Quatre représentants des branches de la Nupes sont venus débattre de l’hégémonie culturelle face à l’extrême droite, le 15 septembre à la fête de l’Humanité.
Pourquoi la Nupes se déchire-telle ? La première réponse, la plus simple peut-être, c’est parce que deux de ses têtes d’affiche, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel se détestent.
Il y a une personne qui dit qu’elle n’en a rien à foutre de l’union et qui s’appelle Fabien Roussel.
Jean-Luc Mélenchon, coprésident de l’Institut La Boétie, images Backseat, 15 septembre 2023
Fabien Roussel ne voudrait pas de l’union. En vérité, le secrétaire national du Parti communiste ne veut pas de l’union derrière Jean-Luc Mélenchon ou La France insoumise, même si les résultats de la présidentielle puis des législatives ont imposé ce leadership. Fabien Roussel pense que son tour est venu, et qu’il peut qu’il peut rassembler plus largement que Jean-Luc Mélenchon face à Marine Le Pen en 2027.
Primaire
J’ai dit que je voulais qu’on se donne toutes les chances de pouvoir battre l’extrême droite si elle arrivait au second tour et pour ça il fallait une candidature, un projet, un candidat qui ait les capacités de rassembler très très large : et la gauche et la droite. Je pense être en capacité de pouvoir le faire d’ici là, ça va se construire.
Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du PCF
En politique, un vieux proverbe dit qu’il ne peut pas y avoir deux crocodiles dans le même marigot. Car il y en a toujours un qui finit par dévorer l’autre. Pour éviter le cannibalisme, on demande en général aux militants et sympathisants de choisir leur champion. Ça s’appelle un congrès, ou une primaire. Des mots dont Jean-Luc Mélenchon ne veut pas entendre parler.
Nous n’irons pas, nous n’irons jamais dans les primaires pour une raison avérée par l’histoire : la primaire fait exploser tous ceux qui y participent. Tous ceux qui ont fait des primaires n’en sont jamais ressortis vivants. Deuxièmement, la primaire donne toujours la prime au secteur moyen, à celui qui clive ou à celle qui clive le moins, à celui qui fait le moins peur. Partout où on a fait des primaires, ça a toujours été pour élire des quiches qui nous ont ensuite trahis. On a mis en place des personnages moyens, très intelligents, pas clivants et ça s’est terminé en débandade générale. C’est une méthode calamiteuse que de faire des primaires.
Jean-Luc Mélenchon, images Backseat, 15 septembre 2023
Pas la même analyse
Fabien Roussel a donc décidé de monter sa Nupes à lui.
Nous voulons retrouver au Parlement européen des députés communistes et républicains qui défendront les intérêts du monde du travail, les intérêts de la France et le respect de notre souveraineté. Nous voulons construire cette liste, gagner ces députés, sur la base des propositions que nous portons avec beaucoup d’autres dans le pays et pas seulement avec les communistes. […] Oui, nous tendons la main, nous voulons une liste d’union, de rassemblement avec toutes celles et ceux qui partagent ces choix, qui partagent cette ambition. Nous sommes ouverts. Venez avec nous !
Fabien Roussel
Mais les ego démesurés de Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel n’expliquent pas tout. Si la gauche se divise, c’est parce qu’elle n’a pas la même analyse de la situation et des urgences. Ces divergences, une fois n’est pas coutume, ont été clairement exprimées à la fête de l’Humanité, le 15 septembre, à l’occasion d’un débat intitulé : « Face à l’extrême droite, comment la gauche peut-elle reconquérir l’hégémonie culturelle ? »
« Le bal des égos »
En réalité, Sandrine Rousseau, député EELV, François Ruffin, député LFI, Olivier Faure, député PS et Ian Brossat, sénateur communiste, se sont surtout demandés pourquoi la gauche allait dans le mur. Et comment donner un coup de volant salvateur avant qu’il ne soit trop tard.
