
C’est un nouveau bâton de dynamite que vient de lancer François Bayrou. Celui de l’élection à la proportionnelle de la prochaine Assemblée nationale. Ce matin, il a reçu Jordan Bardella et Marine Le Pen qui inaugurent ainsi un cycle de consultations sur le sujet. Car le Premier ministre veut que la modification de l’actuel mode de scrutin soit tranchée d’ici la fin de la session parlementaire. C’est-à-dire, au plus tard, le 30 juin.
Vu l’agenda passablement encombré de l’Assemblée, ce débat, s’il prend la forme d’un projet de loi, viendra à l’ordre du jour plutôt en juillet ou en septembre, à l’occasion d’une session extraordinaire de la chambre basse. En ouvrant ce chantier, François Bayrou espère bien s’acheter un peu de répit. Fin mars, Marine Le Pen avait exigé que la proportionnelle soit inscrite à l’ordre du jour. La voilà exaucée. Et François Bayrou provisoirement sauvé. A quoi tient la survie…
Je crois, pour le coup, qu’on peut lui faire crédit du fait qu’il demande la proportionnelle depuis très longtemps. C’était, je crois aussi, un de ses engagements en tant que Premier ministre. Vous savez, il le sait, il y a une épée de Damoclès qui s’appelle la censure. Je pense qu’il doit jouer avec précaution sur les effets d’annonce et être plutôt dans l’action.
Pas une proportionnelle alibi, pas les trois quarts des députés au scrutin majoritaire et puis quelques députés pour faire semblant d’avoir la proportionnelle. Non. Une vraie proportionnelle, qu’elle soit départementale, qu’elle soit avec une prime majoritaire, pourquoi pas, tout ça doit être en discussion. Mais attention. Pas de grands conciliabules, de grands comités qui vont durer des années pour réfléchir. On a déjà tous beaucoup réfléchi à la question. Maintenant, action.
Laurent Jacobelli, député RN, le 29/04/2025
La proportionnelle menace le front républicain
Sous la Ve République, les députés n’ont été élus à la proportionnelle qu’une seule fois. C’était en 1986. En difficulté, François Mitterrand, alors président de la République, avait retenu ce mode de scrutin pour torpiller le retour de la droite. 35 députés Front national, dont Jean-Marie Le Pen, furent ainsi élus, privant la droite de la majorité absolue.
L’actuel mode de scrutin sera rétabli deux ans plus tard. Un pas en arrière qui n’a jamais été du goût du Front national puis du Rassemblement national. Car le scrutin majoritaire à deux tours a permis l’installation, pendant presque 40 ans, d’un front républicain qui a barré la route du pouvoir à la formation lepéniste. Un obstacle que le retour à la proportionnelle de 1986 permettrait de faire disparaître. Pas de second tour. Donc plus de front républicain. Ça tombe bien, il n’est plus très en forme. Passer à la proportionnelle n’a rien, en soi, de révolutionnaire.
On l’oublie souvent, les conseillers municipaux, les conseillers régionaux et une partie des sénateurs sont élus à la proportionnelle. Il n’y aurait donc rien de choquant à aligner l’élection des députés sur ce modèle. En revanche, si l’on en croit les simulations, il n’est pas certain que cela permettrait de trouver plus facilement des majorités. Quoi qu’il en soit ça coince. Et pas qu’un peu. Les Républicains considèrent que l’introduction de la proportionnelle ne ferait qu’amplifier le désordre actuel.
On voit bien ce qu’il se passe aujourd’hui. Il n’y a pas de majorité à l’Assemblée, et les partis sont incapables de discuter entre eux. Or, la proportionnelle c’est le règne des partis, c’est l’instabilité qu’on l’avait connue sous la 4e République, c’est le règne des apparatchiks puisqu’à l’intérieur des listes de proportionnelle on se retrouve uniquement avec des gens qui sont proches de leur parti politique et pas avec des élus de terrain qui peuvent être choisis par les Français eux-mêmes.
Jean-Didier Berger, député Droite républicaine, le 29/04/2025
Jean Didier Berger est un partisan de Laurent Wauquiez. Et comme son candidat à la présidence du parti, il ne manque pas une occasion de mettre au pied du mur Bruno Retailleau.
Monsieur Retailleau doit aider la Droite républicaine. Il est le représentant de la Droite républicaine le plus important au sein du gouvernement. Et donc nous lui demandons de s’opposer formellement à ces textes qui ne vont pas dans la bonne direction, la proportionnelle, mais également l’augmentation des impôts notamment sur les retraités. Et donc nous comptons sur lui pour faire en sorte de porter la voix de la Droite républicaine au sein du gouvernement et pour faire en sorte de dire “non” au Premier ministre.
Jean-Didier Berger, député Droite républicaine, le 29/04/2025
Embarras général
Mine de rien, c’est une partie du socle commun qui risque de s’effondrer avec cette réforme du mode de scrutin. Au sein du bloc central, chez les amis de Gabriel Attal, on est très embarrassé par les intentions du Premier ministre, comme le reconnaît Pierre Cazeneuve, député Ensemble pour la République. Il doit accompagner Gabriel Attal, demain jeudi à Matignon, pour exprimer les réticences des macronistes sur le sujet. Réticences assez incompréhensibles : en 2017, puis en 2022, Emmanuel Macron s’était déclaré favorable à l’introduction d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives.
