Mort de Nahel : le pouvoir craint l’embrasement général

Une rue de Nanterre après la deuxième nuit d’émeute, le 29 juin 2023. ©Purepolitique

Est-il encore possible d’arrêter la spirale de la violence ? De faire que la justice s’applique dans toute sa rigueur sans que le pays bascule dans l’engrenage de l’émeute et de la répression ? Comme en 2005, quand deux adolescents, poursuivis par la police étaient morts électrocutés à Clichy-Sous-Bois. Trois semaines d’émeutes avaient suivi le drame. Ce jeudi 29 juin après-midi, à Nanterre, à proximité de la cité Pablo Picasso, une marche blanche rendait un dernier hommage au jeune Nahel, tué mardi par un policier motocycliste. 

« Justice pour Nahel ! Justice pour Nahel ! Justice pour Nahel ! Justice pour Nahel ! » « Tout le monde déteste la police ! Tout le monde déteste la police ! » « Police assassin ! Police assassin ! »

Nanterre, Pure Politique, 29 juin 2023

Deuxième nuit d’émeute

À l’issue de sa garde à vue, le policier, auteur du coup de feu, a été présenté à deux juges d’instruction en vue de sa mise en examen pour homicide volontaire. Il est placé en détention provisoire. Mardi 27 juin, Nanterre a connu une première nuit d’émeute. Celle de mercredi, la seconde, a été nettement plus violente. Pure Politique s’est rendu sur les lieux au petit matin, jeudi. 

Un bâtiment brûlé après la deuxième nuit d’émeute, à Nanterre, le 29 juin 2023. ©Purepolitique

Voitures brûlées, ébauche de barricades, asphalte fondu, étuis et palets de grenade lacrymogène… Autant de témoignages qui montrent que l’appel au calme du maire de Nanterre, Patrick Jarry, est resté vain. 

Selon la préfecture de police de Paris, les forces de l’ordre ont interpellé 87 personnes dans la capitale et les départements de la petite couronne. Quatorze policiers ont été blessés. Pourtant, l’exécutif s’est montré à la hauteur. Une fois n’est pas coutume. Il a tout de suite perçu le caractère dévastateur de la vidéo sur laquelle on voit le fonctionnaire de police tirer sur l’adolescent. Comment ce tir que rien ne semble justifier n’aurait-il pas provoqué l’indignation générale ? Comment, dans un contexte croissant de dénonciation des violences policières, cet homicide en direct ou presque, n’aurait pas été ressenti comme la dérive de trop ?

Empathie de Macron

Le principe de réalité s’est imposé. Voilà pourquoi, hier, le chef de l’État a lui-même pris la parole. Témoignant d’une empathie inconnue chez lui.

Ce sont des mots d’affection, de peine partagée, de soutien à sa famille et à ses proches. Ensuite, la justice a été immédiatement saisie, je souhaite qu’elle fasse son travail avec, évidemment, célérité. Il faut le calme pour que la justice se fasse. Et il faut du calme partout parce que nous n’avons pas besoin d’avoir, en effet, un embrasement, une situation qui viendrait se dégrader.

Emmanuel Macron, président de la République, France 24, 28 juin 2023

Il aura donc fallu six ans pour qu’Emmanuel Macron s’exprime comme un président doit le faire en pareille circonstance, mieux vaut tard que jamais. Et ce n’est pas la seule surprise de la séquence.

Darmanin irréprochable

La veille, à l’Assemblée nationale, Gérald Darmanin s’est montré irréprochable dans ses habits neufs de ministre de la République.

