En choisissant Michel Barnier comme Premier ministre, Emmanuel Macron avait déclaré faire le choix de la stabilité. C’est réussi. Jamais autant de dingueries politiques se sont accumulées en aussi peu de temps. On se croirait dans les Tontons Flingueurs, l’immortelle comédie de Georges Lautner et Michel Audiard.
Vous tous qui hésitez à brandir une matraque ou à sortir un 7.65 quand les circonstances l’exigent, vous apprécierez dans les tontons flingueurs une volonté de fer dans une diplomatie de velours.
Mardi, les députés étaient appelés à se prononcer sur la motion de censure déposée par le Nouveau Front Populaire. C’est Olivier Faure qui la défendait.
Le 7 juillet, c’est le Front Populaire qui est arrivé en tête. Deux mois plus tard, c’est un Premier ministre issu d’un parti laminé et un gouvernement issu d’un parti rejeté par trois fois en un mois, qui sont à la tête du pays et comble de tout, ce gouvernement est placé sous la tutelle de l’extrême droite alors que deux tiers des Français sont venus lui faire barrage.
Je vous demande, monsieur le Premier ministre, sans détour : si nous ne parlions pas de vous, si nous étions dans un autre pays que la France, comment qualifieriez-vous votre propre nomination ? Vous seriez le premier à dénoncer un hold-up électoral et sans doute à décrire un régime illibéral.
Olivier Faure, député PS et Premier secrétaire du PS, le 8/10/2024
La coalition gouvernementale n’a aucun ciment
Du classique. La réponse de Michel Barnier l’est moins.
Je n’ai pas besoin, mesdames et messieurs les députés, qu’on rappelle au gouvernement qui est maintenant au travail, qu’il est un gouvernement, ici, minoritaire. Je le sais. Il n’y a d’ailleurs pas dans cet hémicycle de majorité absolue. Il n’y en a pour personne.
C’est le choix du peuple français, et parmi ces majorités relatives, ce que je peux dire, ce que je veux dire, ce que je constate à l’engagement des hommes et des femmes des différents groupes, de ceux qui participent au gouvernement, c’est que la majorité relative qui accompagne le gouvernement est aujourd’hui la moins relative. Elle est la moins relative.
Vous pouvez raconter ce que vous voulez, c’est la vérité.
Michel Barnier, Premier ministre, le 8/10/2024
Le Nouveau Front Populaire rassemble 192 députés. L’addition du bloc central et des LR donne un total de 213 députés. Soit 21 de plus que la gauche. Mais cette réalité arithmétique est-elle une réalité politique ? Certes, la censure n’a pas été votée. Mais aucun programme ne cimente la coalition gouvernementale si ce n’est son refus de la gauche. Sur tout le reste, les désaccords sont légion. Écoutez Gabriel Attal commenter les propositions budgétaires du Premier ministre.
Nous avons, en revanche, des divergences sur quelques points de vue. La crainte que nous avons déjà exprimé, c’est que le budget qui semble se dessiner n’intègre pas assez de réformes et trop d’impôts avec le risque de déstabiliser nos industries et la classe moyenne qui travaille. La hausse prévue des charges pour les entreprises, la hausse plus forte que prévue sur l’électricité, le gel des retraites pour six mois et d’autres mesures fiscales nous semblent trop charger la barque pour les Français.
Nous allons donc, pour les mesures que je viens de citer, apporter des alternatives immédiates et crédibles. Par exemple mettre en œuvre dès aujourd’hui la réforme de l’assurance chômage qui rapporte près de 4 milliards d’euros et créera 100 000 emplois nous paraît plus juste que d’augmenter les charges sur les entreprises et donc risquer de créer du chômage supplémentaire.
Gabriel Attal, député EPR et président du groupe EPR à l’Assemblée nationale, le 9/10/2024
Le monde à l’envers
C’est le monde à l’envers. Voilà Barnier débordé sur sa droite par un bloc central censé être à sa gauche. À ce niveau de divergences, combien de temps macronistes et Républicains pourront-ils cheminer ensemble ? Pas longtemps apparemment si l’on en juge par ce qu’il s’est passé hier au sein de la Commission des affaires économiques. Ses membres devaient désigner leur nouveau président.
