La Commission des finances de l’Assemblée nationale détricote le budget de Michel Barnier

Pieyre-Alexandre Anglade, député EPR, le 16/10/2024 ©PurePolitique

Chaque jour, le soutien parlementaire du gouvernement s’affaiblit un peu plus. Mercredi soir, en Commission des finances, le vote sur la fameuse contribution différentielle sur les hauts revenus, la CDHR, en a apporté une preuve supplémentaire. Cette mesure prévoit d’instaurer une imposition minimale de 20 % pour les contribuables dont le revenu est supérieur à 250 000 euros pour les personnes seules et à 500 000 euros pour les couples avec imposition commune.

Le gouvernement entendait limiter la CDHR dans le temps. Seuls les revenus de 2024, 2025 et 2026 auraient été concernés. Mais les députés en ont décidé autrement. Joignant ses voix à celles du Nouveau Front Populaire, le MoDem s’est prononcé pour la pérennisation de la CDHR.

Là c’est une mesure de justice fiscale, et moi je pense qu’une mesure de justice fiscale n’est pas limitée dans le temps. Il est un peu ridicule de la limiter dans le temps si elle est bien étudiée, bien paramétrée, bien équilibrée. On voit qu’on a encore à travailler sur le texte. Je pense qu’il n’y a pas de raison qu’on la limite dans le temps.

Jean-Paul Mattei, le 16/10/2024

Et plus question de passer à travers les mailles du filet. La CDHR devait initialement viser 62 000 foyers. Pas de bol, Bercy s’est aperçu après coup qu’en faisant jouer certains avantages fiscaux, la mesure ne toucherait que 24 000 foyers. Un amendement de Charles de Courson, le rapporteur LIOT de la Commission des finances, a mis bon ordre en écartant tous les contournements possibles. Résultat, les deux milliards d’euros que la CDHR doit générer seront au rendez-vous.

Pour faire bonne mesure, emmenés par Jean-Paul Mattei, les députés ont musclé le prélèvement forfaitaire unique – le PFU – qui s’applique aux revenus de l’épargne et du capital à l’exception de l’immobilier. Son taux passe de 30 % à 33 %. Enfin, les députés de la Commission des finances ont adopté un amendement taxant les superdividendes des entreprises. Celui-ci avait été voté dans le budget 2023, mais le recours à l’article 49-3 avait permis au gouvernement de le faire disparaître.

Une Commission d’enquête sur les dérives des finances publiques

Le MoDem qui se retrouve main dans la main avec le Nouveau Front Populaire et le groupe LIOT, voilà qui n’augure rien de bon pour le gouvernement dans la discussion budgétaire. Ce n’est pas la seule ombre au tableau pour Michel Barnier. La Commission des finances va se transformer en Commission d’enquête sur les dérives des finances publiques. Dans son viseur, Bruno Le Maire, bien sûr. Mais pas seulement.

On focalise sur monsieur Bruno Le Maire. Ce n’est pas le seul responsable de la situation passée. On va entendre les responsables politiques de l’époque, les responsables politiques aujourd’hui, on peut aussi entendre les fonctionnaires du Trésor, on peut entendre les institutions comme le Haut commissariat des finances publiques, le gouverneur de la Banque de France, des économistes, donc ça va être assez varié.

Moi, la question qui m’intéresse c’est plus de comprendre comment on en est arrivé là. Et comment on en est arrivé là c’est moins les décisions d’un homme que peut-être les errements d’une politique Et là ça concerne beaucoup plus de gens qu’une seule personne.

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 15/10/2024

Chez les macronistes, on veut bien de la Commission d’enquête à condition que Bruno Le Maire ne soit pas le seul à payer l’addition.

Je suis pour à condition qu’elle soit honnête et qu’elle permette de dégager la vérité. La vérité de ce qui a été fait par le gouvernement, de ce qui a été fait par l’administration, de ce qui a été aussi l’action des oppositions, qui, je le rappelle quand même, pendant sept ans nous ont dit que nous ne dépensions pas assez dans un certain nombre de domaines au moment de certaines crises et qui aujourd’hui viennent nous dire qu’on a trop dépensé.

Pieyre-Alexandre Anglade, député EPR, le 16/10/2024

Eric Ciotti espère que la Commission d’enquête mettra en évidence les pressions qui se sont exercées sur le ministre de l’Économie.

