
Et revoilà la motion de censure. Une rumeur qui s’amplifie dans les couloirs de l’Assemblée nationale alors même qu’il n’y a pas, pour l’heure, de projet de loi clivant à l’horizon. Tout au contraire, on reproche au Premier ministre, surtout à droite, d’être attentiste. Au point que celui-ci, piqué au vif, a adressé vendredi dernier un courrier à la présidente de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et aux présidents des groupes parlementaires. François Bayrou y détaille le programme de travail du gouvernement pour les semaines à venir.
Quatre chantiers seront lancés d’ici le 15 avril. Ils concernent l’éducation, l’accès aux soins, la lutte contre la bureaucratie et la situation des finances publiques. Rien de transcendant. D’autant que le Premier ministre évite soigneusement toute référence au débat sur l’immigration réclamé par la droite et l’extrême droite. De même, il ne fait aucune allusion à la traduction législative du conclave sur les retraites attendues par la gauche. Bref, c’est l’enlisement.
Reprendre l’initiative
Les oppositions ont bien senti qu’il fallait sortir du marasme. Qu’il fallait reprendre l’initiative. Et pour ce faire, il y a l’article 49-2 de la Constitution. C’est le petit frère du 49-3. Il encadre le dépôt d’une motion de censure spontanée. C’est-à-dire qu’elle est déposée en dehors d’un engagement de la responsabilité du gouvernement sur un projet de loi. C’est la voie retenue par la France insoumise.
Comme vous le savez, si vous voulez déposer une motion de censure dites spontanée, c’est-à-dire au titre de l’article 49-2 de la Constitution, vous pouvez dans une session parlementaire déposer trois 49-2 par député. Nous sommes, nous, aujourd’hui, dans une disposition où nous pouvions déposer une motion de censure et demi. Donc nous avons évidemment besoin d’autres groupes.
II est exact que j’ai interpellé à la fois les écologistes et les communistes qui doivent en discuter ce matin dans leur réunion de groupe et qui donc nous donneront leur réponse, parce que je crois qu’il est effectivement opportun d’en finir au plus vite avec un gouvernement qui n’a aucune légitimité démocratique.
Les socialistes avaient dit qu’ils allaient censurer immédiatement s’il n’y avait pas un conclave avec une abrogation de la retraite à 64 ans. Donc les socialistes mettent la censure beaucoup sur la table, ils la mettent beaucoup moins en œuvre.
Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 25/03/2025
Tant que tout est sur la table, ce qui semble être la vision de ceux qui continuent à négocier, dès lors que tout est sur la table il n’y a aucune raison de considérer que nous avons nous-mêmes, après le Premier ministre, vocation à saborder le conclave.
Il faut que cette conférence sociale puisse aller à son terme, et à l’issue soit il y a un accord, il faudra le transposer, soit il n’y a pas d’accord et dans ces cas-là il faudra que le Parlement se saisisse de toute façon pour lui donner le dernier mot comme ce qui était l’engagement pris par le Premier ministre devant les parlementaires.
Un Premier ministre, ça tient sa parole normalement, c’est censé la tenir, surtout quand l’affaire se joue sur quelques mois.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du Parti socialiste, le 25/03/2025
“On verra à la fin du conclave” dit Olivier Faure. Le problème, c’est que Force ouvrière puis la CGT ont quitté la table. Et les récentes déclarations de François Bayrou sur l’impossibilité d’un retour du départ en retraite à 62 ans laissent à penser que le conclave va se terminer en funérailles. C’est la raison qui pousse les écologistes à envisager la censure.
Nous en discutons, oui. Si le Premier ministre, ce n’est pas sur nous que repose cette responsabilité, si le Premier ministre veut gagner un sursis à la tête du gouvernement et si cette coalition bricolée veut gagner un sursis au pouvoir, il lui suffit, là, dans les heures qui viennent, de déclarer à la représentation nationale ou à qui il veut, qu’il permettra que les partenaires sociaux puissent débattre, y compris de l’abrogation de la réforme des retraites, et que in fine le Parlement puisse abroger la réforme d’Elisabeth Borne.
C’est l’engagement qu’on a pris devant les électeurs et c’est une porte qu’il avait entrouverte.
Benjamin Lucas-Lundy, député Écologiste et social, le 25/03/2025
Les conditions sont donc posées. Du côté du Rassemblement national, Marine Le Pen considère que le compte n’y est pas.
Oui, il y a un agacement, je ne vous le cache pas. Il y a un agacement parce qu’il y a une programmation pluriannuelle de l’énergie qui au moment où on se parle doit être signée par décret ce qui est une véritable honte parce qu’elle engage le pays sur le plan énergétique pour les dix prochaines années, qu’elle prévoit 100 milliards de dépenses pour les énergies intermittentes dont 37 milliards uniquement pour le raccordement des éoliennes en mer au réseau au moment où on dit aux Français qu’il faut faire des efforts.
