Pour financer le réarmement, le gouvernement mise sur un emprunt national et la remise en cause de notre modèle social

Jordan Bardella, président du Rassemblement national et député européen, le 10/03/2025 ©Franceinter

Comment trouver, chaque année, 50 milliards supplémentaires pour le budget de la défense ? C’est l’équation sur laquelle planche le gouvernement avec un certain flou. En revanche, sur le montant de l’addition, Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, s’est montré très cash dans l’édition dominicale de la Tribune.

“En 2017, le budget des armées était d’un peu plus de 32 milliards d’euros. En 2025, le budget annuel de la défense a déjà atteint 50,5 milliards d’euros. Il est clair qu’un horizon autour de 100 milliards d’euros par an constituerait le poids de forme idéal pour les armées françaises.”

Pour que chacun comprenne bien de quoi il retourne, l’actuelle loi de programmation militaire prévoyait d’atteindre progressivement un budget annuel de 67 milliards en 2030. Eh bien, ce chiffre passe à 100 milliards. Première solution envisagée, l’emprunt national comme l’a confirmé Éric lombard.

J’ai effectivement parlé hier avec le Premier ministre d’une série de pistes dont celle-là, dont il a parlé ce matin, ça fait évidemment partie de la boîte à outils dans laquelle on pourra piocher au fur et à mesure des décisions qui seront prises.

Éric Lombard, ministre de l’Économie, le 07/03/2025

La France renouerait ainsi avec une tradition qui remonte à la Première Guerre mondiale. Pour se financer, la République française a eu recours à quatre emprunts successifs. Si Bercy songe à cette solution, c’est parce que les Français sont d’excellents épargnants. 6 000 milliards d’euros ont été ainsi mis de côté. Soit deux fois le montant de la dette de la France.

Ce matelas est constitué d’actions, d’assurances-vie, de dépôts en numéraire et de ce qu’on appelle l’épargne réglementée. Il s’agit des différents plans, comptes et autres livrets. Un magot qui tourne autour de 935 milliards. C’est sur ce bas de laine que lorgne Bercy. Éric Lombard voudrait l’orienter vers la défense nationale. En particulier le livret A. 18 millions de Français en possèdent un. Mais pour que les épargnants acceptent de déplacer leur argent, il faut que le rendement du produit consacré à la défense nationale soit plus attractif que le livret A.

Ça tombe bien, le 1er février, le taux du livret A a été ramené de 3 % à 2,4 %. Autrement dit, il suffirait de caler à 3 % le nouveau produit d’épargne défense pour qu’il soit incitatif. Bien sûr, il y a le plan adopté par le Conseil européen jeudi. Désormais, les dépenses militaires échapperont à la règle des 3 % de déficit. Par ailleurs, la Commission européenne va emprunter 150 milliards sur les marchés.

Cet emprunt servira lui-même à financer des prêts aux États les plus endettés, comme la France. Mais là encore c’est de la dette. Et la dette, ce sont des intérêts qui plombent le budget. Éric Lombard explore donc une autre piste.

On sait bien que le premier levier pour équilibrer nos finances publiques c’est ce qu’on appelle le taux d’emploi. La faiblesse relative de la France comparée à d’autres pays européens c’est qu’on n’a pas assez de Françaises et de Français au travail. Pas de leur faute, pas de leur fait, mais parce qu’on a un chômage qui est encore plus élevé que dans d’autres pays. Parce qu’on a, chez les personnes qui ont plus de 55 ans, un taux d’emploi insuffisant alors que ces personnes souhaiteraient travailler.

Éric Lombard, ministre de l’Économie, le 04/03/2025

Au boulot !

Le taux d’emploi. Vous n’avez pas fini d’en entendre parler. L’idée est simple. Il s’agit de faire travailler les Français plus longtemps. Aussi bien en nombre d’heures dans l’année qu’en nombre d’années jusqu’au départ en retraite. Au boulot les feignasses, voilà le programme.

Les têtes d’œuf de Bercy sont persuadées d’avoir trouvé la solution miracle à défaut de l’argent magique. Celle qui permet de rééquilibrer le budget et de financer l’effort de guerre. La moyenne européenne s’établit à 750 heures travaillées par an et par habitant. La France n’est qu’à 673 heures. Quant à l’âge de départ en retraite, il reste, même à 64 ans, inférieur à bon nombre de nos voisins européens. Ainsi les Allemands partent à 66 ans et les Belges à 67 ans. Bercy veut donc aligner la France sur le moins-disant social européen.