Que s’est-il passé en un an ? Pourquoi sommes-nous passés d’un moment où nous avions réveillé l’espoir à un moment où au fond on s’interroge comment faire pour arrêter ce qui paraît maintenant l’inéluctable : Marine Le Pen aux marches de l’Élysée ? La réalité c’est que sur tous nos thèmes il y a une majorité de Françaises et de Français qui est prête à nous suivre. Et pourquoi ça ne marche pas alors ? […] Nous n’avons pas su maintenir l’espoir ensemble. Quand j’entends, tous partis confondus, les uns et les autres se pousser du col les uns après les autres pour renouer avec ce qu’on a appelé il y a longtemps « le bal des égos » où chacun pense qu’il peut porter seul les couleurs de la gauche et de l’écologie, je me dis « merde, c’est pas possible, c’est pas possible ! »
Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et premier secrétaire du PS
Que s’est-il passé depuis un an, demande Olivier Faure. Mais ne faut-il pas remonter plus loin dans le passé ? C’est le diagnostic que pose François Ruffin.
« Découragement »
Deux années de crise Covid, derrière la guerre en Ukraine, la réélection de Macron, c’est vécu comme une série de catastrophes qui enlisent les gens dans la résignation. Si on ne comprend pas que notre principale adversaire il ne s’appelle pas Macron, il ne s’appelle pas Marine Le Pen, il s’appelle l’indifférence, il s’appelle le découragement, il s’appelle l’abattement.
François Ruffin, député LFI de la Somme
L’ampleur de la récente mobilisation contre la réforme des retraites semble invalider cette analyse. Erreur, c’est juste un effet d’optique, reprend François Ruffin.
On a un, deux, trois millions de personnes qui, une, deux, trois, quatre, cinq, six fois vont dans les manifestations. Maintenant, je veux qu’on ait un diagnostic qui soit réaliste y compris dans les manifestations sur les ronds-points dans lesquelles je me trouvais. Les gens venaient encore habités par de la résignation, encore en disant : « Bon, on vient mais il va le faire quand même. » Il n’y a pas eu ce moment de déclic, de décrochage, où on s’est dit : « On va gagner, on peut gagner. »
François Ruffin
Fragmenter le mouvement populaire
Mais si l’espoir n’est pas au rendez-vous, c’est peut-être parce que la gauche se trompe dans ses combats. Elle est souvent accusée d’avoir délaissé le social pour le sociétal.
En fait, la question du social et la question du sociétal ne sont pas deux valeurs séparées. C’est le noyau même des valeurs de la gauche. […] Si nous sommes noirs, arabes ou femmes, alors nous n’aurons pas la même vie. Si nous sommes handicapés, LGBT, nous ne serons pas exposés aux violences de la même manière. La gauche, c’est la sécurité mais c’est aussi l’émancipation, la liberté, le respect et l’égalité. Et que ce mot-là n’est pas la dernière roue du carrosse.
Sandrine Rousseau, députée EELV de Paris
À force de souligner les différences et d’essentialiser les individus dans des catégories, n’est-on pas en train de fragmenter le mouvement populaire ? Autrement dit, ne perd-on pas de vue l’universel au profit du particulier ? C’est la question que pose Ian Brossat.
Vision passéiste
La vraie question, c’est celle de l’unité du monde du travail. Cette unité du monde du travail c’est ce à quoi nous devons travailler. Et qu’est ce qui fait que quand il y a un mouvement sur les retraites il est soutenu par trois Français sur quatre, et qu’au moment de voter il n’y a qu’un Français sur quatre qui vote pour la gauche ? C’est précisément parce que ce monde du travail, il est aujourd’hui criblé par des divisions. Parce que c’est les salariés du public contre les salariés du privé. Parce que c’est les travailleurs sans papiers contre les travailleurs avec papiers. Et donc notre boulot à nous, ça n’est pas d’insister sur les différences, c’est d’insister sur ce qui unit le monde du travail, en l’unissant autour de revendications qui permettent de rassembler le monde du travail. Et il n’y a que comme ça que nous parviendront à gagner.