Ce matin en effet à Nanterre, deux motards de la DEPC, de la préfecture de police ont procédé à un contrôle. Nous ne connaissons pas, sauf les images extrêmement choquantes que j’ai vues personnellement comme beaucoup de Français, les conditions exactes puisque les policiers en ce moment sont auditionnés par les services de la justice. Deux enquêtes ont été confiées à l’IGPN. Et évidemment je veux aussi dire que c’est un drame, que ce jeune conducteur de 17 ans soit mort des suites de ce contrôle manifestement. Je veux moi aussi comme le maire de Nanterre que j’ai eu au téléphone en début d’après-midi dont je salue aussi les paroles républicaines qu’il a porté médiatiquement, avoir le plus rapidement, pour la famille de ce jeune, pour la ville de Nanterre mais aussi pour la Police nationale et pour ses policiers, les résultats de cette enquête en respectant évidemment les procédures judiciaires. Je veux aussi vous dire ici que je suis très attaché à la protection de l’innocence des accusés et notamment de celui qui a tiré, qui est policier, qui aura à rendre compte devant son administration et devant la justice de ses actes. Mais je ne suis pas juge, je ne suis pas procureur de la République, madame, et je veux aussi être attentif à la présomption d’innocence des fonctionnaires de police.

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Assemblée nationale, 27 juin 2023

Meurtre condamné sans appel

La terne Élisabeth Borne a elle aussi laissé percer une émotion. La Première ministre a condamné sans appel le meurtre du jeune conducteur. 

Un jeune homme de 17 ans a été tué. C’est un terrible drame. Et je veux commencer par dire ma profonde émotion et adresser mes condoléances à sa famille, à ses proches et à son quartier. Le président de la République a eu l’occasion de le dire ce matin : c’est la nation toute entière qui est touchée par ce drame. Je me suis entretenue tout à l’heure avec le maire de Nanterre, Patrick Jarry. Je lui ai dit mon soutien, celui de mon gouvernement et j’ai partagé avec lui notre détermination à ce que toute la vérité soit faite. Aujourd’hui, il y a un choc, un deuil, une colère. Les images choquantes diffusées hier montrent une intervention qui ne semble manifestement pas conforme aux règles d’engagement de nos forces de l’ordre. La justice devra établir les faits. Elle a été saisie, elle a commencé son travail. Un policier est en garde à vue.

Élisabeth Borne, Première ministre, Assemblée nationale

Quelle est la part de sincérité dans ces postures ? Chacun appréciera. Mais en témoignant leur sympathie pour la victime et en reconnaissant de facto la faute du policier, le chef de l’État et le gouvernement se sont mis à dos le parti de l’ordre : la droite et l’extrême droite.

Mesures d’exceptions réclamées

Ce matin, Éric Ciotti réclamait des mesures d’exception pour enrayer les émeutes. 

Je demande solennellement au président de la République et au gouvernement de décréter l’état d’urgence sans délai, sur la base de la loi du 3 avril 1955. Cette loi peut concerner l’ensemble du territoire ou elle ne peut concerner que des parties de ce territoire. Je propose qu’elle soit appliquée dans les quartiers qui, la nuit dernière, ont fait l’objet des plus graves violences et des exactions les plus condamnables.

Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, images des Républicains, 29 juin 2023

La veille, Marine Le Pen avait dénoncé les propos du président :

Les propos tenus par le président de la République sont très excessifs et je trouve irresponsables. Est-ce que l’acte est inexcusable ? Est-ce qu’il est inexplicable ? C’est à la justice de répondre.

Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, BFMTV, 28 juin 2023

Ligne de fracture

Une ligne de fracture qui était déjà perceptible, mardi, à l’Assemblée. D’un côté, ceux qui placent l’exigence de justice avant la défense des forces de l’ordre. De l’autre, ceux qui font le choix inverse. Ainsi Mathieu Lefèvre, député Renaissance et ancien collaborateur de Gérald Darmanin. 

Je ne crois pas qu’il y ait des problèmes de doctrine, et encore une fois les émotions quand on a quelqu’un qui refuse d’obtempérer, elles peuvent aussi venir très vite. Vous savez, la justice ne se rend pas sur la base d’une vidéo de trente secondes. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé. On ne s’est pas… aussi parfois peut-être, mais on verra très bien ce qu’il se passera dans l’enquête administrative et dans l’enquête judiciaire. Moi je ne connais pas un cas dans lequel il y a des policiers qui ont eu un comportement qui était un comportement erroné où ils n’aient pas été sanctionnés. Ils sont toujours sanctionnés. Ce que je reproche c’est ce discours qui consiste à dire : « Tout est de la faute des policiers ». Pardon. Je ne dis pas que c’est vous, mais j’ai vu ça dans les tweets de gauche et d’extrême gauche. Le premier problème c’est d’abord le refus d’obtempérer. Moi quand on me demande de m’arrêter, je m’arrête.

