La semaine qui s’ouvre s’annonce passionnante, car tout peut arriver. Le rejet par l’Assemblée du projet de loi sur les retraites, le vote d’une motion de censure et la démission du gouvernement ou bien la victoire définitive des tenants du départ à 64 ans. Samedi 11 mars, les sénateurs ont voté aux forceps le projet de loi du gouvernement. C’est donc maintenant à une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, de se prononcer. Elle se réunira mercredi. Sur les quatorze parlementaires qui la composent, cinq sont acquis à l’exécutif et quatre à la droite. La commission devrait donc parvenir à se mettre d’accord sur une version proche du projet de loi initial. Même si le débat a quelque chose d’absurde :
On a sept personnes du Sénat, avec un texte qui a été voté, les sept députés n’ont pas de mandat, il n’y a jamais eu de vote à l’Assemblée nationale. Ils vont faire quoi, la majorité présidentielle, pour négocier l’article 2, par exemple, qui a été rejeté à l’Assemblée nationale ? Ils n’ont pas de mandat. Ils n’ont pas de mandat pour négocier l’article 7. Ils n’ont pas de mandat pour négocier ce texte.
Mélanie Vogel, sénatrice écologiste des Français de l’étranger, BFMTV, 12 mars 2023.
Pas de 49-3 prévu
Jeudi matin, le texte de la CMP sera soumis au Sénat pour ratification puis, l’après-midi, à l’Assemblée. Officiellement, le gouvernement n’entend pas recourir à l’article 49-3 qui permet de faire adopter un texte sans vote, sauf si une motion de censure venait à le renverser, ce qui n’est arrivé qu’une fois sous la Ve République, en 1962.
Dans Le Journal du Dimanche, Stéphane Séjourné, le patron de Renaissance, le parti présidentiel, tient le même langage. Et Gabriel Attal en a remis une couche, ce matin, sur France Inter.
On ne veut pas utiliser le 49-3. On n’a pas envie, on ne se réveille pas le matin en se disant : « Tiens on aimerait bien faire le 49-3. » Et la deuxième chose, c’est qu’aujourd’hui on ne voit pas pourquoi il faudrait utiliser le 49-3.
Vous êtes confiant ?
Précisément parce que les LR du Sénat ont voté le texte.
Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics, France Inter, 13 mars 2023.
Artifices de procédure
Diable, le camp macroniste se montrerait-il beau joueur après avoir utilisé, au Sénat, tous les artifices de la Constitution pour bâillonner l’opposition ? Ce serait trop beau. En réalité, le gouvernement redoute que l’agitation dans la rue se poursuive si le projet de loi venait à être adopté sans que les députés ne se soient prononcés. Quelle légitimité aurait alors ce texte ? Sur la crise sociale viendrait se superposer une crise institutionnelle déjà présente. Car le vote intervenu samedi soir au Sénat est insuffisant pour conférer un semblant d’assentiment démocratique à la réforme. Les sénateurs sont élus au suffrage indirect. Et l’opinion est bien consciente que ce sont des artifices de procédure qui ont permis ce résultat.
Vous avez, ensemble, gouvernement et majorité sénatoriale, usé de toutes les procédures réglementaires et constitutionnelles possibles et inimaginables pour accélérer les débats en censurant l’opposition de la gauche sénatoriale. Vous avez bloqué la démocratie. Le blocage, c’est vous. […] Le coup de force antidémocratique avec le non vote de l’Assemblée nationale et le vote bloqué, le vote forcé du Sénat, rend illégitime cette réforme des retraites.
Cathy Apourceau-Poly, sénatrice du Pas-de-Calais, groupe communiste républicain citoyen et écologiste, Sénat, 11 mars 2023.
Quand 70 % des Français sont opposés à une réforme et que la Constitution permet que celle-ci leur soit quand même imposée, c’est que la Constitution est mauvaise. Né en 1958, dans un contexte de guerre civile, le texte fondateur de la Ve République est aujourd’hui à bout de souffle. Il se révèle incapable de dénouer la dispute citoyenne, faute de refléter les rapports de force qui partagent le pays. Mais on ne peut changer de République en quinze jours.
Appels à un référendum
Dans Le Journal du Dimanche, Laurent Berger fustige le 49-3. Il y voit une forme de « vice démocratique ». Surtout, le leader de la CFDT propose une solution : « La détermination qui s’exprime dans la rue est en train de se transformer en colère. Pour sortir de cette impasse, pourquoi ne pas demander aux citoyens ce qu’ils pensent du passage de 62 à 64 ans à travers un référendum ? » Il rejoint ainsi Philippe Martinez qui, la veille, invitait le chef de l’État à « consulter le peuple ».
Il a l’air sûr de lui, eh bien qu’il consulte les Français. C’est la démocratie.
Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, BFMTV, 11 mars 2023.
