Agnès Pannier-Runacher : le nouveau scandale du gouvernement

Mardi 8 novembre, le média Disclose publie une enquête sur Agnès Pannier-Runacher. La ministre de la Transition écologique est accusée de conflit d’intérêts avec une société pétrolière détenue par son père, prenant sa source dans des paradis fiscaux.

Agnès Pannier-Runacher peut-elle rester au gouvernement ? La question est posée depuis que le site d’investigation Disclose a révélé, ce 8 novembre, les liens entre la ministre de la Transition énergétique
et une société constituée par des fonds domiciliés dans des paradis fiscaux. Et cet argent a une tenace odeur de pétrole, ce qui fait désordre pour une ministre en charge de l’écologie.
Interpellée le même jour lors de la séance des questions au gouvernement, la ministre dément les informations de Disclose. « J’ai pris connaissance ce matin, des allégations fausses et calomnieuses publiées par Disclose. Je tiens naturellement à vous apporter toute la transparence sur un sujet qui n’a pas de lien avec mes fonctions de ministre. »

Une belle histoire familiale

Mais que rapporte Disclose ? En 2016, le père de la ministre, Jean-Michel Runacher crée une société dénommée Arjunem. Il s’agit de transmettre par ce biais une partie de son patrimoine à ses petits-enfants en évitant de payer des droits de succession. Les trois enfants d’Agnès Pannier-Runacher deviennent actionnaires d’Arjunem pour la modique somme de 10 euros chacun.
Pour sa part, Jean-Michel Runacher apporte 1,2 million d’euros placés dans des fonds spéculatifs. Ces fonds sont domiciliés dans des paradis fiscaux comme Guernesey ou l’État américain du Delaware. Le produit de ses capitaux est déposé dans une banque luxembourgeoise.
Jusqu’en 2020, ce généreux grand-père était l’un des principaux dirigeants du groupe pétrolier Perenco
spécialisé dans l’extraction du pétrole des puits en fin de vie. Le groupe emploie 6 000 personnes dans le monde. Il opère principalement en Afrique et en Amérique du Sud. Limitant ses investissements techniques au maximum, il fait peu de cas de l’environnement. L’ONG Sherpa et les Amis de la Terre viennent d’ailleurs d’engager une procédure pour obtenir réparation du préjudice écologique commis en République démocratique du Congo par le groupe pétrolier.

La représentante légale

Sommée de s’expliquer par le député socialiste Arthur Delaporte, la ministre de la Transition énergétique
a affirmé n’avoir aucun lien avec la société créée par son père au profit de ses enfants. « Mon père a souhaité préparé sa succession par une transmission directe à ses petits-enfants. Cette transmission a eu lieu par le biais d’une entreprise française soumise à la fiscalité française, par acte notarié établi à Paris et dans le plein respect des dispositions applicables par la loi française. Il n’y a donc rien de dissimulé, rien de caché. Je précise que je ne bénéficie pas, et ne bénéficierai jamais de ces fonds
n’ayant aucun droit, présent ou futur sur cette société. J’ai évidemment satisfait les obligations déclaratives prévues par la loi notamment auprès de la HATVP [la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ndlr] qui prévoit expressément que les déclarations de patrimoine ne concernent pas le patrimoine des enfants, y compris mineurs. »

L’affaire ne concernerait que le père de la ministre et les enfants de celle-ci. Mais, en 2016, les enfants en question avaient 13 ans, 10 ans et 5 ans. Agnès Pannier-Runacher était par conséquent leur représentante légale, comme l’a noté Aurélien Saintoul, député LFI : « Son père a constitué un patrimoine à ses enfants dont elle est représentante légale. Il est inadmissible de croire qu’elle puisse être détachée de l’intérêt patrimonial de ses enfants. Ils étaient mineurs quand cette donation a eu lieu. D’ailleurs, de ce point de vue là, utiliser la figure de son père ou de ses enfants pour se protéger, pose question d’un point de vue moral. »

Quid de l’obligation morale

Agnès Pannier-Runacher est bien concernée par cette affaire. Et à plus d’un titre. Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, dresse la listes des irrégularités relevées. « Exemplarité du gouvernement, épisode 2627, à peu près. Je dirais qu’elle a faux de bout en bout. Faux parce qu’elle n’a pas déclaré à la Haute autorité, donc ça veut dire qu’il y a là quand même un défaut de transparence qui est gravissime. Ensuite, il se trouve que ce n’est pas dans n’importe quelle industrie que cette affaire se déroule, c’est une industrie pétrolière, et qu’il y a de l’évasion fiscale puisque c’est un paradis fiscal. Donc ça fait quand même beaucoup, je dirais que l’addition est salée. Nous avions un président de la République qui avait promis une république exemplaire, et nous ne cessons pas d’avoir des ministres qui sont mis en cause. »
Sur l’obligation déclarative, Clémentine Autain s’avance un peu vite. Légalement, la ministre n’était pas tenue d’informer la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Mais sur le plan moral et politique, Cyrielle Chatelain arbitre : « Aujourd’hui, elle dit : “Je n’avais pas d’obligation.” C’est vrai, mais je pense que la question n’est pas de savoir s’il y avait une obligation légale mais il y a une obligation déontologique, il y a une obligation éthique d’être transparent quand on a des proches, c’est-à-dire ses parents, ses enfants, qui ont des intérêts financiers à l’exploitation du pétrole, quand on est ministre de la Transition énergétique. C’est un élément d’intérêt général et cela constitue un conflit d’intérêt. »
Sans doute la morale d’Agnès Pannier-Runacher obéit-elle à d’autres impératifs catégoriques.

