La stratégie de l’exécutif sur le texte de réforme des retraites

Élisabeth Borne, Première ministre, 10 janvier 2023. ©Matignon

La France entre dans l’aventure. En repoussant de 62 à 64 ans l’âge légal du départ en retraite, en conditionnant le taux plein des pensions à 43 ans de cotisations, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne prennent le risque d’un embrasement social. En effet, toutes les enquêtes d’opinion concordent sur ce point : les Français ne jugent ni urgente, ni nécessaire cette réforme. Dès lors, qui va l’emporter ? La résignation ou la révolte ? C’est la question qu’a posée François Ruffin, mardi 10 janvier, lors du meeting unitaire de la gauche organisé par les médias Fakir et Reporterre.

Macron sait, avec sa toute-puissance, il croit à sa puissance et il sait qu’il ne convaincra pas les Français. Il a renoncé à convaincre les Français. En revanche, il compte sur la résignation des Français. Il compte sur le fait que les Français se tiennent, quoi ? Il compte sur le fait que les Français se tiennent muets, se tiennent silencieux, qu’ils aient peut-être une colère mais une colère résignée. C’est là-dessus qu’il compte, c’est sur le « à quoi bon », c’est sur les « c’est comme ça », et c’est notre pire adversaire. Notre pire adversaire ce n’est pas Borne, ce n’est pas Macron, ce n’est même pas la finance, c’est l’indifférence des gens.

François Ruffin, député LFI-Nupes de la Somme, meeting contre la réforme des retraites, 10 janvier 2023

Bataille de l’opinion

Il faut remercier l’exécutif. Grâce à lui, s’est déjà constitué un front syndical qu’on n’avait pas vu depuis 2010. L’année où François Fillon avait justement entrepris de porter de 60 à 62 ans l’âge du départ en retraite. On se souvient aussi, malheureusement, qu’il y est parvenu malgré les millions de manifestants descendus dans les rues. Il faudra faire plus fort. Ce qui se joue maintenant, c’est la bataille de l’opinion. Le gouvernement affiche une volonté d’ouverture et de compromis : 

Nous voulons le dialogue, nous l’avons montré ces derniers mois. Nous sommes ouverts à la discussion, nous la voulons et nous savons ce qu’elle apporte. Cette présentation n’est donc pas un point final, nous sommes prêts à faire encore évoluer notre projet et cela sera possible grâce à un débat parlementaire loyal et constructif.

Élisabeth Borne, Première ministre, 10 janvier 2023

« Un débat parlementaire loyal et constructif », dit la Première ministre. C’est un mensonge éhonté. Ce qui se prépare, c’est une Blitzkrieg, une guerre éclair. Le gouvernement veut laisser le moins de temps possible aux oppositions pour construire un rapport de force. À cet effet, il a choisi d’utiliser un véhicule législatif particulier : un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative. 

Délais raccourcis

C’est un texte budgétaire. À ce titre, il doit respecter des délais raccourcis par rapport aux projets de loi ordinaires. Qui plus est, en matière budgétaire, le gouvernement peut recourir autant de fois qu’il le veut à l’article 49-3 de la Constitution. Celui qui permet de faire adopter un texte sans vote sauf si une motion de censure est votée. Mais l’exécutif n’aura pas forcément besoin d’utiliser cette arme, on va le voir un peu plus loin.

Ce qu’il y a de honteux, c’est la manière dont cette réforme va être présentée au Parlement par ce qu’on appelle un cavalier législatif sur un projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Une réforme des retraites, c’est un projet de société, ça ne peut pas être trois amendements à un projet de financement de la Sécurité sociale. C’est honteux de faire ça. C’est pour aller vite, c’est pour frapper fort et c’est pour empêcher les Français de s’exprimer et de dire ce que nous voulons vraiment, nous, en termes de réforme des retraites.

Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste

Le diable est toujours les détails. L’utilisation d’un projet de loi de financement rectificative présente un avantage peu connu.

Article 47-1

Comme c’est une loi de finances, alors elle est astreinte à des délais : vingt jours pour être examinée par l’Assemblée, cinquante jours au total pour être examinée par le Parlement et avec la possibilité, si le texte n’est pas terminé, de le transformer en ordonnance, c’est-à-dire en chèque en blanc permettant au gouvernement de faire tout et n’importe quoi. Voilà, là aussi, un déni de démocratie de ceux qui vont tenter de nous faire passer pour une opposition faisant de l’obstruction.