Pourquoi il y a cet écart de plus de 50 milliards d’euros entre les prévisions et les réalisations ? Je pense que derrière tout ça il y a de la dissimulation politique à la veille des élections européennes, et que le gouvernement n’a pas dit la vérité. Monsieur Le Maire l’a quelque part laissé entendre.

Est-ce qu’il a subi des pressions, des instructions de la part du président de la République, notamment ? Nous lui demanderons.

Éric Ciotti, député UDR et président du groupe UDR à l’Assemblée nationale, le 15/10/2024

Les petites réunions de Bruno Le Maire

Pour lui demander, il suffisait au président de l’UDR d’attendre le lendemain de traverser la place du Palais Bourbon. Par un heureux hasard, Bruno Le Maire réunissait ce mardi-là, jour d’affluence, ses soutiens dans un restaurant proche du Palais Bourbon : l’Hémicycle. Comme s’il entendait signifier que l’heure de la contre-attaque allait venir. Et qu’il ne serait pas le seul à endosser la responsabilité du déficit. La création d’une commission d’enquête ne semble pas inquiéter outre mesure ses partisans.

On n’est pas naïfs non plus. si les oppositions font ça, c’est simplement pour essayer de chercher des responsabilités, de créer de la polémique, de la suspicion.

Jean-René Cazeneuve, député EPR, le 16/10/2024

Il faut surtout éviter les procès politiques. Bruno Le Maire a réduit le déficit, la dette, les impôts entre 2017 et 2019. C’est donc que c’est possible. Une Commission d’enquête c’est une très bonne chose et ça permettra de montrer qu’il n’y a pas de complot politique. Il n’y a pas quelqu’un qui retient des chiffres et qui les cache au peuple français et à la représentation nationale. La vérité c’est que c’est de plus en plus difficile de prédire les comptes publics.

Mathieu Lefèvre, député EPR, le 16/10/2024

Mais tandis que les députés s’exprimaient, Bruno Le Maire empruntait une autre sortie du restaurant et se réfugiait dans la pharmacie attenante. Sans doute un besoin pressant de Doliprane, tant les finances du pays sont dans le rouge.

J’ai fait un choix qui est de ne plus m’exprimer devant la presse. Je le regrette pour vous. C’est un choix auquel je vais me tenir. Donc je réserve toutes mes interventions aux représentants du peuple français.

Bruno Le Maire, ancien ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, le 16/10/2024

Ce même jour, le Rassemblement national présentait son contre-budget. Rompant avec la tradition loufoque qui caractérisait son approche des finances publiques, le mouvement de Marine Le Pen affichait le sérieux d’un expert-comptable.

Nous avons collectivement identifié un nombre considérable de dépenses que nous pouvons réduire dès cette année, dès 2025, sans modification législative importante, sans modification constitutionnelle. Bref, à droit constant, nous avons identifié 25 milliards d’économies brutes que nous pouvons faire immédiatement et après un rééquilibrage avec des mauvais choix faits par monsieur Barnier, ça fait 15 milliards d’économies nettes.

Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 16/10/2024

Le Rassemblement national, premier parti libéral

Sur le fond, ce contre-budget se traduit par des coupes budgétaires dont le ressort est d’abord idéologique. Se retrouvent ainsi au pain sec et à l’eau les opérateurs et agences de l’État, les fonctionnaires, la transition énergétique, les associations, les régions et les communautés de communes, la culture et, bien sûr, les étrangers.

Les employeurs voient en revanche leurs niches et allègements fiscaux préservés. De même, les gros patrimoines échappent à la tronçonneuse du RN. Au chapitre social, il faut signaler la baisse de la TVA sur l’énergie. Encore met-elle sur le même plan particuliers et gros consommateurs.

En revanche, la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité échappe à cette critique. C’est sans doute la seule vraie mesure en direction des couches populaires. Jean-Philippe Tanguy revendique le prisme politique de ce contre-budget.

On fait quand même des efforts essentiels sur l’immigration, sur une mauvaise utilisation de l’aide au développement, sur la privatisation et le subventionnement massif de l’énergie, l’écologie punitive, c’est exactement les grands axes politiques du Rassemblement national.

