Les députés se prononcent pour la confiscation des avoirs russes mais de nouvelles fractures émergent à l’Assemblée nationale

Sophia Chikirou, députée LFI, le 12/03/2025 ©Assembléenationale

Il y a encore quelques semaines, le monde politique français était simple. D’un côté, il y avait ceux qui voulaient prendre aux riches pour donner aux pauvres et, de l’autre, ceux qui voulaient plumer les pauvres pour que les riches le restent. Robin des bois face à Oncle Picsou. Tout ça avec des nuances, bien sûr. Mais depuis le traquenard tendu par Trump à Zelensky dans le Bureau ovale, tout a basculé. Dans le monde. Mais aussi en France. Les repères politiques sont brusquement devenus obsolètes. Le débat qui s’est tenu hier, mercredi, à l’Assemblée l’a mis en évidence. Les députés étaient appelés à se prononcer sur une résolution sur le renforcement du soutien à l’Ukraine. Un texte porté par le groupe centriste LIOT.

La Russie, si les garanties de sécurité ne sont pas assez fortes, continuera à nous menacer, revendiquant plus globalement une sphère d’influence dans son “étranger proche” comme le dit le président Poutine et comme il l’a dit à plusieurs reprises.

Ensemble, disons “non” à un esprit de Munich qui parfois plane. Si la guerre n’est plus aux portes de la France mais de l’Europe, nous devons considérer que c’est la même chose. Il s’agit bien là de nos frontières. Disons “non” au fascisme sur notre continent et à son retour, “non” aux dirigeants d’un autre siècle avec leurs plans d’expansion que nous pensions rangés au plus profond des heures sombres dans nos livres d’histoire.

Laurent Mazaury, député LIOT, le 12/03/2025

Une résolution pour découvrir de nouvelles fractures

Cette résolution ne contraint pas le gouvernement. Mais elle constitue un bon indicateur sur les nouvelles lignes de fracture de l’Assemblée. Désormais, celle-ci se partage entre les va-t-en-guerre et les capitulards pour reprendre le délicat vocabulaire entendu durant les débats. Le texte de la résolution a été adopté par 288 voix. Les députés de la France insoumise et la majorité du groupe communiste ont voté contre. Le Rassemblement national et ses alliés ciottistes se sont abstenus. Tous les autres groupes ont voté pour.

S’il n’aura que peu de suites dans l’immédiat, ce débat a permis de faire l’inventaire des arguments des uns et des autres sur la guerre et le réarmement. Une séance de rattrapage pour qui n’aurait pas la faculté de passer l’essentiel de sa vie éveillée devant les chaînes info. C’est-à-dire l’écrasante majorité d’entre nous. Commençons avec les communistes. Pour le porte-parole du groupe, la résolution soumise au vote est une manœuvre.

La proposition de résolution que nous devons étudier s’apparente en réalité à un renforcement du soutien à la guerre. Elle vise aussi à faire exister Emmanuel Macron sur la scène internationale. La France n’est pas en guerre militairement avec la Russie. L’Europe non plus. Présenter la situation actuelle de cette manière de la part du président de la République est une dramatisation de la menace que représente la Russie. La seule raison : effrayer la population pour préparer les esprits à la guerre.

Jean-Paul Lecoq, député GDR, le 12/03/2025

“Pas du tout” lui a rétorqué Constance Le Grip pour le groupe Ensemble pour la République.

Ce qui se joue en Ukraine, ça n’est pas seulement la liberté, l’indépendance, la souveraineté d’une nation qui aspire à un destin de liberté et de démocratie. C’est la sécurité et la liberté de l’Europe, de notre pays, qui se joue. Qui ne voit, en effet, que si nous laissons régner la loi du plus fort, si nous laissons s’installer le désordre mondial, si un pays, la Russie, peut impunément envahir son voisin, alors la paix et la sécurité ne pourront plus être garanties sur notre continent.

Constance Le Grip, députée EPR, le 12/03/2025

La France est-elle vraiment menacée ? C’est la question sous-jacente de ce débat. La guerre en Ukraine est-elle le prélude d’une conflagration sur le sol européen ? Ou bien restera-t-elle dans les limites d’un conflit régional ?