Sébastien Jumel, député GDR-Nupes de la Seine-Maritime

Je résume : le texte doit arriver en séance publique le 6 février. Les députés auront alors vingt jours pour l’examiner. Des milliers d’amendements vont être déposés par les oppositions. Il y a de fortes chances que ce délai de vingt jours se révèle trop court pour qu’on arrive au stade du vote. C’est là qu’entre en jeu l’article 47-1 de la Constitution. Voici ce qu’il dit :

Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.

Article 47-1 de la Constitution de la République

Ordonnance

Qu’il soit voté ou non, le texte ira au Sénat. La chambre où les Républicains sont majoritaires. Et comme ces derniers sont favorables à la réforme, le projet de loi du gouvernement a toutes les chances d’être adopté. Imaginons cependant que le Sénat dépasse les quinze jours qui lui sont alloués par la Constitution pour se prononcer, ça n’est jamais arrivé depuis 1958. Pas de problème. 

Le gouvernement peut dans ce cas recourir à une ordonnance pour mettre en œuvre les dispositions du projet de loi. Une ordonnance, c’est quoi ? C’est une autorisation que le pouvoir législatif donne au pouvoir exécutif pour légiférer à sa place pour un temps donné et sur un domaine particulier. Autrement dit, sur le plan institutionnel, le gouvernement est assuré de faire passer sa réforme. Et cela, sans même recourir à l’engagement de responsabilité prévu par l’article 49-3. Celui qui a été utilisé à dix reprises pour faire adopter le budget. 

Pression de la rue

Sur le plan politique, c’est une autre paire de manches. Même si le recours à une procédure accélérée via une loi de financement abrège les débats, le processus parlementaire ne se terminera pas avant la fin du mois de mars. Le gouvernement est-il capable de résister à la pression de la rue jusque-là ? Deux mois et demi de manifs et peut-être de grèves, c’est long. Et ça laisse surtout le temps aux oppositions d’organiser la mobilisation. 

La Première ministre ne nous a pas servi une allocution mais une véritable déclaration de guerre sociale aux Français et aux Françaises qui, je le rappelle, selon le dernier sondage qui est paru, sont à 80 % opposés à cette réforme des retraites. Nous mettrons, nous à la Nupes, toutes nos forces pour nous opposer et dans la rue et avec notamment les forces syndicales et dans l’hémicycle pour faire renoncer ce gouvernement à cette réforme des retraites.

Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI-Nupes

Cette réforme est particulièrement injuste. Ainsi, ceux qui ont commencé à travailler tôt ne pourront pas partir en retraite alors même qu’ils totalisent un nombre suffisant de trimestres. Certes, Élisabeth Borne a annoncé que son gouvernement avait amélioré le dispositif des carrières longues.

Berner l’opinion

Nous allons conserver et améliorer le dispositif dit « carrière longue » en le rendant plus juste et plus lisible. Nous créerons notamment un niveau intermédiaire pour ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans. En 2030, lorsque l’âge légal de départ à la retraite aura été porté à 64 ans, il restera à 58 ans pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt, avant 16 ans. Pour ceux qui ont commencé entre 16 et 18 ans, je pense notamment aux apprentis, la retraite sera possible à partir de 60 ans. Et pour ceux qui ont commencé entre 18 et 20 ans, elle le sera à partir de 62 ans.

Élisabeth Borne, Première ministre, 10 janvier 2023

Mais il suffit de prendre sa calculette pour s’apercevoir que Matignon tente de berner l’opinion. La réforme que le gouvernement tente de nous vendre porte à 172 le nombre de trimestres cotisés pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Ce qui représente 43 années. Or quand on regarde le tableau à côté de la Première ministre, on s’aperçoit que les salariés concernés devront totaliser 44 années de travail pour partir en retraite. Un an de plus ! Autrement dit, ceux qui ont commencé à travailler plus tôt que les autres sont ceux qui partiront le plus tard.

Parier sur la mort de nos concitoyens

S’agissant des petits revenus, on imagine la précarité dans laquelle ces salariés vont se retrouver. Sans parler de tous ceux qui seront déjà morts avant d’atteindre 64 ans.

On n’est pas tous égaux face à la santé. On n’est pas tous égaux face à l’espérance de vie. On n’est pas tous égaux face à la retraite. Oui, c’est très injuste, mais il y en a qui mourront plus tôt que les autres. Cette réforme, c’est la retraite pour les morts. Aujourd’hui, vous le savez, il y a un quart des plus pauvres des Français qui sont déjà morts à 62 ans. C’est quoi le projet de ce gouvernement ? C’est qu’il soit encore plus nombreux à 64 ans ? Mais ils le seront, de fait. C’est au minimum 10 000 morts en plus chaque année qui ne connaîtront pas la tranquillité d’une retraite chèrement acquise par une vie de labeur. C’est trois fois plus que le nombre de morts sur les routes. Est-ce que vous trouvez ça juste ? Ce sera plus de retraites courtes, de moins de cinq ans, plus de retraites inférieures à dix ans. Et songez, songez à cette grande injustice qui à elle seule justifie notre mobilisation et notre combat : Pour 40 % des hommes les plus modestes, on leur amputera 15 % de leur temps de vie à la retraite.

