
L’armée est souvent surnommée la grande muette. On ne savait pas que ce mutisme pouvait affecter jusqu’au ministre en charge du portefeuille. A l’évidence, Sébastien Lecornu a conservé de lourdes séquelles de son passage à la défense nationale. Écoutez Marylise Léon à la sortie de Matignon, hier mercredi.
Nous attendions des réponses claires de la part du Premier ministre. Dans le cadre de cet entretien, l’ensemble des 8 organisations syndicales, nous avons pu nous exprimer. Le Premier ministre n’a apporté aucune réponse claire aux attentes des travailleurs et des travailleuses.
Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, le 24/09/2025
Forcément, après François Bayrou qui s’invitait chaque jour ou presque à la télévision, le virage est brutal. Non content de n’avoir rien à dire, Sébastien Lecornu a les oreilles bouchées. L’altitude de Matignon, sans doute. Il n’a pas entendu ce que lui disaient les manifestants des 10 et 18 septembre. Au point qu’il a publié, au sortir de la réunion avec l’intersyndicale, un communiqué annonçant l’envoi à chacune des organisations d’un questionnaire. Organisations qui ont déjà passé trois mois à négocier dans un conclave dont le Medef à fini par avoir la peau.
Selon le communiqué de Matignon, Sébastien Lecornu entend demander aux syndicats comment ils veulent financer la protection sociale, réindustrialiser la France, améliorer les conditions de travail, renforcer le paritarisme et moderniser le marché du travail. Excusez du peu. Une fois qu’ils auront terminé leur petite rédaction, le Premier ministre les reverra avec plaisir. Et comme il est sympa, il leur parlera – un peu – de son projet de budget. Pas besoin d’être grand clerc pour deviner que le Premier ministre cherche surtout à gagner du temps. Comme il l’a reconnu devant les partenaires sociaux, ça ne va pas très fort pour lui.
Une bonne nouvelle dans ce rendez-vous : le Premier ministre nous a dit que jamais dans la 5e République un Premier ministre n’avait été aussi fragile. Et donc ça confirme que nous sommes en position de force et qu’il faut que les travailleurs et travailleuses se mobilisent pour que leurs exigences sociales soient entendues.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, le 24/09/2025
Du coup, l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de grève et de mobilisation le jeudi 2 octobre. En vérité, le rendez-vous avec l’intersyndicale n’était pas le point fort de la journée d’hier. C’était même du flan. Et dans ce domaine, il vaut mieux s’adresser à un spécialiste. Après avoir reçu les syndicats puis le patronat, Sébastien Lecornu s’en est allé voir… François Hollande. L’ancien président a en effet reçu l’actuel Premier ministre dans ses bureaux de la rue de Rivoli.
Une simple visite de courtoisie, se sont empressés de préciser les entourages. Même mon fidèle labrador a tiqué en découvrant ce rendez-vous. Lui qui a du flair et qui lit régulièrement le Figaro se souvient de l’entretien que François Hollande a accordé à ce quotidien, voici une dizaine de jours. Et il a fait le rapprochement. Le roi du scooter est en train de négocier avec Matignon dans le dos de la direction du Parti socialiste. Relisons quelques passages de cet entretien.
“Vous ne parlez pas de “taxe Zucman”. “Pourquoi ?” Lui demande le journaliste. Réponse : Ses principes font partie du débat, mais je me garde d’en faire un fétiche. Tout peut être aménagé et les modalités ont leur sens.”
Une amabilité qui sera appréciée à sa juste valeur par tous les socialistes qui ont fait de la taxe Zucman le fer de lance de leur combat. Mais le marchandage va plus loin. Plutôt que la taxe en question, François Hollande préconise le rétablissement de l’Impôt sur la fortune. Une taxation se concentrant sur le patrimoine mobilier et immobilier, comme c’était le cas avec l’impôt sur la fortune, peut supporter un taux plus élevé puisqu’il ne prend pas en compte l’outil de travail. L’objectif doit être de dégager un rendement sans risque d’optimisation ou d’évasion.
Ça tombe bien, le MoDem est plutôt d’accord avec cette proposition. Le patron des députés, Marc Fesneau, l’a confié hier à nos confrères des Échos.
Cependant, en dépit de sa force symbolique, l’impôt sur la fortune épargne les ultra riches dont l’essentiel du patrimoine est à l’abri dans des holdings. Si cette contribution venait à être rétablie, Bernard Arnault pourrait continuer de dormir sur ses deux oreilles. Mais à droite, on est en embuscade. Gérard Larcher, une fois n’est pas coutume, agite le drapeau rouge.