Parce que je ne vois rien venir sur la proportionnelle, c’était un engagement et cet engagement a été effectué d’ailleurs par Emmanuel Macron maintes fois et c’est un des axes forts de monsieur Bayrou. Je ne vois rien venir et je trouve que le temps est long. Je trouve que le temps est long.
Et puis je considère qu’en matière d’immigration le moins qu’on puisse dire c’est qu’on est dans l’inertie totale. Et les derniers développements vis-à-vis de l’Algérie me font dire qu’une fois de plus il ne se passera strictement rien dans ce domaine. Permettez-moi de considérer que chaque jour qui passe est un jour d’aggravation dans ce domaine pour le pays.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 25/03/2025
Posture attentiste au gouvernement
Dans l’entourage de François Bayrou, on attend le jugement concernant Marine Le Pen dans l’affaire des vrais-faux assistants parlementaires européens. Il doit être rendu lundi. Matignon espère que la présidente du groupe RN sera condamnée à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. Car François Bayrou serait alors assuré d’être à l’abri d’une motion de censure.
A partir du 8 juillet, le Président de la République pourra à nouveau dissoudre l’Assemblée nationale. Le renversement du gouvernement de François Bayrou pourrait donc déboucher sur de nouvelles élections législatives. Élections auxquelles Marine Le Pen ne pourrait pas participer en raison de son inéligibilité. François Bayrou parie donc sur une attitude plus conciliante du Rassemblement national.
Même si demain il y avait une exécution provisoire prononcée par le tribunal de l’inéligibilité qu’il choisirait, ça ne m’empêcherait pas du tout de censurer le gouvernement y compris pour provoquer de nouvelles élections législatives. Mon cas personnel n’aura aucune influence sur notre capacité à défendre les Français et à prendre les décisions nécessaires pour les défendre.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 25/03/2025
Parmi les sujets qui fâchent le RN, il y a donc la programmation pluriannuelle sur l’énergie, la PPE. Tous les cinq ans, le Parlement se prononce sur un plan qui fixe les grandes orientations énergétiques afin d’aboutir à la neutralité carbone en 2050. Le document définit ainsi la part du gaz, de l’électricité, du nucléaire, des énergies renouvelables et des réseaux de chaleur.
Mais le gouvernement a choisi de contourner la représentation nationale. La décision remonte au mois d’avril 2024. Le ministre de l’Industrie de l’époque, le macroniste Roland Lescure, voulait éviter une discussion délicate sur les énergies renouvelables. La PPE prévoit en effet de multiplier par cinq la production d’électricité solaire et par deux celle qui vient de l’éolien. Ce qui signifie de nouvelles implantations de mâts et de panneaux solaires.
Les installations existantes rencontrent déjà une forte opposition. Les multiplier par deux et par cinq provoquera des réactions hostiles. C’est pour cela que le Rassemblement national veut privilégier le nucléaire sur les énergies renouvelables qu’il juge par ailleurs coûteuses.
Mardi, Jean-Philippe Tanguy a interpellé le ministre de l’Économie et des Finances sur son refus de soumettre au parlement la programmation pluriannuelle sur l’énergie. N’obtenant pas de réponse de celui-ci, le député RN a annoncé la couleur.
Vous avez doublé le prix de l’électricité depuis que vous êtes au pouvoir. Mais, si vous ne consultez pas le Parlement, écoutez, nous aussi nous allons vous rendre un hommage à la Luc Rémont, en vous renvoyant.
Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 25/03/2025
Luc Rémont, c’est le PDG d’EDF qui vient d’être démis de ses fonctions, assez brusquement, par Éric Lombard. Quoi qu’il en soit, il n’y aura peut-être pas besoin d’une motion de censure spontanée. Car le gouvernement pourrait être bientôt contraint de présenter un projet de loi de finance rectificatif. Autrement dit, une loi qui corrige le budget 2025.
Encore un dérapage
Pour contenir le déficit dans la limite de 5,4 % du produit intérieur brut, le gouvernement a gelé 9,1 milliards d’euros le 19 mars. C’est autant de moins pour le fonctionnement de l’État et le budget de la Sécurité sociale.
Tous les indicateurs montrent que ce serrage des cordons de la bourse ne sera pas suffisant. Il faudra encore sabrer dans les dépenses. Et ce ne sera possible qu’avec l’accord, cette fois, du Parlement. En plus du 49-2, dont vous venez de faire connaissance, il y a du 49-3 dans l’air. Et qui dit 49-3 dit motion de censure. François Bayrou pourrait être libéré de ses obligations ministérielles juste avant les vacances. C’est plutôt sympa, finalement.
La fusée pour la censure est sur son pas de tir. Mais avant d’appuyer sur le bouton, les oppositions doivent composer avec une opinion que la dégradation de la situation internationale inquiète. La peur de la guerre, même à plusieurs milliers de kilomètres du front, renforce les aspirations à une certaine stabilité. C’est bien ce qui préserve, pour l’instant, le gouvernement.
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