Boris Vallaud, député des Landes et président du groupe parlementaire socialiste, meeting contre la réform des retraites, 10 janvier 2023

Disons les choses brutalement. Le projet du gouvernement, c’est de parier sur la mort de nos concitoyens, au premier rang desquels les plus pauvres, pour ne pas leur servir la retraite à laquelle ils ont droit. Voilà la barbarie de cette réforme. Voilà la barbarie du macronisme.

On se frotte les mains à droite

À droite, on se frotte les mains. Le gouvernement s’est aligné sur les positions des Républicains. Enfin, ils servent à quelque chose.

Nous prenons acte que la Première ministre a entendu un certain nombre de nos demandes. La première, la plus importante, c’est que le rythme de la réforme des retraites ne soit pas un rythme brutal. L’allongement de durée de cotisation de 5 à 6 mois par an pour arriver très vite à 65 ans, tout ça nous paraissait profondément déraisonnable. On a plaidé pour un rythme de un trimestre par an de recul de l’âge pour arriver à 63 ans à la fin de ce quinquennat. Et une deuxième mesure sur laquelle évidemment on est satisfaits d’avoir été entendu, c’est l’extension du bénéfice de cette retraite minimum pour des carrières complètes à 1 200 euros aux actuels retraités.

Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR

Défection probable

Mais les 62 députés du groupe LR ne se rangeront pas comme un seul homme derrière le gouvernement. Une bonne douzaine pourrait faire défection. Écoutez Aurélien Pradié, le député du Lot qui était l’un des trois candidats à la présidence des Républicains.

La première ligne rouge que nous avons fixé est le fait que tous les pensionnés actuels, tous les retraités actuels qui sont en carrière complète doivent pouvoir bénéficier non pas d’une augmentation de la pension de retraite comme l’a annoncé Elisabeth Borne, mais de 85 % du Smic, c’est-à-dire 1 200 euros. On ne se contentera pas d’une petite augmentation. Deuxième point sur lequel j’ai un désaccord clair, j’ai dit, y compris avec plusieurs de mes collègues, qu’il n’était pas question que celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt, les carrières les plus longues, soient ceux qui pâtissent de cette réforme-là. Toutes celles et ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans, qui sont ou dans le dispositif de carrière longue ou qui ont commencé à travailler très tôt, ne doivent pas devoir travailler une année supplémentaire.

Aurélien Pradié, député LR du Lot

Accents à la gauche

Quant au Rassemblement national, il emprunte ses accents à la gauche. 

Est-ce qu’il y a une urgence à réformer les retraites ? Non. Cette année les caisses sont excédentaires. Elles l’étaient l’année dernière. Est-ce que les Français le veulent ? Non. Est-ce que l’ensemble des gens qui arrivent à l’âge de la retraite sont au travail ? Non. Un sur deux n’est déjà plus au travail, il est soit au chômage soit en maladie ou en invalidité. Cette réforme n’a aucun sens et elle n’a aucun intérêt et elle est même socialement violente. On peut s’interroger sur l’entêtement de madame la Première ministre pour nous l’imposer. On a peut-être un début de réponse quand on voit qu’ils essaient de se recréer une nouvelle majorité avec les Républicains qui semblent tenir à cette réforme. Tout ça c’est de la basse politique.

Laurent Jacobelli, député RN de Moselle

Du coup, Pure Politique a demandé à Jean-Philippe Tanguy si lui-même et les responsables du RN allaient descendre dans la rue :

Non, nous avons été élus pour siéger au Parlement, pour combattre les mesures du gouvernement au Parlement et pour proposer surtout des alternatives et confronter le gouvernement à ses manipulations et même à ses tromperies sur cette réforme des retraites.

Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme

La posture d’opposant a ses limites. En 2022, les grandes entreprises réunies au sein du CAC40, le principal indice boursier français, ont versé 56 milliards d’euros à leurs actionnaires. Un record historique. Dans le même temps, on demande aux Français d’abandonner deux ans de leur vie à la loi d’airain du profit. Pour ceux qui l’auraient perdue de vue, la lutte entre le capital et le travail est toujours au cœur des contradictions de la société française.

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