Mais est-ce qu’on revient aux recettes de 1981 ? Ma réponse est non. Parce que s’il faut taxer uniquement le patrimoine, pardonnez-moi, ça sera une manière d’empêcher ce pays de redécoller. Si Sébastien Lecornu cède à certaines demandes des socialistes, ce sera sans vous, ce sera sans les LR ? On l’a dit clairement. Ça fait partie de la feuille de route sur laquelle on échange.
Gérard Larcher, sénateur LR et président du Sénat, le 25/09/2025
Du côté du Rassemblement national, c’est plus compliqué. Dimanche, Jean-Philippe Tanguy s’est livré à un périlleux numéro de voltige au micro de France inter. La taxe Zucman, ce n’est pas sa tasse de thé.
Le problème de la taxe Zucman, je trouve qu’elle est intellectuellement très faible. Dire que l’aboutissement de cette réflexion c’est qu’on prend les plus riches, ceux qui ont plus de 100 millions de patrimoine et on met une taxe de 2 %, ça me paraît quand même une solution très simpliste.
Jean-Philippe Tanguy, député « Rassemblement national », le 21/09/2025
L’ennui, c’est que les députés du Rassemblement national ont voté cette taxe en commission des finances de l’Assemblée nationale avant de s’abstenir lors de la discussion en séance le 20 février dernier. Une majorité de députés a voté ce jour-là pour la taxe. Une de mes consœurs a donc demandé des explications à Jean-Philippe Tanguy.
Nous avons voté en commission parce qu’on voulait que le débat se tienne. Si on votait contre en commission, la loi… c’était problématique pour aller en séance. En tout cas les amendements tombaient tous, pour faire de la technique parlementaire. Et en séance, il y avait suffisamment de voix de gauche, et surtout les centristes et LR avaient complètement disparu, donc on pouvait envoyer la loi au Sénat juste avec une abstention.
Jean-Philippe Tanguy, député « Rassemblement national », le 21/09/2025
Aujourd’hui, le RN est contre la taxe Zucman. Il lui préfère une proposition ancienne de son programme, l’impôt sur la fortune financière, l’IFF. Cet impôt viendrait remplacer l’actuel impôt sur la fortune immobilière, l’IFI. Pour les étourdis, je rappelle que l’IFI remplace l’ISF supprimé par Emmanuel Macron en 2018. Ah la joie des acronymes… De l’aveu même des responsables du Rassemblement national, l’IFF ne rapportera pas davantage que l’IFI. On devrait tourner autour de 2 à 3 milliards.
Pourquoi changer dans ces conditions ? Ce sont les mystères insondables du programme économique du Rassemblement national. Les petits arrangements entre Sébastien Lecornu et François Hollande déboucheront-ils sur un accord de non-censure ? On peut en douter. D’abord, parce que l’ancien président de la République est loin de faire l’unanimité dans son parti. Les socialistes préfèrent s’aligner sur la CFDT plutôt que sur le député de Corrèze. Et pour l’instant, Marylise Léon est remontée comme une pendule contre le gouvernement.
Ensuite, il y a la perspective des municipales. Plus on se rapproche du scrutin, plus un accord de non-censure devient impossible sauf à avoir un goût prononcé pour le suicide collectif. Il se murmure que Sébastien Lecornu pourrait faire sa déclaration de politique générale le 6 octobre. Aura-t-il le courage de demander un vote des députés ? Rendons cette justice à François Bayrou, lui ne s’est pas dégonflé. Le muet du sérail aura-t-il la même audace ?
Monsieur Lecornu nous a fait part de beaucoup d’intentions hier, encore assez floues, mais bon il a jusqu’à octobre pour trouver des solutions. Donc je vois bien que tant qu’il n’avance pas avec son propre camp, c’est compliqué d’être très clair sur ce qu’il peut proposer aux autres. Il est sur des intentions mais on voit bien que sur son équation, elle est assez insoluble, puisque plus il va devoir aller chercher monsieur Retailleau, madame Dati, madame Vautrin, monsieur Darmanin, plus il va aller dans une direction qui ne peut pas nous satisfaire. En réalité, les mêmes causes continueront d’entraîner les mêmes conséquences.
Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, le 18/09/2025
Sébastien Lecornu caresse l’idée d’obtenir des socialistes un accord de non-censure. Mais on n’en prend pas le chemin.
Le Premier ministre est resté très flou sur ses intentions. Il continue à consulter, et nous n’avons pas, au moment où on se parle, la moindre indication de ce qu’il ferait, et donc nous restons évidemment très prudents sur ce qui pourrait se passer. Nous lui avons dit très clairement que s’il était là pour refaire François Bayrou, les mêmes causes produiraient les mêmes effets et que nous censurerions dès la discussion de politique générale.
