L’extraordinaire succès de la pétition contre la loi Duplomb embarrasse le gouvernement et l’Élysée

Hélène Laporte, députée « Rassemblement national », le 26/05/2025 ©AssembléeNationale

Jusqu’où grimpera-t-elle ? La pétition réclamant l’abrogation de la loi Duplomb a déjà battu tous les records du genre. En dix jours, elle a recueilli 1,4 million de signatures sur le site de l’Assemblée nationale. Lancée par une étudiante de 23 ans, Éléonore Patty, le texte dénonce la réintroduction d’un pesticide, l’acétamipride appartenant à la famille des néonicotinoïdes.

Ce retour en arrière est réclamé par les producteurs de betteraves et de noisettes. Ils soutiennent qu’il n’existe pas d’autre solution pour protéger leurs récoltes et rappellent que l’acétamipride, interdit en France depuis 2020, est autorisé dans le reste de l’Europe. Ce qui crée une concurrence déloyale. A l’inverse, les apiculteurs mettent en avant les ravages que provoque ce neurotoxique parmi les colonies d’abeilles. Ces dernières, rappelons-le, assurent 80 % de la pollinisation. Les dangers pour l’homme restent à confirmer par des études d’ampleur même si une bonne partie de la communauté scientifique suspecte un risque cancérigène.

D’ores et déjà, en franchissant la barre des 500 000 signatures, la pétition a obtenu le droit d’être débattue dans l’hémicycle dès la reprise des travaux de l’Assemblée nationale. Sous réserve que la commission des affaires économiques puis la conférence qui réunit chaque semaine les présidents de groupe parlementaire et ceux des commissions en soient d’accord. Ce n’est pas gagné.

Moi, j’ai exprimé le souhait qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. J’exprime ma position personnelle de présidente de l’Assemblée nationale. Considérant le nombre de signatures, considérant le débat que cela suscite, je souhaite qu’il y ait un débat.

Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale, le 21/07/2025

Toutefois, ce débat ne sera sanctionné par aucun vote. En aucun cas il ne pourra abroger la loi votée par les députés le 8 juillet.

Un vote intervenu au terme d’un parcours législatif très singulier. Lorsque la proposition de loi votée par le Sénat a été présentée aux députés, le 26 mai, le rapporteur, c’est-à-dire le député qui doit normalement défendre le texte, a joué une étrange partition. Julien Dive a appelé ses collègues à rejeter la proposition de loi. Les Républicains abritaient-ils un traître dans leurs rangs ?

Ce à quoi nous faisons face, c’est une stratégie d’obstruction délibérée, une obstruction massive, revendiquée, assumée, méthodique, qui instaure une rupture de confiance. 3500 amendements ont été déposés dont 1200 propositions qui créent des articles additionnels. Soit une loi désormais de plus de 1200 articles. Non pour enrichir le texte mais pour asphyxier, pour désintégrer le débat. Non pour exercer loyalement le droit d’opposition, mais pour saturer volontairement notre temps parlementaire. J’appelle cela du sabotage organisé.

Un sabotage organisé par la France insoumise et les écologistes qui refusent le débat dès lors qu’il ne leur ait pas acquis. C’est pourquoi, avec les 4 présidents de groupe, monsieur Laurent Wauquiez, monsieur Gabriel Attal, monsieur Marc Fesneau, monsieur Paul Christophe, j’ai choisi de déposer cette motion de rejet préalable.

Julien Dive, Député « Droite Républicaine », le 26/05/2025

Dans cette entreprise, Julien Dive a reçu le renfort du Rassemblement national.

Désormais la stratégie de la gauche est claire : l’obstruction. Avec près de 2400 amendements dilatoires des groupes écologistes, LFI, une discussion sereine est devenue impossible. Dans ces conditions, l’adoption de cette motion est le seul moyen de poursuivre les travaux dans un cadre acceptable. Nous voterons cette motion, et cette motion ne peut passer que parce que le Rassemblement national la vote.

Hélène Laporte, députée « Rassemblement national », le 26/05/2025

De la très mauvaise politique

Mais quel était donc l’objectif de cette déconcertante manœuvre ? Car il s’agit bien d’une manœuvre. Je vous explique. S’agissant d’une proposition de loi transmise par le Sénat, son rejet par l’Assemblée n’entraîne pas sa disparition. Au contraire, son parcours législatif est accéléré. Le texte a été aussitôt renvoyé devant la commission mixte paritaire, la CMP. Cette instance réunit dans une certaine discrétion 7 députés et 7 sénateurs chargés d’élaborer une version de compromis.