Ouverture d’une enquête

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique est catégorique dans les colonnes de Libération : « L’absence d’obligation déclarative ne dispense pas le responsable public de veiller à prévenir et faire cesser les situations de conflits d’intérêts qui naîtraient d’autres intérêts indirects détenus, tels que l’activité des enfants ou d’autres membres de la famille. »

Du coup, la HATVP vient de lancer des vérifications approfondies sur la situation d’Agnès Pannier-Runacher. Les conclusions pourraient donner lieu à un signalement à la justice en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale.
L’origine des fonds de la société Arjunem, société de droit français, doit être vérifiée. Olivier Marleix, député LR d’Eure-Et-Loir, soutient cette demande : « Le notaire demande de justifier l’origine des fonds à chaque Français qui va demain acheter son petit pavillon. Je pense qu’il faut qu’elle explique aux Français qu’elle est l’origine de ces fonds, quels sont les montants concernés, d’où vient cet argent. Ces pratiques d’optimisation fiscale sont aujourd’hui insupportables aux Français. Et ce n’est pas parce que c’est pratiqué par des véhicules d’investissement que c’est mieux. Le petit entrepreneur français, s’il a un mois de cavalerie de remboursement de sa TVA, il se fait taper dessus par les services qui étaient ceux de madame Pannier-Runacher il n’y a pas très longtemps encore à Bercy. Et donc aller loger des véhicules d’investissement à l’étranger, même si ce n’est pas illégal, oui ça fait extrêmement mauvais genre. »
Ça fait tellement mauvais genre que la Première ministre a préféré botter en touche plutôt que de défendre sa ministre, en réponse à Cyrielle Chatelain, la présidente du groupe écologiste : « Si votre propos est de commenter des articles de presse, je vous dis que mon rôle n’est pas de commenter des articles de presse et que la ministre a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet. Je vous remercie. »

« Ils s’assoient sur toutes les autorités »

La Première ministre fait le pari que l’information sera oubliée dans quelques jours. Une posture qu’Olivier Faure, député PS, n’accepte pas : « Ce serait dramatique, que ce soit une fois de plus, une fois de trop, un gouvernement qui dit : “Bon il y a un conflit d’intérêt, très bien vous vous lasserez avant nous. Donc la presse vous en parlerez pendant deux heures, puis dans deux heures on passera à d’autres choses.” C’est ça qu’ils espèrent, on le sait bien. Imaginez quand même que vous avez un secrétaire général de l’Elysée qui a un conflit d’intérêts pour des faits qui sont de nature à avoir enrichi sa propre famille. Vous avez un garde des Sceaux qui est, lui, mis en examen et est même traduit devant la Cour de justice de la République pour des faits là aussi de conflit d’intérêt puisqu’il a réglé ses comptes, potentiellement, avec des magistrats dans sa vie professionnelle antérieure. Jean Castex qui va être nommé à la tête de la RATP, là, la Haute autorité de la transparence de la vie publique dit quoi ? Elle dit qu’il ne peut même pas communiquer avec les ministres et Matignon parce qu’il ne peut pas, lui aussi, se mettre en situation de conflit d’intérêts. Ils s’assoient, à chaque fois, sur toutes les autorités indépendantes, sur la presse, sur l’opposition, ils n’en font qu’à leur tête. »
Agnès Pannier-Runacher est dans une situation identique. Elle ne peut pas traiter les dossiers liés à Engie en raison d’un risque de conflit d’intérêts. Son mari, dont elle est en train de divorcer, est en effet président d’une filiale du groupe énergétique. La ministre de la Transition énergétique ne peut pas intervenir dans les dossiers impliquant un des principaux fournisseurs d’énergie. Ce n’est pas tout. Dans ses précédentes fonctions de ministre déléguée chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher devait également se déporter chaque fois qu’elle était en présence de dossiers impliquant la Compagnie des Alpes ou à la compagnie maritime Bourbon, groupes au sein desquels elle avait travaillé. À ce niveau de consanguinité avec le privé, il vaut peut-être mieux éviter de servir l’État.

« La République des copains »

Et comme pour enfoncer un peu plus le clou, le média en ligne Politico révèle, mercredi 9 novembre, que la ministre est domiciliée à Lens depuis 2021, dans une maison appartenant à la famille Dassault. Agnès Pannier-Runacher aurait ignoré cet élément, la maison étant le domicile de son concubin, son ancien chef de cabinet, Nicolas Bays. Rien de répréhensible. Mais c’est une note supplémentaire pour comprendre l’univers déconnecté dans lequel Agnès Pannier-Runacher évolue.
En 1972, Michel Poniatowski qui deviendra ministre de l’Intérieur de Valéry Giscard d’Estaing dénonçait « la République des copains et des coquins. » Il visait alors l’accaparement de l’État par les gaullistes de l’UDR et les intérêts privés qui leur étaient liés. Très exactement un demi-siècle plus tard, la formule conserve toute sa pertinence pour désigner la France à l’heure macroniste.

Suite de l’affaire

La Haute autorité de la transparence pour la vie publique (HATVP) a rendu son avis, ce mardi 15 novembre, sur l’affaire Pannier-Runacher. Dans son communiqué, l’instance constate « l’absence de manquement de Mme Pannier-Runacher à ses obligations déclaratives ». La HATVP considère que « le décret de déport publié ce jour, aux termes duquel la ministre ne connaît pas des actes de toute nature relatifs notamment au groupe Perenco, permet de prévenir les risques de conflits d’intérêts vis-à-vis de ce groupe».

Plus tôt dans la journée, un décret publié au Journal officiel a interdit la ministre Agnès Pannier-Runacher de s’occuper des dossiers liés à Perenco, la deuxième plus grande entreprise pétrolière de France, pour éviter tout conflit d’intérêts. C’est Élisabeth Borne qui reprend le dossier.

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