Ce qui nous a poussé en 2017 à avoir cette position, c’est qu’on était dans une situation politique et institutionnelle où Marine Le Pen, si je prends que ça comme exemple, fait 34 % des voix au second tour de l’élection présidentielle et se retrouve in fine avec seulement 8 députés. On voit bien qu’il y avait une distorsion importante entre la réalité politique du pays, de ce que pensaient les gens, et leur représentation in fine à l’Assemblée nationale.
Ca n’aura échappé à personne qu’en 2024 cette distorsion n’existe plus puisque la composition de l’Assemblée nationale telle qu’elle est aujourd’hui, est extrêmement fidèle à la représentation réelle du pays sur le point de vue de leurs opinions politiques. On est quasiment déjà dans une situation de proportionnelle aujourd’hui dans un delta de 9 % pour être extrêmement précis.
Le moins pire des scrutins, et je dis bien le moins pire parce qu’il n’y a pas de scrutin parfait, je l’ai dit déjà, le moins pire de ces scrutins c’est le scrutin actuel.
Pierre Cazeneuve, député EPR, le 29/04/2025
On va mettre les sous-titres : “On était pour la proportionnelle, parce que le RN n’était pas correctement représenté. Mais maintenant ce n’est plus le cas. Donc on ne change rien. C’est déjà assez le bordel comme ça.” Voilà qui a au moins le mérite de la franchise. Mais ça ne fait pas les affaires de François Bayrou. S’il comptait sur le renfort de la gauche, c’est encore raté. Quelles que soient les familles, celles-ci se montrent frileuses.
Nous avons, au Parti socialiste, porté l’introduction d’une part de proportionnelle depuis très longtemps. La question c’est : Quelles sont les pistes de travail sur lesquelles travaille le gouvernement ? Nous n’avons pas compris quelles étaient les grandes orientations qui seraient proposées.
Est-ce que c’est l’introduction d’une dose de proportionnelle sur une liste nationale à la proportionnelle intégrale ? Est-ce qu’il y a une forme de départementalisation ou de régionalisation ? On attend les hypothèses de travail du gouvernement. Et évidemment nous nous exprimerons clairement en temps utile.
Emmanuel Grégoire, député Socialistes et apparentés, le 29/04/2025
Là aussi, un peu de traduction aide à la compréhension. François Hollande est favorable à la proportionnelle, Olivier Faure y est hostile. Les électeurs sont donc priés d’attendre le résultat du congrès des socialistes, à la mi-juin, pour connaître la position du parti. On se croirait à Rome en train de guetter la fumée blanche. Les Écologistes patinent également dans la semoule. Bio, cela va de soi.
Je ne vais pas vous dire la position des Écologistes tout de suite, parce que nous ne connaissons même pas le début d’un commencement de texte. Je crois qu’il faudrait d’abord que le gouvernement prenne ses responsabilités, dépose un projet de loi avec un sérieux aussi, une mesure d’impact, un avis de Conseil d’État, en tout cas que les choses soient faites de manière méthodique pour que nous puissions aussi nous positionner sur des propositions qui sont réalistes.
Léa Balage El Mariky, députée Écologiste et social, le 29/04/2025
Du côté des insoumis, on sent bien que la question ne passionne pas. D’abord parce que LFI n’a reçu aucune invitation pour l’instant. Ensuite, parce que le projet du Premier ministre reste assez nébuleux.
Vous le savez, nous sommes pour une vraie proportionnelle. Et tout ce que je peux vous dire c’est que nous ne sommes pas pour les bidouillages du type de ceux qui sont demandés par le Rassemblement national, c’est-à-dire une proportionnelle mais quand même on donne un super super bonus, par exemple, à la liste qui arrive devant. Pour vous dire qu’effectivement ça fait bien partie, on l’a toujours porté, de notre programme mais selon des modalités qui soient une réelle proportionnelle.
Aurélie Trouvé, députée LFI, le 29/04/2025
Inversement proportionnel
On aurait pu penser que les petits groupes parlementaires se montreraient favorables à la proportionnelle. Comme LIOT : Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Erreur sur toute la ligne.
Je crois pouvoir dire que la très grande majorité du groupe LIOT, si ce n’est l’unanimité, nous sommes violemment contre cette mesure. Parce que ça fera des apparatchiks parisiens, parce que ça remettra les partis qui ne sont qu’une partie de la solution au centre du jeu, parce que nous avons besoin d’élus proches du peuple. Nous avons besoin d’hommes et de femmes qui respirent la population et leurs problématiques et pas des personnes nommées par des partis politiques, très clairement.
Olivier Serva, député LIOT, le 29/04/2025
Mais cet argument du nécessaire enracinement des députés dans une circonscription pourrait être levé par un troc auquel réfléchit François Bayrou. Le notable béarnais n’en a jamais fait mystère, il est pour le cumul des mandats. A preuve son obstination à rester maire de Pau tout en étant à Matignon. La perspective pour les députés de pouvoir cumuler leur mandat avec celui de maire ou de président d’un conseil départemental pourrait amadouer la droite. Le marchandage ne fait que commencer. Et plus longtemps il s’éternisera, plus François Bayrou durera.
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