Les macronistes veulent confisquer la République

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 11 juillet 2023. ©Purepolitique

Qui est dans la République et qui n’en fait pas partie ? C’est la bataille culturelle de ce début d’été. Et ce n’est pas une querelle anecdotique, car cet affrontement idéologique construit les victoires politiques de demain. Le bloc présidentiel tente de se repositionner. Cinq mois de contestation de la réforme des retraites l’ont installé, dans l’opinion, en adversaire du mouvement social. Il incarne la réaction là où, en 2017, il affichait les atours de la modernité. 

Pour briser cette image qui les étouffe, les macronistes et leurs alliés prétendent aujourd’hui confisquer le périmètre de la République. Écoutez Olivier Véran mardi 11 juillet, à l’Assemblée. Il répondait à la députée insoumise Marianne Maximi.

Accaparement de la République

En disant que la police tue, en parlant d’une loi comme d’un permis de tuer, en affirmant que certains bâtiments ne sont pas à détruire mais peut-être en excluant éventuellement d’autres bâtiments, en participant avec l’écharpe tricolore, républicaine, autour du cou à des manifestations interdites par les préfets de la République. Vous vous rendez compte, madame la députée, que vous n’avez pas été à la hauteur et certains de vos partenaires sont là, à nos côtés, pour vous le dire. C’est trop facile, madame la députée, la ficelle est un peu éculée, les Français ne vous croient plus. Si vous voulez rentrer dans le champ républicain, madame la députée, respectez la République, respectez votre mandat et l’écharpe que vous portez et respectez les Français.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Cet accaparement de la République a débuté le 26 avril dernier. Élisabeth Borne présentait sa feuille de route pour les cent jours. Ce jour-là, la Première ministre a évoqué l’existence d’un arc républicain.

Filiation d’Adolphe Thiers

Ce n’est pas un scoop que nous avons une majorité relative. C’est le cas depuis un an. Donc nous allons continuer à rechercher des alliances comme nous le faisons, c’est-à-dire au sein de l’arc républicain. C’est évidemment le travail que fait le gouvernement, que font chacun des ministres pour arriver à bâtir des majorités autour des textes que nous présentons.

Sans le vote des alliés potentiellement situés aux extrêmes de l’Assemblée nationale ?

Je vous confirme que nous cherchons des majorités au sein de l’arc républicain.

Élisabeth Borne, Première ministre, Élysée, 26 avril 2023

Depuis, le camp présidentiel ne cesse de marteler ce clou, car il présente l’immense avantage de transformer ceux qui contestent la politique du gouvernement en ennemis de la République, en factieux. Ce bannissement d’une partie de l’opposition hors des frontières de la République n’est pas une nouveauté. Il s’inscrit dans la filiation d’Adolphe Thiers et l’écrasement de la commune.

Envolée

Voilà pourquoi, sans doute, Éric Coquerel, samedi 8 juillet, lors de la manifestation interdite contre les violences policières, a eu cette envolée :

Nous le disons : la République, ici, c’est nous ! C’est nous !

Éric Coquerel, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis et président de la commission des Finances, manifestation place de la République à Paris, 8 juillet 2023

Mardi 11 juillet, les trois présidents de la coalition présidentielle : Renaissance, Horizons et le Modem, ont écrit à la présidente de l’Assemblée nationale. Ils lui demandaient de prendre des sanctions contre la douzaine de députés insoumis et écologistes qui ont participé au défilé de samedi. 

Mercredi, Yaël Braun-Pivet a livré sa réponse. Pour la présidente, ces comportements « paraissent relever pleinement de l’autorité judiciaire ». L’Assemblée n’est pas « l’instance adéquate » pour prendre des sanctions.

« Ça me sidère »

La veille, mardi, Éric Coquerel se montrait choqué par la démarche des trois présidents de la coalition présidentielle.

Ça me sidère. Ce n’est pas l’Assemblée qui doit pouvoir décider de la manière dont on exerce notre mandat, ce sont les électeurs qui décident si on l’a bien, ou pas, exercé. Moi j’estime que ce jour-là, cette manifestation, ça a été illégitime le fait de la déclarer interdite et que notre devoir de républicains et d’élus était dans cette manifestation de faire en sorte en plus qu’elle se passe bien, parce qu’elle s’est bien passée. Et comme d’ailleurs elle s’est bien passée, le macronisme a essayé de chercher des sujets. Alors là tout d’un coup c’est ce slogan, vous l’avez dit vous même, qu’on entend dans toutes les manifestations. Il aurait fallu qu’on sorte parce qu’il était fait. Écoutez dans ces cas-là il n’y aurait pas eu beaucoup de députés dans les manifestations récemment dans ce pays parce que c’est un slogan qui est souvent repris. Moi je ne le chante pas parce que je l’estime faux mais qui est souvent repris. Vous voyez bien que tout ça… ça va quoi.

Éric Coquerel, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Interdiction systématique

Pour les écologistes, le régime est en train de basculer dans l’interdiction systématique des manifestations. 