Ceux qui nous disent que la Russie n’attaquerait jamais la France ou l’Europe, ce sont les mêmes qui nous disaient avant février 2022 que la Russie n’attaquerait jamais l’Ukraine. Et les mêmes qui refusent de voir les actions malveillantes, hybrides, menées par la Russie comme elle l’a fait en Afrique contre notre armée. Ceux qui prétendent aussi que la guerre en Ukraine c’est à cause de l’impérialisme de l’OTAN. Mais le seul impérialisme aujourd’hui en Europe, c’est bien celui du Kremlin.

Michèle Tabarot, députée Droite républicaine, le 12/03/2025

Se préparer à une guerre

Il faudrait donc se préparer à une guerre. Avec l’espoir que ce réarmement soit suffisamment dissuasif pour que l’agresseur russe renonce à aller plus loin. Cette logique, la France insoumise la refuse.

Nous refusons tout autant que la réponse des Européens soit la préparation de la prochaine guerre. C’est cette logique de réarmement qui prétend faire la paix en préparant la guerre, phrase répétée ad nauseam par les va-t-en-guerre qui ont la sérénité de ceux qui savent qu’ils sont à l’abri.

Cette résolution que nous discutons aujourd’hui sert à légitimer par notre Assemblée cette vision et ce projet de réarmement. Cette résolution fait de la guerre, de la poursuite de la guerre et de la préparation de la prochaine guerre, l’option favorite de ce gouvernement qui soutient cette résolution. Nous ne sommes pas d’accord avec vous.

Sophia Chikirou, députée LFI, le 12/03/2025

Mais la promesse d’une nouvelle guerre est inscrite dans la Constitution russe. C’est ce que rappelle le député Frédéric Petit.

En septembre 2023, un an et demi après le début, la Russie a introduit dans sa Constitution, je dis bien dans sa Constitution, les quatre oblasts qu’elle prétend avoir annexé dont 30 % n’ont jamais vu un char russe. Par cette révision constitutionnelle, la Russie s’est empêchée de revenir en arrière. Elle va revendiquer tous ces territoires, aujourd’hui ou dans le futur, même ceux qu’elle ne contrôle pas actuellement comme les villes de Kherson ou de Kramatorsk.

Frédéric Petit, député MoDem, le 12/03/2025

Dans ce débat, le Rassemblement national a confié le soin de présenter sa position à un ancien militaire : Marc de Fleurian, député du Pas-de-Calais. Ce Saint-Cyrien, il a servi dans la Légion étrangère qu’il a quitté avec le grade de capitaine.

Puisque je vois sur ces bancs quelques va-t-en-guerre, quelques gens qui ont le courage d’envoyer les Ukrainiens au front, moi je vous encouragerais à envisager d’échanger vos mocassins à pampilles et vos vestons croisés contre des rangers et des gilets par balle. Lorsqu’on vote la guerre, il faut être capable d’aller la mener. Vous avez des suppléants. Démissionnez quand nous rentrons en guerre, et allez au front.

Marc de Fleurian, le 12/03/2025

Tous au front !

Cette diatribe n’est pas gratuite. Elle fait référence à Jean-Marie Le Pen. En octobre 1956, le futur fondateur du Front national, alors député du mouvement de Pierre Poujade, quitte les bancs de l’Assemblée nationale pour rejoindre le 1er régiment étranger de parachutistes en Algérie. Il n’est pas certain que ce parallèle ait été apprécié par la direction du Rassemblement national. Car dans les années 80, plusieurs témoignages accuseront Jean-Marie Le Pen de s’être livré à des actes de torture au cours de ce séjour sous les drapeaux.

La sortie de Marc de Fleurian appelait une réplique. Elle n’a pas tardé.

Dans cet hémicycle, mes chers collègues, il y a parfois des patriotes en carton, des patriotes de pacotille, qui diront qu’ils soutiennent l’Ukraine. Leur soutien ne vaut rien. Ils ont refusé les planchers de dépenses, le rapprochement avec l’Europe, les armes à longue portée, les trains de sanctions. Ils disent soutenir l’Ukraine mais ils sont prêts à regarder les Ukrainiens se battre avec des bâtons.

