Sainte-Soline, retraites : la stratégie du chaos

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, au ministère à Paris, le 24 mars 2023. ©MinistèreIntérieur

Plus de deux cents blessés, dont cinq en urgence absolue : trois du côté des manifestants et deux du côté des gendarmes. Tout ça pour un trou dans un champ. Un simple cratère destiné à stocker de l’eau puisée dans les nappes phréatiques en hiver, afin d’irriguer les cultures en été. Face aux 30 000 manifestants rassemblés à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, la gendarmerie a déployé la plupart de ses moyens : hélicoptères, blindés à roues et quads. Quatre mille grenades ont été tirées en quelques heures.

S’agissait-il de protéger des biens ou des personnes ? Non. Le gouvernement voulait faire étalage de son autorité et de sa force. Une posture de matamore qui pourrait se retourner contre lui. Le 26 mars, le Parquet de Niort a confirmé que le pronostic vital d’un des manifestants était engagé. S’il venait à décéder, l’exécutif en porterait la responsabilité devant l’opinion.

Criminaliser la contestation

Car depuis l’adoption du projet de loi réformant les retraites grâce au 49-3, le pays est entré dans une spirale de violence. Les manifestations nocturnes non déclarées sont réprimées avec une brutalité croissante. Les défilés syndicaux de jeudi 23 mars dernier se sont achevés dans une débauche de violence policière, comme à Paris. Sans compter le comportement de la brigade de répression de l’action violente moto. Révélés par le site Loopsider et Le Monde, des échanges enregistrés entre ces policiers et de jeunes manifestants ont entraîné la saisine de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) par Laurent Nuñez, le préfet de police.

Qu’il y ait dans les cortèges des groupes venus pour attaquer les gendarmes et les policiers, ne saurait justifier la démesure dans l’usage de la force publique. Pourquoi, comme à Sainte-Soline, des manifestants pacifiques doivent-ils faire les frais de la violence d’un millier d’éléments radicalisés ? Maintenir l’ordre, c’est faire preuve de discernement. Et non faire la guerre à la population française. On connaît bien cette violence opportuniste qui accompagne les grandes mobilisations. Depuis les années 70, elle se rejoue le même film : affronter l’État et ses représentants dans l’espoir d’entraîner la masse des manifestants derrière elle. Ça n’a jamais marché. En revanche, à chaque fois, le pouvoir en place instrumentalise les incidents pour criminaliser la contestation de sa politique. Les dernières heures en ont apporté la confirmation.

« Jouer l’opinion contre les syndicats »

Malgré cette interdiction de manifestation, des milliers de personnes se sont rendues sur site dont plus d’un millier de personnes extrêmement radicalisées, extrêmement violentes. Parmi eux des black blocs, des gens de l’extrême gauche, des gens de l’ultra gauche. Ce déchaînement de violence est absolument inexcusable, organisé manifestement, je l’ai dit, par des groupuscules d’extrême gauche.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, images fournies par le ministère, 24 mars 2023

L’extrême gauche, l’ultra gauche… On a compris. Gérald Darmanin essaie d’impliquer dans les incidents La France insoumise et, par ricochet, la Nupes. Samedi, sur RMC, Fabien Roussel a bien décortiqué le procédé. 

Quand il y a 1 000 individus violents sur 3,5 millions manifestants, on parle des dégradations et des 1 000 individus et pas des 3,5 millions qui manifestent pacifiquement. Et quelque part, je me demande si ce n’est pas ce que cherche le président de la République. C’est-à-dire à tout faire pour radicaliser le mouvement, pour susciter tant de colère qu’elle déborde. […] Et jouer l’opinion contre les organisations syndicales. De retourner l’opinion contre les manifestations.

Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du PCF, RMC, 25 mars 2023

Stratégie de la peur et du chaos

Cette stratégie a un nom. C’est la stratégie de la peur et du chaos. Il s’agit d’effrayer les Français et de les diviser en déplaçant le débat. Les voici sommés de se prononcer sur les violences plutôt que sur le report à 64 ans du départ en retraite. 