On a un gouvernement qui tend de plus en plus à interdire toute manifestation qui pose un problème politique qui ne lui plaît pas. Quand on a des manifestations contre des projets écocidaires, elles sont interdites. Quand on a des manifestations à coups de casseroles contre la réforme des retraites, elles sont interdites. Quand on a des manifestations pour poser la question de l’égalité de traitement des citoyens par la police, elles sont interdites. Pour nous, ce n’est pas acceptable. Oui, c’est aussi notre rôle de participer sereinement, pacifiquement, à ces rassemblements.

Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère et présidente du groupe parlementaire écologiste-Nupes, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Les socialistes, qui n’appelaient pas à la manifestation de samedi, sont peut-être ceux qui ont les mots les plus durs.

Ça s’appelle un coup de com’, mais un coup de com’ malsain parce que c’est ce qui participe finalement à la banalisation de la répression à outrance et notamment envers des parlementaires qui n’ont fait que leur devoir ou ce qu’ils estimaient être juste. Et quand on est un parlementaire, on a une liberté de circulation dans le pays, on a le droit d’aller dans les prisons, on a le droit d’aller dans les lieux de privation de liberté, on a le droit de se rendre partout où on semble voir notre place être juste. Il y a aujourd’hui une dérive illibérale du pouvoir qui devrait se ressaisir parce que c’est trop grave, parce que derrière, en fait, l’exemple qu’ils donnent peut être utilisé pour, finalement, des régimes plus répressifs.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Pas trop d’illusions

À vrai dire, dans le camp présidentiel, on ne se faisait pas trop d’illusions sur la possibilité d’engager des sanctions pour des faits qui se sont déroulés hors des murs de l’Assemblée. Bruno Millienne le reconnaissait sans peine.

À mon sens, je ne pense pas. C’est simplement la manifestation de notre désaccord, de notre courroux sur ces pratiques systématiques depuis un an, amplifiées en plus de puis maintenant qu’ils sont 75, je pense à La France insoumise dans l’hémicycle. S’ils ne veulent pas se rendre compte qu’à chaque outrance supplémentaire c‘est une voix de plus pour le Rassemblement national, qu’ils continuent comme ça.

Bruno Millienne, député MoDem des Yvelines, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Au sein de Renaissance, certains plaidaient d’ailleurs pour qu’on inflige une contravention de 4e classe (135 euros) aux députés présents à la manif. 

Rassurer les forces de l’ordre

Au-delà de savoir ce que l’Assemblée nationale va décider pour ces agissements, je pense que de façon très claire il y a un sujet contraventionnel. Ils étaient dans une manifestation interdite, et donc il y a un enjeux contraventionnel qui dépasse le cadre de notre Assemblée nationale.

Prisca Thevenot, député Renaissance des Hauts-de-Seine, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Mais, à travers cette demande de sanctions, il s’agissait aussi de rassurer les forces de l’ordre. 

Les Français attendent de nous une exemplarité, la plus forte. Ce n’est pas toujours facile à faire. Mais aller à une manifestation interdite pour cause de troubles à l’ordre public, aller à une manifestation anti flics, il faut appeler un chat un chat puisque c’était le thème et on a entendu les slogans, je trouve que c’est gravissime quand on porte l’écharpe tricolore et je pense que les Français sanctionneront ces députés, c’est comme ça que ça marche dans notre démocratie, mais peut-être que l’Assemblée nationale doit aussi les sanctionner. Il faut en tous les cas qu’elle regarde si le règlement le permet.

Jean-René Cazeneuve, député Renaissance du Gers et rapporteur de la commission des finances, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

LR et RN en désaccord

Sans doute le bloc présidentiel espérait-il que la droite et le RN allaient lui emboîter le pas. Eh bien pas du tout.

Je pense que l’Assemblée nationale ce n’est pas une cour d’école. Évidemment je condamne leur participation. Je voudrais aussi rappeler qu’il y a un petit sujet du côté du ministre de l’Intérieur. À ma connaissance, c’est la première fois que quand le ministre de l’Intérieur interdit une manifestation, il laisse les gens manifester. À quoi ça rime ?

Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Je suis en désaccord total avec les déclarations des députés insoumis, à la manifestation en cause. Mais il n’y a que le peuple français qui peut juger un député et sûrement pas la présidente de l’Assemblée macroniste, qui s’est déshonorée en bloquant la loi sur les retraites. Tout ça est une dérive insupportable.

Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne et président de Debout la France, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Marine Le Pen mesurée et magnanime

Marine Le Pen s’est même offert le luxe d’apparaître mesurée et magnanime.

Je suis totalement opposée à l’idée de sanctions de députés. Voyez, à la différence de tous les autres, La France insoumise comprise d’ailleurs, j’ai des principes. Comme j’ai des principes, je les applique aussi à mes adversaires politiques. Je considère que les seuls qui peuvent sanctionner des députés, ce sont les électeurs. Pour des faits évidemment et pour des activités qui sont des activités politiques.

Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, Assemblée nationale, 11 juillet 2023

Cette sollicitude appartient au registre du baiser qui tue. En prenant la défense de La France insoumise, l’ancienne candidate à la présidence de la République sait bien qu’elle embarrasse davantage ses dirigeants qu’elle ne vient à leur secours. Car Renaissance aura beau jeu de dénoncer une nouvelle fois la collusion des extrêmes. Ce qui est certain, c’est qu’on n’a pas fini de se disputer le drapeau de la République.

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