Nous devons porter un discours de vérité, mais aussi un discours de fermeté, mes chers collègues. Nous devons de toute urgence bâtir une Europe forte, une Europe capable de se défendre par elle-même. Une Europe capable de se défendre par elle-même.

Thierry Sother, député Socialistes et apparentés, le 12/03/2025

Mais avec quel argent ? Les écologistes ont la réponse.

Nous devons renforcer nos capacités militaires, adapter notre outil de défense aux nouvelles menaces et investir davantage dans notre armée. Cela signifie une augmentation de notre budget de la défense. Toutefois nous ne financerons pas cet effort en sacrifiant notre pacte social. L’histoire nous l’enseigne.

En 1914, c’est notamment par un impôt nouveau, l’impôt sur le revenu, que l’effort de guerre a été financé. Aujourd’hui, un impôt sur les grandes fortunes suffirait à renforcer notre armée sans peser sur les classes moyennes et populaires. La taxe Zucman, adoptée par notre Assemblée, montre que cette voie est juste et réalisable.

Damien Girard, député Écologiste et social, le 12/03/2025

Les avoirs russes, à prendre ou à laisser ?

D’argent, on en a encore parlé avec la confiscation des avoirs russes. Le président de la Commission des affaires étrangères, Bruno Fuchs, a énuméré les raisons de s’opposer à une telle confiscation.

Premier élément : les Américains nous engagent à le faire. Donc déjà je pense que c’est un élément d’alerte qu’il faut avoir. Deuxième élément : rien n’impose aux Russes de faire pareil avec nos avoirs. Troisième élément : ça va créer un élément de défiance assez fort sur les marchés et donc on peut imaginer que d’autres pays, d’autres investisseurs, commencent à douter de notre espace européen et ne souhaitent plus, en tout cas moins massivement, investir en Europe.

C’est contraire à notre Constitution française. C’est contraire au droit européen qui garantit le droit de propriété à ce stade. Et puis il y a un traité bilatéral sur les investissements franco-russes qui garantit les investissements des deux côtés. Donc à ce stade ça me paraît assez prématuré. Il faut être très très précautionneux et prévoyant sur cette idée.

Bruno Fuchs, député MoDem, le 12/03/2025

Mais le rapporteur du texte, Laurent Mazaury, avait anticipé le coup. Il a listé les précédents en matière de confiscation des avoirs.

Un de nos collègues m’a posé la question il y a quelques instants d’avoir les cas déjà existants. Ils sont nombreux, donc j’espère que vous avez du temps parce que la feuille est assez épaisse et si vous voulez je vais vous en donner lecture intégrale. Mais je vais essayer de simplifier.

Ça commence en 1928, avec l’Allemagne. Les États-Unis contre la France en 1978 sur l’affaire des ruptures de charges en pays tiers. La Slovaquie contre la Hongrie en 1997 sur le projet de barrage du Danube. Les États-Unis contre le Nicaragua lors de l’affaire des activités militaires et paramilitaires de 1986.

Enfin, plus précisément, sur les actifs depuis que la République islamique d’Iran est désignée en tant qu’État soutenant le terrorisme les États-Unis ont mis en place plusieurs mesures de nature législative et exécutive et judiciaire à l’encontre des actifs iraniens.

Laurent Mazaury, député LIOT, le 12/03/2025

La résolution finale – celle qui a donc été votée – exhorte l’Union européenne et ses Etats membres à procéder sans délai à la saisie des avoirs russes gelés et immobilisés. Un amendement est venu préciser que ces fonds ne serviront qu’à « financer le soutien militaire à l’Ukraine dans sa résistance et sa reconstruction ». A la faveur de ce débat, un arc politique s’est constitué. Il va des écologistes aux Républicains de Laurent Wauquiez en passant par les socialistes, les centristes, les macronistes de Gabriel Attal, le MoDem et le groupe LIOT. Cet arc a-t-il un avenir ? Cela reste à démontrer.

On notera simplement que c’est justement le rassemblement qu’Emmanuel Macron et François Bayrou rêvaient de constituer. L’ironie du moment aura voulu que Trump et Poutine y parviennent. Involontairement, cela va de soi.

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