Après, oui, il y a des programmes ici ou là qui sont supprimés ou qui sont rabotés parce qu’ils ne sont pas efficaces. Mais les grands axes d’économies viennent d’axes politiques forts.

Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 16/10/2024

Le Rassemblement national ne votera pas le budget

Quoi qu’il en soit, le Rassemblement national n’a pas l’intention de voter le budget. Jordan Bardella l’a confirmé hier en marge de sa visite au Mondial de l’Automobile. Du côté des macronistes orthodoxes, on partage les objectifs de Michel Barnier, mais on conteste les leviers retenus. Galvanisé par son déjeuner avec Bruno Le Maire, Mathieu Lefèvre a bien l’intention de ferrailler avec le gouvernement.

Quels seront les amendements qui seront retenus in fine ? La hausse de l’électricité, la hausse du coût du travail, ce sont des choses que nous n’aurons très certainement pas proposées. La hausse de l’impôt sur les sociétés qui revient sur 7 ans de compétitivité pour le pays, c’est une chose que nous n’aurions pas proposé.

Mathieu Lefèvre, député EPR, le 16/10/2024

Le Nouveau Front Populaire est uni contre le budget

Sans surprise, le Premier ministre n’a aucune clémence à attendre de la gauche. C’est la philosophie même du budget qui est remise en question.

Le problème de ce budget c’est sa logique austéritaire. C’est le fait qu’on va ponctionner à travers la baisse des dépenses sur des budgets de services publics importants, qu’on va mettre l’école en danger, qu’on va mettre l’hôpital en danger dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale, qu’on va brider la consommation, le pouvoir d’achat des ménages, et que tout ça va avoir des conséquences en retour sur non seulement la croissance économique mais aussi la solidarité et la vie, tout court, sur les territoires.

Laurent Baumel, député Socialistes et apparentés, le 16/10/2024

Lever l’impôt n’est un tabou pourvu qu’il soit progressif et juste. C’est ce qu’explique la députée LFI, Marianne Maximi, rapporteure de la partie Pouvoirs publics du projet de loi de finances.

Le bon signal c’est de dire : Si on a des besoins il faut pouvoir les remplir, y subvenir, et donc il faut pouvoir plutôt engager de nouvelles recettes. Vraiment, moi j’alerte là-dessus, c’est qu’on peut se contraindre tant qu’on veut, à un moment si on se coupe de recettes notamment de celles et ceux des recettes qui concernent les plus grandes entreprises, les plus grandes fortunes, on va effectivement tous se serrer la ceinture et d’autres vont aller très très bien.

C’est un choix politique. Et nous, le choix politique que nous défendons, c’est de dire qu’il faut effectivement augmenter les impôts, recréer des impôts sur les plus grandes fortunes de notre pays.

Marianne Maximi, députée LFI, le 16/10/2024

Lundi prochain, la partie recettes du budget sera examinée dans l’hémicycle. Les amendements votés en commission devront être à nouveau défendus devant l’ensemble de la représentation nationale. Rien n’est donc acquis, même si le travail en commission a permis de mesurer combien le Premier ministre était seul. Le recours à l’article 49-3 de la Constitution apparaît donc probable.

L’information à retenir

Mais le gouvernement a une autre solution pour faire passer son budget. Invité de l’Association des journalistes parlementaires, Charles de Courson a braqué le projecteur sur un artifice constitutionnel méconnu.

Maintenant, il faut quand même que le pays ait un budget. Alors, si vous êtes un peu perverse madame, ce qui n’est certainement pas le cas, vous avez une solution, c’est de laisser déraper le débat budgétaire et de passer les 70 jours prévus par la Constitution. Il suffit de ne pas réunir la commission mixte paritaire.

Et le 71e jour, vous sortez le budget par ordonnance. Une ordonnance qui n’est pas votée par le Parlement, et il n’y a pas de ratification prévue. C’est formidable. Et donc il n’y a plus de Parlement. C’est simple. C’est ce que je me suis permis d’expliquer à mes collègues.

Charles de Courson, député LIOT et rapporteur général de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 16/10/2024

Eh oui, la Ve République a plus d’un tour dans son sac pour sauver le président monarque. Encore une bonne raison de passer à la VIe République.

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