Et je veux solennellement appeler l’ensemble des responsables politiques, l’ensemble des élus de la nation, quelle que soit leur opinion politique, qu’ils soient pour la réforme des retraites, contre les bassines, après tout cela est dans un débat démocratique bien évidemment, à condamner ces violences extrêmement fortes contre les gendarmes de la République.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, BFMTV, 24 mars 2023

Je viens vous voir comme porte-parole du gouvernement, comme ministre délégué en charge du renouveau démocratique, et que le premier point que je voulais aborder avec vous c’est qu’il est fondamental que l’ensemble de la classe politique puisse condamner la violence.

Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, France 2, 25 mars 2023

Faire moins de lois

Il est vrai que le gouvernement est à la ramasse. Il ne s’attendait pas à ce que les manifestations contre la réforme des retraites se poursuivent après l’adoption de la loi. Le recours au 49-3 a montré que l’exécutif n’avait plus de majorité à l’Assemblée nationale. Il serait logique de procéder à une dissolution. Mais comme nous l’apprend un sondage publié par Le Journal du Dimanche, le Rassemblement national serait le grand gagnant de l’opération. Selon l’IFOP, le parti lepéniste gagnerait sept points par rapport à juin 2022 passant de 19 % à 26 %. Il ferait ainsi jeu égal avec la Nupes qui conserverait son score des législatives. En revanche, le camp macroniste perdrait cinq points.

Emmanuel Macron ne peut donc renvoyer les députés devant leurs électeurs. Du coup, le président de la République a trouvé la parade. On va faire moins de lois. Élisabeth Borne a été ainsi chargée par Emmanuel Macron de « définir un programme législatif ». 

Pour avoir à la fois moins de textes de loi, des textes plus courts, plus clairs, pour aussi changer les choses pour nos compatriotes de manière plus tangible. Tout ne passe pas par la loi. 

Emmanuel Macron, président de la République, France 2-TF1, 22 mars 2023

Diminuer le recours au 49-3

Mais aussi étrange que cela puisse paraître, il faudra bien voter de temps en temps. Il paraît que ça se fait encore dans une démocratie. Hier, dans un entretien accordé à l’Agence France Presse, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé qu’elle n’utiliserait plus l’article 49-3 sauf pour les textes budgétaires. Un signe d’apaisement, affirmait-on dans les couloirs. Le bon peuple est prié d’applaudir devant tant d’audace. 

En réalité, la Première ministre se moque du monde. Depuis sa désignation, elle a utilisé le 49-3 à onze reprises. À chaque fois, il s’agissait d’un texte budgétaire. Y compris le projet de loi réformant les retraites. Autrement dit, Élisabeth Borne nous annonce qu’elle va continuer à faire ce qu’elle fait depuis le début. Dans le registre des formules contradictoire, la locataire de Matignon n’est pas avare. Écoutez-la ce week-end, chez les amis d’Édouard Philippe. 

Certains voudraient nous réduire au 49-3 qui serait devenu tout à coup une arme antidémocratique. Nous avons fait ce que les Français attendaient de nous : construire des compromis sur des textes utiles pour nos concitoyens.

Élisabeth Borne, Première ministre, Franceinfo, 25 mars 2023

Siège éjectable

Petite question : si la Première ministre a vraiment construit des compromis, pourquoi a-t-elle eu recours au 49-3 ? Dans la même dépêche AFP, Élisabeth Borne annonce une vague de consultations politiques et syndicales. Objectif, trouver des alliés. Mais qui se risquera à passer un accord avec une Première ministre en sursis ?

C’est un secret de polichinelle, Élisabeth Borne est sur un siège éjectable. Elle peut espérer rester en place jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel, fin avril. Après, c’est l’inconnu. Les manifestations de demain seront donc déterminantes. Soit le gouvernement persiste dans l’escalade de la violence au risque de briser le cadre républicain, soit il se résout à trouver une porte de sortie : retrait ou référendum. Tout dépendra de l’ampleur des cortèges et de leur capacité à résister aux provocations.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.