Ian Brossat, sénateur communiste de Paris
C’est une vision passéiste, répond Sandrine Rousseau, car la vie ne tourne plus autour du travail.
47 % des salariés pensent à démissionner parce qu’aujourd’hui le travail n’a plus le même sens que ce qu’il a eu dans le passé dans nos vies et que tant qu’on met le travail au cœur de toutes nos réflexions alors nous ne pensons pas l’écologie parce que l’écologie c’est du temps sans travail. Nous devons penser diminution du temps du travail, nous devons penser qualité du temps de travail mais nous devons aussi penser ralentissement de la société, sobriété, diminution des besoins, diminution drastique des émissions de carbone. Nous devons penser une société du juste. Une société de l’égalité et non pas une société de la croissance et de l’accumulation.
Sandrine Rousseau
« Valeur travail » et « droit au repos »
Quelle gauche choisir pour gagner ? Celle du travail ou celle du temps libre ? Un débat qui n’est pas aussi nouveau qu’il peut y paraître. Dans les années 80, il se posait déjà. Au point qu’en s’installant à l’Élysée en 1981, François Mitterrand avait imposé la nomination d’un ministre du Temps libre dans le gouvernement. Le portefeuille sera abandonné en 1984 après le tournant de la rigueur et la conversion au social-libéralisme.
Entre la « valeur travail » de Roussel et le « droit au repos » de Sandrine, pour moi il n’y a pas d’opposition, il y a une complémentarité. […] L’histoire du mouvement ouvrier est à la fois la fierté du travail. La fierté de gagner la vie à la sueur de son front. Oui. Mais c’est en même temps l’histoire du mouvement ouvrier, c’est en même temps le congé maternité, c’est la fin du travail des enfants, c’est le dimanche chômé, c’est le samedi à l’anglaise. Ce sont les congés payés, c’est la retraite, c’est la retraite à 60 ans. Notre histoire sociale, l’histoire de notre pays, ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un et l’autre.
François Ruffin
« Reconquérir les campagnes populaires »
S’il y a deux gauches, elles ne seraient donc pas irréconciliables. Mais, même rassemblées, elles restent minoritaires dans le pays. Que manque-t-il pour gagner en 2027 ?
On a réussi dans les cités, et tant mieux si la gauche retrouve droit de cité dans les cités. On a réussi chez la jeunesse, cultivée, éduquée des centres-villes, et tant mieux parce que c’est l’avenir. On a réussi dans les DOM-TOM. Maintenant nous avons des trous. On a des trous chez les salariés entre 1 500 et 2 500 euros. On a un trou démographique dans une France qui vieillit, où les personnes âgées vont voter, on ne peut pas se permettre d’être à 11 %. On doit gagner aussi, on doit colmater sur ce terrain-là, et enfin, c’est là dessus que j’alerte le plus fortement, on a un trou de géographie dans les campagnes populaires. […] Il faut, à la gauche, reconquérir les campagnes populaires.
François Ruffin
Il ne suffit pas d’énumérer les trous dans la raquette. Encore faut-il se mettre d’accord sur la méthode pour conquérir ou reconquérir les bataillons d’électeurs qui manquent à la gauche. Et sur ce point, la Nupes doit se transformer.
Dépasser les intérêts boutiquiers
Notre difficulté, elle tient de fait que nous avons construit il y a un an quelque chose qui n’est pas un simple accord électoral mais qui n’est pas non plus un parti unique. Nous avons construit une coalition autour d’un projet partagé. Il manque quelque chose malgré tout dans notre histoire, ça a été dit par François à l’instant, un cadre pour débattre, pour avancer démocratiquement, faire en sorte que nous puissions nous rallier les uns aux autres et non pas nous soumettre les uns ou les autres à l’un ou à l’autre.
Olivier Faure
La gauche est-elle capable de se transcender ? D’être à la hauteur du moment ? De dépasser les intérêts boutiquiers pour ressusciter l’espoir dans un pays sinistré ? On voudrait le croire.
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