Et Olivier Faure, ce dimanche :
La meilleure façon de conjurer cette fracture, c’est le référendum. C’est de renvoyer l’ultime décision au peuple français. Et là nous verrons, effectivement, si Emmanuel Macron a été élu pour cette réforme ou s’il ne l’a pas été.
Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et premier secrétaire du PS, « Dimanche en politique », France 3, 12 mars 2023.
Il ne veut pas prendre le risque
Mais Emmanuel Macron n’y est pas prêt. Car un référendum sur les retraites aurait toutes les chances de se transformer en référendum sur sa personne. Le président de la République ne veut pas prendre le risque de voir la contestation sociale devenir politique. Fût-ce par une voie pacifique et démocratique. Le mouvement des gilets jaunes l’a définitivement traumatisé sur ce point. Voilà pourquoi il se tient éloigné du débat.
Je laisse les sénateurs travailler et les sénatrices travailler avec le gouvernement et ensuite il se trouve que le Parlement suivra les termes de notre Constitution pour qu’un texte législatif puisse aller à son terme. Ni plus, ni moins.
Emmanuel Macron, président de la République, BFMTV, 10 mars 2023.
Voie médiane
Emmanuel Macron a donc opté pour une voie médiane. Pas de référendum, mais pas de 49-3 non plus, quitte à prendre le risque d’être battu. De toute façon, si le projet passe, ce sera sa victoire. Et s’il est rejeté, ce sera la faute de la Première ministre. D’ailleurs, dans les allées du pouvoir, on répète déjà que la Première ministre n’est pas à la hauteur. Si elle échoue, il y a de fortes chances qu’elle connaisse le sort qu’Édith Cresson. Première femme nommée à Matignon en 1991, cette socialiste resta moins d’un an à son poste. Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Et l’on sait qu’avec ce gouvernement, ce qui est vrai dimanche ne le sera pas forcément jeudi. Souvent Véran varie. Je vous laisse la digérer, celle-là…
Envisageons donc l’hypothèse d’un revirement du gouvernement sur le 49-3. Bruno Retailleau y est favorable.
Je lui donne pour partie raison puisqu’un 49-3 c’est une procédure qui est brutale, c’est une procédure qui ajoutera de la tension. Mais la démocratie, je suis désolé, la démocratie c’est la Constitution, c’est l’application de la Constitution. Et je dis à Monsieur Berger…
Mais la politique c’est tenir compte de l’état d’un pays et d’une opinion.
Et je dis à Monsieur Berger que la démocratie ce n’est pas le pouvoir de la rue.
Bruno Retailleau, sénateur de Vendée et président du groupe LR au Sénat, Europe 1-CNEWS-Les Échos, 12 mars 2023.
Cacher la poussière sous le tapis
Pourquoi le patron des sénateurs LR se montre-t-il aussi rigide ? Parce que le 49-3 aurait le grand mérite de cacher les divisions de son parti. Quand on regarde les résultats du vote de samedi soir au Sénat, on constate que sur les 145 sénateurs Républicains, 6 ont voté contre le projet de loi et 18 se sont abstenus. Ce qui n’est vraiment pas glorieux pour Bruno Retailleau. Et du côté des centristes, 20 sénateurs sur 57 se sont prononcés contre le texte ou se sont abstenus.
À l’Assemblée, c’est près de la moitié du groupe LR qui pourrait s’abstenir ou ne pas voter le projet de loi. Un recours à l’article 49-3 permettrait de cacher la poussière sous le tapis. Les comptages sont toujours cruels.
Motions de censure en discussion
Les oppositions peuvent-elles se retrouver sur une motion de censure unique ? À l’initiative du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, de discrètes négociations se sont engagées avec les frondeurs de LR et la Nupes. Du côté du Rassemblement national, on est partant pour toutes les motions de censure.
Il faudra peut-être se mettre d’accord avec toutes les oppositions pour déposer la motion de censure peut-être la plus consensuelle possible.
Transpartisane ?
Moi je vais vous dire : je n’ai aucune difficulté à ce que le Rassemblement national vote des motions de censure qui ne viennent pas forcément de nos bancs.
Jordan Bardella, président du RN et député européen groupe ID, France Inter, 12 mars 2023.
Au RN, on caresse un rêve récurrent. Celui d’une dissolution de l’Assemblée qui permettrait aux lepénistes de revenir encore plus nombreux dans l’hémicycle. Une motion de censure votée par une partie des LR, la Nupes et le RN pourrait inciter le président de la République à renvoyer les députés devant les électeurs. C’est du moins l’analyse que l’on fait dans l’entourage de Marine Le Pen.
Quelle que soit l’issue de cette semaine cruciale, elle laissera des traces indélébiles dans l’opinion. Car celle-ci est maintenant convaincue que la réforme des retraites est une injustice. En France, plus qu’ailleurs, c’est quelque chose qui ne se pardonne pas.
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