Mathieu Lefèvre, député Renaissance du Val-de-Marne, Palais Bourbon

« Urgence à réconcilier la République avec elle-même »

Sébastien Jumel lui répond.

Est-ce qu’un refus d’obtempérer justifie de tirer à bout portant ? Est-ce qu’un défaut de permis de conduire, peut-être qui aurait été le motif de la fuite, justifie l’utilisation d’une arme ? Est-ce que les policiers, dont la tâche est difficile, ont des arguments pour considérer qu’ils étaient menacés ou non ? Tout cela devra être évidemment interrogé, enquêté. Mais la première des réactions c’est la sidération. Vous me montrez les images, je les découvre en même temps que vous m’interrogez. Sidération, et puis quand même je me dis : notre société est bien malade. Il y a vraiment urgence à réconcilier la République avec elle-même. Peut-être même les forces de l’ordre avec les citoyens eux-mêmes, quel que soit où ils habitent.

Sébastien Jumel, député GDR-Nupes de Seine-Maritime, Palais Bourbon

Présomption de confiance

Jean-Philippe Tanguy, porte-parole du Rassemblement national, estime que les forces de l’ordre doivent bénéficier d’une présomption de confiance. 

On ne sait pas qu’est ce qu’il s’est passé avant ces images, qu’est ce qu’ils se disent dans la voiture, est-ce que la personne dans la voiture avait quelque chose, qu’est ce qu’il s’est passé après… Pour moi il y a une présomption de confiance dans les forces de l’ordre de la République et s’il y a eu un accident, une erreur humaine ou quelque chose d’inacceptable, l’enquête le prouvera. Je ne vois pas en quoi comme le fait toujours la gauche mettre de l’huile sur le feu, accuser les forces de l’ordre sans élément de preuve, permet de rendre justice ni à nos institutions, ni à la famille de la victime, s’il devait y avoir une enquête. Que les femmes et les hommes politiques apprennent la retenue et attendent de savoir ce qu’il en est en tout cas. On ne rend pas la justice sur la base d’une vidéo d’Iphone.

Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme

« Climat d’omerta permanent »

Manuel Bompard, le numéro deux de la France insoumise, souligne que sans la vidéo, la version policière des faits aurait été toute autre.

Bien évidemment, une vidéo ça ne dit pas tout d’une scène. Ce que j’observe, et c’est la raison pour laquelle nous avons réagi pour notre part, c’est que dès ce matin dans les articles qui évoquent ce triste événement, les sources policières qui étaient citées donnaient une vision des choses qui étaient manifestement une vision des choses mensongère. Et à partir de ce moment-là on se rend bien compte qu’il y a de climat d’omerta permanent, où quand il y a une situation de cette nature il y a une tentative de l’institution de en permanence protéger les policiers. Et en l’occurrence, bien évidemment tous les policiers ne font pas ça mais quand il y a des policiers qui ne respectent pas la loi et la doctrine qui est définie d’usage de la force, il faut qu’ils soient sanctionnés. Et donc il ne faut pas que l’institution policière les protège. Je pense que c’est aussi la raison pour laquelle il y a eu un certain nombre de réactions indignées ce matin.

Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône et coordinateur de La France insoumise

Funambule

Jeudi soir, 40 000 policiers et gendarmes seront déployés dans tout le pays pour prévenir les violences, dont 5 000 affectés à la surveillance de Paris et de la petite couronne. Ces effectifs ont pour consigne de ne pas céder aux provocations, mais de procéder à des interpellations. Gérald Darmanin supervisera les opérations. Si les forces de l’ordre ont la main trop lourde, c’est l’ensemble des banlieues françaises qui basculeront dans la violence. Si, à l’inverse, elles se montrent trop discrètes, c’est la droite et l’extrême droite qui donneront de la voix. 

Pris en tenaille entre l’exigence de justice et l’aspiration non moins légitime au rétablissement de l’ordre, le président et le gouvernement jouent les funambules. Combien de temps conserveront-ils cet équilibre instable ? Demain ou après-demain, on sera fixé.

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