pleinement en sécurité.

Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère et présidente du groupe parlementaire écologiste-Nupes, Assemblée nationale, 7 novembre 2023

Comme le souligne Cyrielle Chatelain, le défilé de dimanche ne concerne pas le conflit israélo-palestinien, mais la recrudescence des actes antisémites en France – plus d’un millier depuis le 7 octobre.

« Une des formes de l’antisémitisme »

Jeudi matin, Yannick Jadot a condamné les propos de Jean-Luc Mélenchon avec des termes assez vifs.

En fait, Jean-Luc Mélenchon, au fond, participe à importer le conflit israélo-palestinien dans notre société en considérant que finalement être contre l’antisémitisme en France c’est justifier les crimes de guerre aujourd’hui du gouvernement Nétanyahou et de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Donc au fond, vous savez, c’est une des formes de l’antisémitisme dans notre pays. Et c’est une faute politique.

Yannick Jadot, sénateur écologiste de Paris, France Info, 9 novembre 2023

Un communiqué de La France insoumise, nettement plus mesuré que le tweet de Jean-Luc Mélenchon, a confirmé, hier, que le mouvement ne participera pas à cette manifestation.

Lutter contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de racisme est impraticable aux côtés d’un parti qui trouve ses origines dans l’histoire de la collaboration avec le nazisme.

Communiqué LFI, 8 novembre 2023

« Réel universalisme »

Mercredi, toujours, Emmanuel Macron n’a pas manqué l’occasion de renvoyer dos à dos La France insoumise et Le Rassemblement national. C’était à l’occasion du 250e anniversaire du Grand Orient de France.

Les uns préfèrent rester ambigus sur la question de l’antisémitisme par souci de flatter de nouveaux communautarismes et les autres prétendent soutenir nos compatriotes de confession juive en confondant le rejet des musulmans et le soutien des juifs, en refusant, ceux-là mêmes, de condamner clairement leurs positions passées et tous les maux définitifs d’hier. Il n’y a pas de lutte véritable contre l’antisémitisme sans un réel universalisme qui voit dans chaque citoyen un être de droits et de devoirs appartenant pleinement, totalement, à la République et la nation.

Emmanuel Macron, président de la République, Paris, 8 novembre 2023

Un temps, l’Élysée avait envisagé que le président prenne la tête de la manifestation. Toutefois, la présence du RN a conduit le château à écarter cette hypothèse. Ce sera Élisabeth Borne qui s’y collera. Après tout, ça la changera des 49-3 à répétition.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.