C’est l’histoire du gars un peu éméché qui dit à ses copains : “Retenez-moi ou je fais un malheur” en désignant le patron du bistrot qui refuse de lui servir un dernier verre. Mais les copains du pochtron, au lieu de le calmer, le poussent vers le taulier en lui disant : “Te dégonfle pas, cogne-le”. Et le poivrot se retrouve obligé de gesticuler devant le bougnat avant de s’en prendre une, bien sûr. Voilà comment on peut résumer la situation à l’Assemblée, ces jours-ci. Dans le rôle du sac à vin – c’est une figure de style, je précise – vous aurez reconnu Éric Ciotti. Depuis une semaine, le président des Républicains et ses lieutenants menacent le gouvernement de déposer une motion de censure sur les finances publiques.
S’il y a une augmentation des impôts, si le gouvernement tape sur les retraites alors là, oui, il y aura censure. Vous avez un président de la République, hier, qui a expliqué qu’on n’avait pas de problème de dépense publique dans ce pays, qu’on avait un problème de recettes. Je crois qu’on ne peut pas dire les choses plus franchement qu’il ne l’a dit. Il n’y a pas assez de recettes. Donc c’est quoi les recettes de l’État, rappelez-moi ? Ça s’appelle les impôts des Français. Donc on a un président de la République qui a dit hier, qui a fait passer le message hier, qu’il y aurait une augmentation de la pression fiscale, des impôts, sur les Français. On veut savoir lesquels, qu’il le dise. C’est inacceptable de garder ce plan caché jusqu’aux élections européennes.
Olivier Marleix le 9/04/2024
La menace d’une motion de censure
Olivier Marleix fait référence à la réunion de coordination de la majorité qui rassemble, chaque lundi, les présidents des groupes Renaissance, MoDem et Horizons autour du secrétaire général de la présidence, Alexis Kohler. Emmanuel Macron y a passé une tête pour indiquer qu’il était exclu de recourir à un projet de loi de finances rectificative. En clair, pas question de discuter avec les députés des réductions de dépenses envisagées par l’exécutif. Cette posture qui fait bondir les élus communistes.
On a un gouvernement qui, vous l’avez mesuré, décide dans un déni démocratique sans nom de faire l’impasse sur le Parlement pour mettre en place un plan de rigueur qui va faire mal aux vies. 10 milliards d’euros de rigueur en catimini sans que le Parlement puisse en discuter, et 20 milliards d’euros promis l’année prochaine dans les mêmes conditions. Le groupe communiste, nous en avons discuté longuement ce matin, a dit que nous allons mettre sur la table des discussions avec nos partenaires de gauche et plus largement avec tous ceux qui veulent censurer le gouvernement, l’opportunité d’une motion de censure face à ce déni démocratique.
Sébastien Jumel le 9/04/2024
Petit rappel sur la motion de censure. Celle-ci est souvent déposée après que le gouvernement a engagé sa responsabilité. C’est l’article 49-3, dont la réputation n’est plus à faire grâce à Élisabeth Borne. Mais une motion de censure peut être également déposée indépendamment de la discussion autour d’un projet de loi. À tout moment les députés peuvent dire au gouvernement : “on ne veut plus de vous”. Seul bémol, mais de taille : sous la Ve République, ça n’a marché qu’une fois. En 1962.
Pour pouvoir déposer une motion de censure, il faut recueillir la signature de 58 députés. Les LR, qui comptent 61 élus, sont en capacité de le faire. Comme le Rassemblement national ou la France insoumise. En revanche, les écologistes, les communistes et les socialistes doivent se trouver des partenaires. Enfin, dernier point, sans les voix de gauche, une motion des LR, du RN ou des centristes de LIOT n’a aucune chance. Et la réciproque est vraie. L’arithmétique est inflexible. Mais, comme l’a souligné Sébastien Jumel, les Républicains hésitent encore à renverser le gouvernement.
La menace d’une motion de censure est surtout un argument de campagne à la veille d’un scrutin dans lequel le parti joue sa survie. Il s’agit de souligner l’incompétence de l’exécutif. Et, a contrario, de mettre en avant les qualités de gestionnaire des amis d’Éric Ciotti. Autrement dit, comme le reconnaissent en privé des députés du groupe, il s’agit de faire durer le suspense le plus longtemps possible. Du côté du RN, on ne croit pas que les Républicains mettront leur menace à exécution.
Il faudrait déjà que les Républicains aient le courage de déposer une motion de censure et après, oui, la position, elle est officielle, on voterait cette motion de censure. Mais le problème c’est : est-ce qu’ils vont la déposer ? Est-ce qu’ils auront le courage de la déposer ? Quand on lit l’interview d’Eric Ciotti il y a quelques jours, on comprend que non parce qu’il met des lignes rouges à ne pas franchir par le gouvernement. Et ces lignes rouges on sait très bien qu’elles ne seront quasiment jamais franchies. Donc tout ça c’est de la poudre aux yeux. Il se pourrait aussi que nous on en dépose une, motion de censure, d’ici quelques semaines.
Philippe Ballard le 9/04/2024
L’opportunisme a ses limites
Les Écologistes se montrent tout aussi circonspects sur les intentions réelles des Républicains.
Nous sommes un groupe qui délibère de façon tout à fait démocratique et c’est quand même compliqué aujourd’hui, on nous parle d’une motion de censure dont on ne sait même pas si elle sera déposée. Vous savez, chat échaudé craint l’eau froide comme le disait ma grand-mère, on a tellement entendu, tellement, tellement, les Républicains dire : “Vous allez voir ce que vous allez voir, la semaine prochaine on va dégainer” et puis finalement rien.
On croit ce qu’on voit. On y croit quand on le verra, et on en discutera quand on le verra et on délibèrera et on décidera quand on le verra. Ce qui préoccupe les Françaises et les Français à l’heure où on se parle, ce n’est pas de savoir si le bureau politique de LR, si le groupe parlementaire de LR, pour résoudre ses contradictions internes, pour se racheter aussi de son absence d’opposition claire à Emmanuel Macron pendant un certain nombre de mois ici à l’Assemblée nationale, notamment sur la réforme des retraites, va ou pas dégainer une motion de censure.
Benjamin Lucas le 9/04/2024
Si une motion de censure venait à être votée, alors Emmanuel Macron dissoudrait l’Assemblée nationale. Et c’est bien ce qui fait trembler les députés LR. Pendant le débat sur l’immigration, le parti a commandé un sondage confidentiel à l’institut IPSOS. L’objectif était d’évaluer les risques en cas de dissolution après l’adoption d’une motion de censure. Un vrai séisme électoral : le Rassemblement national, 88 députés aujourd’hui, aurait obtenu entre 243 et 305 sièges. Pour mémoire, la majorité absolue est à 289 sièges. Toujours selon ce sondage, les Républicains auraient limité la casse. À peine une dizaine de sièges en moins. Mais voilà, personne parmi les députés du groupe n’a envie de monter à l’échafaud.
Pour stimuler les cœurs qui se montreraient défaillants, le RN a donc réitéré un engagement qu’il avait pris par le passé. Pas sûr que les Républicains, après avoir servi de béquille au macronisme, aient envie de jouer les strapontins du lepénisme. Même l’opportunisme a ses limites. Éric Ciotti s’est pris au piège tout seul. Les lignes rouges qu’il a fixées vont être franchies par l’exécutif. S’il ne réagit pas, c’est la fin de LR. Et s’il tient parole, il se condamne, lui et ses amis, à jouer la cinquième roue du carrosse de Marine Le Pen. L’horizon de 2027 s’annonce un tantinet bouché.
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