Pour le socle commun et l’extrême droite, c’est pain bénit. La droite étant très largement majoritaire au Sénat, elle est également majoritaire – d’une courte tête, cette fois – à la CMP. Voilà comment a été court-circuité le débat à l’Assemblée. Une stratégie qui a bien évidemment fait bondir l’opposition de gauche.

Il n’y a aucun exemple, absolument aucun, dans les annales de l’Assemblée nationale, du détournement de procédure flagrant et manifestement abusif de la motion de rejet, non pour s’opposer au texte mais pour approuver celui du Sénat et mettre fin au débat avant même que le moindre argument écologiste ait pu s’exprimer. C’est sans précédent sous la 5e République.

Cela en dit long sur la honte que vous inspire ce texte. Un texte obscurantiste dont l’auteur, le sénateur Duplomb, considère que le changement climatique est, je cite, “bénéfique”. Une loi d’une portée inédite contre la science, contre l’ANSES, contre la santé publique, contre l’intérêt général. Dans une aversion totale, contraire à la sincérité des débats, chaque voix pour la motion de rejet est donc une voix pour les pesticides et leur cortège de cancers et de maladies neurodégénératives.

Pour les néonicotinoïdes, qui tuent les abeilles, neurotoxiques pour la santé humaine auxquels 83 % des Français sont opposés. Pour les fermes-usines, pour la destruction des zones humides, pour toujours moins d’agricultrices et d’agriculteurs. Toujours pas de revenus dignes, toujours autant de suicides, toujours pas de lutte contre la concurrence déloyale.

49-3, vote bloqué, temps programmé, les moyens de contraindre le débat parlementaire ne manquent pas, mais vous leur préférez le détournement de procédures, sans peur du ridicule ni limite morale, pour faire taire les voix dans vos rangs qui ne se résignent pas à voter pour un poison et avec pour résultat un renversement de souveraineté au profit du Sénat.

Delphine Batho, députée « Écologiste et social », le 26/05/2025

Le bloc central n’a plus de capitaine

Delphine Batho évoque les voix dissidentes au sein du bloc central. De fait, lorsque le texte est revenu le 8 juillet devant les députés après avoir été mouliné par la Commission mixte paritaire, 14 députés du groupe Ensemble pour la République ont voté contre et 10 se sont abstenus.

Gabriel Attal ne contrôle même plus ses troupes. Le 11 juillet, les insoumis, les écologistes et les communistes ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel. Ils estiment que plusieurs articles de la loi Duplomb violent la Charte de l’environnement, la Constitution ou encore la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Quelques jours plus tard, les socialistes ont déposé leur propre recours. Ils mettent en avant l’atteinte au principe de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Le Conseil constitutionnel a un mois pour se prononcer. Du côté du gouvernement, on évite toute provocation.

Du côté de l’Élysée, on commence à s’inquiéter. Le succès de la pétition est interprété comme un signal faible d’un conflit majeur qui pourrait éclater à la rentrée. Conflit social, politique et économique. Jamais le Président de la République n’a été aussi bas dans les sondages. Même pendant la crise des gilets jaunes.

Seuls 19 % des Français sont satisfaits de l’action du chef de l’État selon un sondage de l’IFOP pour le Journal du dimanche. Encore quelques sondages du même acabit et il sera mûr pour faire de la spéléologie dans les Pyrénées avec François Bayrou. Si le président veut éviter l’explosion, il lui reste une carte. Faire appel à l’article 10 de la Constitution qui autorise le chef de l’État à demander une seconde délibération du Parlement.

“Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il peut, avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée.”

Depuis le début de la Ve République, cette disposition n’a été utilisée qu’à trois reprises : en 1983 et en 1985 par François Mitterrand, en 2003 par Jacques Chirac. Il y a des clubs moins bien fréquentés. Le président de la République aura-t-il la sagesse d’entendre l’opinion ? De rétablir un peu de confiance dans les institutions de la République ? Avec lui, on n’est jamais sûr de rien.

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