Mais voilà, la moitié du pays n’est pas d’accord. Si l’on en croit le sondage IPSOS publié par la Tribune ce dimanche, un Français sur deux est opposé à un allongement du temps de travail. Et la proportion grimpe à 58 % chez les actifs. Bref, c’est la solution la plus rejetée par les Français. Pas question de sacrifier le modèle social sur l’autel de la défense. C’est ce qu’a rappelé Olivier Faure.

Derrière cette question de : Est-ce qu’on doit augmenter le budget de la défense ? La réponse collective doit être “oui”. Mais sur les moyens d’y parvenir, là il y a une discussion à avoir. Cet argent, soit on le prend dans la poche des Français, soit par de nouveaux impôts, soit par des économies sur leurs services publics, sur le modèle français, ce que je me refuse totalement à entreprendre.

Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 09/03/2025

Plutôt que de punir les salariés Français, ne vaudrait-il pas mieux mettre à contribution les oligarques russes ? Autrement dit, confisquer les 209 milliards d’avoirs gelés depuis le début du conflit. Après tout, si la France est contrainte de se réarmer, c’est la bien à cause de l’impérialisme russe. “Pas question” répond Amélie de Montchalin.

Si vous saisissez ces avoirs, et si ça provoque, parce que ce n’est pas bien organisé ou parce que c’est fragile juridiquement, un retrait massif de capitaux étrangers qui seraient en Europe, à la fin c’est nous Européens qui allons être affaiblis.

Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, le 09/03/2025

Les investisseurs risqueraient de prendre peur nous dit la ministre du budget. Soit. Mais l’argent des oligarques, c’est de l’argent sale. C’est l’argent qu’ils ont volé au peuple russe, c’est l’argent de la corruption, des trafics et du crime organisé. Et il ne faudrait pas s’en emparer au nom de la stabilité du capitalisme financier. En revanche, plumer les salariés, ça on peut ! Encore une belle leçon de morale. Et sur ce sujet, il est assez déconcertant d’entendre Manon Aubry tomber d’accord avec Emmanuel Macron au nom du pragmatisme.

Comment on fait pour que ce soit concrètement possible pour qu’à la fois il n’y ait pas de mesure de rétorsion de la part de la Russie mais surtout qu’il n’y ait pas de contestation en droit international où à la fin vous vous retrouvez à repayer. Vous êtes sur la même position qu’Emmanuel Macron. Il se trouve que quand Emmanuel Macron dit des choses qui sont sensées et pragmatiques, et là je pense que c’est le cas, il faut le dire.

Manon Aubry, députée européenne LFI, le 09/03/2025

Tout va bien, les chars russes ne sont pas (encore) à Paris

Et le Rassemblement national ? Là, on entre dans une réalité alternative. Pour Marine Le Pen, la Russie n’est pas le danger principal. Elle l’a dit jeudi dans le Figaro.

“Le fondamentalisme islamiste reste la première des menaces. Si au bout de trois ans, la Russie a du mal à avancer en Ukraine, il y a peu de chances pour qu’elle ambitionne de venir jusqu’à Paris.”


Bref, tant que les chars russes ne sont pas place de la Concorde, il n’y a pas de souci. Ce lundi matin, sur France Inter, Jordan Bardella a sorti les rames. Le modèle galère dans la tempête.

Est-ce que la Russie menace les intérêts français au point de se retrouver dans une situation de face à face et de guerre avec une puissance qui est une puissance nucléaire. Et depuis le début de ce conflit, nous réclamons que la France prenne l’initiative d’une conférence internationale pour la paix parce que je suis un soutien de l’Ukraine et je défends la souveraineté territoriale de l’Ukraine, mais je crois que l’avenir de la France et de l’Europe ne peut passer dans une guerre larvée avec une puissance qui est une puissance nucléaire.

Jordan Bardella, président du Rassemblement national et député européen, le 10/03/2025

Si on comprend bien, ce n’est même pas la peine d’essayer de résister à Poutine. Ni la France ni l’Europe n’en ont les moyens. Et de toute façon, ça n’en vaut pas le coup. Mais à part ça, Jordan Bardella soutient l’Ukraine. Quand la guerre se rapproche, l’opinion supporte encore plus mal que certains contournent l’impôt.

Franklin Roosevelt, le président américain élu en 1932 l’avait bien compris. En 1941, année où les États-Unis entrèrent dans la guerre, il n’hésita pas à taxer à hauteur de 91 % les plus fortunés de ses compatriotes. Si Emmanuel Macron et Éric Lombard cherchent un modèle, en voici un.

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