Le candidat macroniste, Stéphane Travert, pouvait l’emporter si le candidat LR se retirait. Certes ce dernier s’est bien retiré à l’issue du deuxième tour de vote, mais pour autant ses amis ne se sont pas reportés sur le député d’Ensemble pour la République.
Sur les six députés Droite Républicaine, quatre se sont abstenus, et deux ont voté pour la candidate de la France insoumise, Aurélie Trouvé. Contre toute attente, celle-ci a décroché la présidence de la Commission.
C’était un vote à bulletin secret. Je ne peux pas dire quelles voix il y a eu au-delà du Nouveau Front Populaire. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu le plein des voix du Nouveau Front Populaire, ce qui montre aussi notre union.
Aurélie Trouvé, députée LFI, le 9/10/2024
Pour être gentil, on dira simplement que la candeur d’Aurélie Trouvé n’avait d’égale que sa propension à prendre les journalistes présents pour des quiches. Du côté du Rassemblement national, on affecte la stupéfaction alors qu’on est bien content de voir les alliés d’hier s’entredéchirer.
Si c’est une stratégie politique, effectivement, c’est la stratégie politique de Jean-Michel Stratège. On ne sait pas d’où ça vient. Moi je pense qu’il ne savent pas vraiment où ils habitent. C’est hier que Laurent Wauquiez a dit qu’effectivement ils étaient dans la majorité, parce que ça posait un problème au niveau des questions au gouvernement.
Le calcul n’était pas le même s’ils étaient dans la majorité ou dans l’opposition. Finalement, hier, il dit : “Je suis vraiment dans la majorité” mais il ne vote pas aujourd’hui pour le candidat de la majorité. Donc effectivement c’est à n’y rien comprendre.
Laure Lavalette, députée RN, le 9/10/2024
Il y a pourtant une explication. Les LR veulent faire la démonstration qu’il est impossible de travailler avec les macronistes. Car si Laurent Wauquiez veut préserver ses chances pour la présidentielle de 2027 – ou même avant – il faut absolument qu’il se démarque du bloc central. Et que sa formation quitte, à terme, la coalition gouvernementale pour ne pas endosser la responsabilité de la crise sociale qui se profile. C’est dans cette perspective qu’il multiplie les accrochages avec ses partenaires macronistes.
Le départ pour le gouvernement de trois députés, Jean-Noël Barrot du MoDem, Paul Christophe d’Horizons et Antoine Armand de Renaissance est tombé à pic. Les nouveaux promus présidaient respectivement les commissions des affaires étrangères, des affaires sociales et des affaires économiques. “Nous voulons une de ces trois présidences !” a dit Wauquiez. Mais le bloc central – Renaissance, Horizons et le Modem – s’est mis d’accord pour reconduire à l’identique la répartition des postes.
Du coup, Wauquiez a décidé de “tout faire péter”, pour reprendre l’expression de ses amis. Et c’est réussi. Grâce à la Droite républicaine, l’opposition de gauche décroche une deuxième commission après celle des Finances. Michel Barnier a fait savoir qu’il était très mécontent. Ce qui n’a ni troublé personne.
Le match revanche est prévu pour la fin du mois d’octobre. Le départ de la députée LR Annie Genevard pour le ministère de l’Agriculture a remis en jeu une des vice-présidences de l’Assemblée nationale. La Droite républicaine entend conserver le poste dans son escarcelle. Mais pour cela, il lui faut le renfort du bloc central. Car le RN lorgne ce siège… Bref, ce n’est pas gagné.
Encore du grabuge au Nouveau Front Populaire
Tirer un but contre son propre camp n’est pas l’apanage des LR. À la Commission des affaires sociales, les députés insoumis n’ont pas voulu voter pour le candidat désigné par le Parti socialiste, Jérôme Guedj. Résultat, c’est le député Horizons Frédéric Valletoux qui a été élu président.
Manifestement, chez les insoumis il y a des listes noires. Et manifestement j’en fais partie. Les socialistes avaient décidé de me présenter comme candidat à la présidence de la Commission des affaires sociales, c’est mon domaine de spécialité, c’est celui dans lequel je pensais pouvoir continuer à porter mes combats.