Olivier Faure, député « Écologistes et apparentés » et Premier secrétaire du Parti socialiste, le 17/09/2025
Et ce dimanche, Boris Vallaud a confirmé que la donne n’avait pas changé.
Il n’y a pas de négociation aujourd’hui pour la simple et bonne raison que nous ne connaissons rien des latitudes du Premier ministre. Je ne suis pas certain que lui-même les connaisse. Quand j’écoute le bloc central, dans son extrême diversité, j’entends ceux qui disent : “Bah oui il va falloir bouger sur la taxation des très hauts patrimoines” et puis d’autres, dans le même parti, dans le même groupe parlementaire, qui disent : “Pas question !”.
Boris Vallaud, président du groupe « Socialistes et apparentés » à l’Assemblée nationale, le 21/09/2025
Négociation impossible
A moins d‘une suspension de la réforme des retraites et de la mise en place de la taxe Zucman, Sébastien Lecornu n’obtiendra rien des socialistes. A six mois des élections municipales, ces derniers ne vont pas se saborder pour sauver une macronie à son crépuscule. Mais le Premier ministre doit également composer avec le patronat. Patrick Martin, le patron du Medef, l’a déjà menacé d’une mobilisation des patrons. C’est maintenant Bernard Arnaud qui sort l’artillerie. Dans le Sunday times, le numéro un mondial du luxe, s’en est pris à Gabriel Zucman dans des termes extrêmement violents.
“On ne comprend pas les positions de M. Zucman si l’on oublie qu’il est d’abord un militant d’extrême gauche. A ce titre, il met au service de son idéologie (qui vise la destruction de l’économie libérale, la seule qui fonctionne pour le bien de tous) une pseudo-compétence universitaire qui, elle-même, fait largement débat.”
Au-delà de son outrance, cette charge est maladroite politiquement. Car elle fait de la taxe Zucman la ligne de partage entre la gauche et la droite. Ce qui n’arrange pas le pauvre Lecornu. Du côté de Bercy, on mouline pour trouver quelque chose qui pourrait ressembler à une contribution renforcée des ultra riches. Un ersatz de taxe Zucman. Il y a d’abord le retour de la contribution différentielle sur les hauts revenus que François Bayrou avait fini par lâcher avant d’être renversé. Mais elle ne rapporte que des clopinettes. 2 milliards d’euros tout au plus. La taxe Zucman en rapporterait 10 fois plus.
Du coup, les crânes d’œuf de Bercy phosphorent sur la taxation des holdings, puisque c’est là que dort l’essentiel de la fortune des ultra riches. A voir ce qu’il en sortira. Mais il y a urgence. C’est ce mercredi qu’expire l’ultimatum de l’intersyndicale. Sébastien Lecornu a convié les huit dirigeants syndicaux à Matignon. Il faudra autre chose qu’une tasse de café et des chouquettes pour les satisfaire. L’autre grand arbitre de la survie du Premier ministre, le Rassemblement national, ne se montre guère plus conciliant.
Ce soir, on est nulle part. Nous attendons encore une fois des annonces, des décisions. Nous nous attendons à un budget pour pouvoir juger si véritablement il y a une rupture, ou pas. Et comme l’a rappelé Jordan : s’il n’y a pas de rupture il y aura censure.
Marine Le Pen, présidente du groupe « Rassemblement national » à l’Assemblée nationale, le 17/09/2025
Laurent Jacobelli a précisé les lignes rouges qui, si elles étaient franchies, conduiraient à la censure.
S’il négocie avec le PS l’augmentation des impôts parce qu’on voit bien qu’il y a une espèce de radicalité fiscale qui s’est emparée aujourd’hui de nos gouvernants. Si c’est pour ça, ce sera sans nous. Si c’est pour travailler avec un gouvernement où on a à la fois des LR défroqués et des socialistes en mal de postes ministériels, ce sera sans nous.
Laurent Jacobelli, député « Rassemblement national », le 21/09/2025
A l’Assemblée nationale, la rentrée ne s’annonce pas moins tendue. Avec ou sans gouvernement, les députés commenceront par renouveler leurs instances. Le premier et le deux octobre, ils désigneront ainsi les présidents de commission, les questeurs, les vice-présidents et les secrétaires. Faute d’un accord général sur la présence du Rassemblement national dans ces instances, ce renouvellement a toutes les chances de tourner à la foire d’empoigne. Ce sera un excellent indicateur sur les intentions des uns et des autres. N’oubliez pas le pop-corn.
Soyez le premier à commenter