Avec Yaël Braun-Pivet, l’histoire tourne à la répétition. En 2018, celle qui n’était encore que la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale avait sabordé la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. Pour complaire à Emmanuel Macron, bien sûr. Devenue présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet continue d’être la voix de son maître.
En quelques heures, mercredi 7 juin, elle a déclaré irrecevables près de 1 500 amendements déposés par l’opposition sur la proposition de loi abrogeant le départ en retraite à 64 ans, au motif que la plupart généraient une charge pour l’État. Mais la présidente a poussé le zèle jusqu’à tout supprimer. L’Attila du perchoir.
Vœu pieux
Je regrette de manière très forte qu’hier la présidente de l’Assemblée ait cru bon à la fois se passer de mon avis, ce qui est une première, et deuxièmement, que non seulement elle ait empêché le rétablissement comme ça a été toujours le cas dans la Ve République d’un texte initial qui avait été jugé recevable mais même, ajouté à cela, de censurer absolument tous les amendements même si qui n’avait aucun impact financier et qui traditionnellement sont déclarés recevables. Les amendements dits d’objectif qui permettent à l’Assemblée d’envoyer un signal à défaut d’abroger la loi.
Éric Coquerel, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis et président de la commission des Finances, Palais Bourbon
Un amendement d’objectif, c’est en quelque sorte la version législative du vœu pieux. Il n’engage à rien financièrement ou administrativement. Il indique simplement une intention. C’est le cas, par exemple, de l’amendement 106.
La nation se fixe pour objectif, à horizon 2024, le rétablissement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite à 62 ans.
Amendement 106 de la proposition de loi sur les retraites déclaré irrecevable
Partialité de la présidente
Eh bien, même ça, Yaël Braun-Pivet n’en a pas voulu. Pas question de prendre le risque qu’une majorité de députés vote cet amendement, qui, répétons-le, n’a qu’une portée symbolique. Mais c’est surtout la partialité de la présidente qui a indigné les députés des oppositions. Jeudi 8 juin, en séance, ces derniers sont longuement revenus sur la suppression de l’article 1 de la proposition de loi Liot, le fameux article qui abrogeait le départ à 64 ans.
Vous avez déclaré irrecevable au titre de l’article 40 un amendement qui visait à rétablir un article initial d’une proposition de loi. Il y a deux semaines de cela, nous avons débattu dans cet hémicycle d’une proposition de la majorité qui visait notamment à faire porter aux frontons de toutes les mairies un drapeau européen. Ceci représente, chers collègues, une charge pour les finances publiques. L’amendement de rétablissement que la majorité a déposé, qui crée donc une charge, vous l’avez déclaré recevable.
Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Assemblée nationale, 8 juin 2023
Force est de constater, madame la présidente, que les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Force est de constater, avec tristesse, avec gravité madame, que vous avez l’irrecevabilité sélective et partisane.
Benjamin Saint-Huile, député Liot du Nord, 8 juin 2023
Mépris assumé
Pour le rapporteur de la proposition de loi, Charles de Courson, ce mépris assumé de la représentation nationale détourne les Français de leurs institutions :
C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’une présidente de l’Assemblée nationale écarte des amendements reprenant une disposition déclarée deux fois recevable. Une première fois par le bureau de l’Assemblée nationale lors du dépôt et une seconde fois par le président de la commission des Finances. C’est une faute politique grave. De cet abaissement du Parlement ne peut ressortir que désintérêt pour nos institutions et dans le pire des cas colère et violence.
Charles de Courson, député Liot de la Marne et rapporteur de la proposition de loi sur l’abrogation des 64 ans, Assemblée nationale, 8 juin 2023
Moins de hauteur
Dans le camp d’en face, on affichait moins de hauteur dans le propos.
Monsieur le rapporteur, je crois en réalité que vous vous soyez trompé de combat et surtout trompé d’alliés. En cédant au Front national comme à La France insoumise, devenu conjointement les ventriloques à votre dépens, vous prenez pour un exercice de sauvetage ce qui n’est en réalité qu’une opération de communication mal fagotée.
Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, Assemblée nationale, 8 juin 2023
Jean-Luc Mélenchon cherchait son hologramme pendant la campagne présidentielle. Il a un visage ! Il a un nom ! C’est Charles de Courson !
Philippe Vigier, député MoDem d’Eure-et-Loir, Assemblée nationale, 8 juin 2023
Manipulation mélenchoniste
Cet argument de la manipulation mélenchoniste a été réfuté par Bertrand Pancher, le président du groupe Liot. Président qui, pour l’occasion, a révélé des talents d’orateur qu’on ne lui connaissait pas.
Voilà pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi. Pour dire à nos concitoyens qui ne croient plus en leurs représentants qu’il existe encore des élus qui veulent exercer leur mandat, des élus pour faire leur travail et porter la voix du peuple. Vous nous avez empêchés de voter. Vous avez osé le faire ! Mais vous êtes devenus complètement fous !
Bertrand Pancher, député de la Meuse et président du groupe parlementaire Liot, Assemblée nationale, 8 juin 2023
Marine Le Pen n’avait plus qu’à enfoncer le clou.
Vous ne voulez pas qu’on vote. Vous nous en avez empêché avec le 49-3. Vous nous en empêchez avec l’article 40. Et parce que vous savez que vous n’avez pas de majorité sur ce texte, vous n’avez pas de majorité sur ce texte, ni dans cette assemblée ni dans le peuple français. Vous avez peur du vote. Oui c’est vrai. Mais parce qu’en réalité vous avez peur du peuple.
Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, Assemblée nationale, 8 juin 2023
Flagorneur
Pour bâillonner les oppositions, la présidente de l’Assemblée nationale n’a pas hésité à piétiner une tradition parlementaire ininterrompue depuis 1958. Mais soyons justes. Lorsqu’il s’agit de sa fonction, Yaël Braun-Pivet sait se montrer respectueuse à l’excès de la tradition. Pour manifester leur réprobation après la purge des amendements, les députés de la Nupes ont refusé de se lever lorsque Yaël Braun-Pivet a pris place dans son fauteuil de présidente. Il s’est naturellement trouvé un flagorneur pour s’en indigner. En la circonstance, le président du groupe Horizons, Laurent Marcangeli, député de Corse du Sud.
Madame la présidente, j’ai été assez choqué de voir tout à l’heure, je ne sais pas si c’est un fait unique, que l’ensemble de l’hémicycle ne s’est pas levé lorsque vous avez pénétré dans l’hémicycle. Quand on siège dans une institution, on en respecte les usages. Encore une fois aujourd’hui, nous avons eu une démonstration lamentable, lamentable, du manque de respect dont font preuve les députés de la Nupes vis-à-vis des coutumes de ce Parlement. Madame la présidente, la Constitution, rien que la Constitution, le règlement, rien que le règlement.
Laurent Marcangeli, député de Corse-du-Sud et président du groupe Horizons, Assemblée nationale, 8 juin 2023
Réponse téléphonée
Comme on dit à Matignon, quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. Écoutez la réponse pour le moins téléphonée de Yaël Braun-Pivet.
On n’arriverait pas à dire mieux que vous. Le règlement, rien que le règlement. La Constitution, rien que la Constitution. C’est mon rôle et j’aurais bien aimé que chacun dans cet hémicycle en fasse de même, en fasse de même.
Yaël Braun-Pivet, députée Renaissance des Yvelines et présidente de l’Assemblée nationale, Assemblée nationale, 8 juin 2023
On aurait aimé, surtout, que la Constitution fasse l’objet d’un respect aussi pointilleux que celui accordé à l’étiquette. Mais apparemment Yaël Braun-Pivet est davantage préoccupée par les questions de protocole.
Rester entre gens bien élevés
À preuve cet incident qui a opposé la présidente de l’Assemblée à la députée Clémentine Autain.
C’est avec une gravité inhabituelle, une inquiétude et une colère…
Madame la députée, il est d’usage dans cet hémicycle de saluer la présidence et le ministre avant d’intervenir. C’est un usage, comme il en existe d’autres. On vous décompte le temps sans aucun souci mais je vous remercie de respecter les usages et la bienséance.
Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, et Yaël Braun-Pivet, Assemblée nationale, 8 juin 2023
L’essentiel, c’est donc de rester entre gens bien élevés, le petit doigt levé en prenant sa tasse de thé. Moyennant quoi, on peut s’abandonner à toutes les indécences.
Propos policé et racoleur
Comme dans cette intervention d’Aurore Bergé après l’annonce du crime d’Annecy, le 8 juin 2023. Le propos est aussi policé que racoleur.
On a envie de vous dire qu’être en ce moment dans l’hémicycle avec une espèce de bataille de chiffonniers sur une recevabilité ou non d’amendements nous paraît en total décalage par rapport à l’effroi qui à mon avis submerge notre pays quand des enfants sont pris pour cibles.
Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente du groupe Renaissance, Assemblée nationale
Cette prise de parole a choqué Alexis Corbière.
Je considère que quand la présidente du groupe d’opposition en profite pour essayer de flétrir le combat que nous menions tout à l’heure pour la démocratie, ça ne lui rend pas honneur. On doit quand même ne pas chercher à instrumentaliser ça pour essayer de faire taire l’opposition. Ce n’est pas joli de faire ça.
Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis, Assemblée nationale
Vidée de sa raison d’être
La suppression des amendements de l’opposition a eu pour conséquence de vider la proposition de loi du groupe Liot de sa raison d’être. En fin de matinée, Bertrand Pancher en prenait acte.
Il ne reste plus rien, vous l’avez compris, dans le texte que nous avons présenté, sauf évidemment les amendements de la minorité présidentielle. Le Parlement sort considérablement affaibli de cet épisode et par conséquent, en responsabilité, nous avons décidé de retirer notre texte d’autant qu’il ne reste plus que l’article 2, la conférence sociale, alors que les grandes organisations syndicales ont elles-mêmes expliqué que tout ça n’avait pas de sens si on ne relançait pas un débat jusqu’au début.
Bertrand Pancher, Assemblée nationale
Agir sans relâche
De son côté, l’intergroupe de la Nupes faisait le serment « d’agir sans relâche pour rassembler une majorité qui mette fin à la réforme ».
Lorsque on considère l’Assemblée nationale et le Parlement comme un paillasson, c’est sur le peuple qu’on s’essuie les pieds. Ça, nous ne l’acceptons pas, nous avons été élus au contraire pour défendre la dignité populaire et c’est ce que nous nous emploierons à faire, c’est le serment que nous faisons ensemble aujourd’hui. Défendre le droit à la retraite. Défendre également la démocratie. Et sans doute que ça nécessite des changements institutionnels pour que la République soit vraiment une république démocratique et sociale.
Pierre Dharéville, député GDR-Nupes des Bouches-du-Rhône, Assemblée nationale
Rédigée dans un double contexte de guerre civile et de guerre étrangère, la Constitution a été taillée pour donner tous les pouvoirs à un seul homme : le général de Gaulle. Elle se révèle aujourd’hui un carcan du parlementarisme renaissant. Quelle que soit l’étiquette politique, il faut s’y résoudre : on ne surmontera la crise démocratique qu’en changeant de république.
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