Ce sont eux qui décident, il y a les bons et les mauvais socialistes. Si pour eux je suis un mauvais socialiste, je revendique d’être un mauvais socialiste. Ils me font payer mes prises de position.
Le résultat est quand même désastreux, parce que ça veut dire qu’ils ont ouvertement, quand dans un deuxième tour il y avait un ancien ministre de la santé d’Emmanuel Macron, préféré voter blanc plutôt que voter pour quelqu’un qui, je prends un seul exemple, aurait pu permettre que le débat sur l’abrogation de la réforme des retraites se déploie parce que c’est le président de la Commission des affaires sociales qui décide la recevabilité des amendements, et nous aurions pu déposer un amendement d’abrogation de la réforme des retraites.
Jérôme Guedj, député PS, le 9/10/2024
Mais qu’est-ce que les insoumis reprochent donc à Jérôme Guedj ?
De ce que j’ai entendu dans les couloirs et qui a été dit aux uns et aux autres, c’est que mes positions ces dernières semaines, et singulièrement au lendemain d’un texte que Jean-Luc Mélenchon a publié sur son blog le 29 avril, pour lequel j’ai dit la première fois que c’était un texte avec des relents antisémites s’adressant et me concernant.
Et moi, vous savez, et c’est ce qui a fait que j’ai décidé de ne pas avoir une candidature avec le logo NFP au moment de l’élection législative et c’est la raison pour laquelle j’ai eu un candidat soutenu par LFI.
Jérôme Guedj, député PS, le 9/10/2024
“Les insoumis ont préféré voter pour un socialiste membre du NFP, conformément à l’accord passé en juillet dernier : Arthur Delaporte. Et Jérôme Guedj et ses amis ont préféré trahir le NFP et ce collègue, pourtant arrivé devant lui au premier tour.” Dans un communiqué, Boris Vallaud, le président du groupe socialiste remarque qu’aucune voix socialiste n’a manqué pour faire élire Aurélie Trouvé. Et que le non-respect des accords n’a eu qu’une conséquence : faire élire la droite à la place du candidat socialiste Jérôme Guedj.
Bon vent de Corrèze
Au chapitre des règlements de compte, il faut encore signaler cette gracieuseté du revenant corrézien François Hollande. C’était lundi, sur LCP, où les journalistes l’interrogeaient sur le futur congrès du PS en 2025.
Je crois qu’il y aura un moment où il aura une confrontation dans le cadre d’un congrès, il y aura plusieurs motions. Je pense qu’après il faut une figure, c’est comme ça la vie politique est faite comme ça de successions. Une nouvelle figure pour diriger le Parti socialiste.
Là où elle était autrefois l’opposante principale à Emmanuel Macron, elle est devenue en réalité la béquille du macronisme. C’est assez troublant, on va s’habituer, mais en tout cas c’est ce qu’on a observé aujourd’hui.
François Hollande, député PS et ancien président de la République française, le 7/10/2024
Bien sûr, le lendemain, je me suis mis en quête de la réaction d’Olivier Faure.
Vous connaissez Cyrano de Bergerac. Cyrano disait dans une tirade assez célèbre : “On n’abdique pas l’honneur d’être une cible”. Je n’abdique rien, et surtout pas d’être une cible. J’ai trouvé ça curieux en réalité, parce que François Hollande appelle au rassemblement mais il divise.
Moi je fais l’inverse, je rassemble et j’essaie de faire en sorte que la gauche puisse avancer de manière à ce qu’elle puisse demain prendre le pouvoir. Ce n’est pas en la divisant qu’elle l’emportera.
Olivier Faure, député PS et Premier secrétaire du PS, le 8/10/2024
Dans l’entourage du Premier secrétaire, on faisait remarquer que François Hollande n’avait pu redevenir député qu’à la faveur d’une élection triangulaire qui l’opposait, au second tour, à un candidat du RN et un candidat LR. Si ce dernier s’était retiré, François Hollande ne serait jamais revenu à l’Assemblée nationale.
Le même entourage soulignait qu’Olivier Faure, lui, avait été réélu, dès le premier tour dans sa circonscription de Seine-et-Marne. Il a recueilli 53 % des suffrages. Un rappel en toute camaraderie.
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