Si Emmanuel Macron pariait sur le pourrissement de la mobilisation, c’est raté. Le recours à l’article 49-3 a, au contraire, ravivé l’incendie social. Jeudi 23 mars, en France, les manifestants étaient aussi nombreux que le 7 mars, journée record de la mobilisation jusqu’ici. Selon la CGT, 3,5 millions de personnes ont défilé. Le ministère de l’Intérieur, lui, n’en dénombre que 1,08 million. Et il n’y a pas de raison que cela s’arrête. L’intersyndicale appelle à une nouvelle manifestation mardi 28 mars.
En effet, les directions des confédérations ont bien compris que la colère ne retombait pas. La base veut s’exprimer, et la jeunesse est entrée dans la danse comme en témoignent les manifestations sauvages qui, chaque nuit depuis une semaine, épuisent les forces de l’ordre dans des courses-poursuites.
Le pays bouillonne et l’intervention télévisée du chef de l’État, mercredi 22 mars, n’a rien apaisé du tout. Au contraire.
« Ni les factieux ni les factions »
Vous avez dit : « La foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers les élus. » Est-ce à dire, à vos yeux, que le mécontement qui s’exprime dans les rues, aujourd’hui, les manifestants, sont illégitimes ?
Non pas du tout, et merci de me permettre de clarifier cela, parce que j’ai dit des choses hier, précises, à des parlementaires qui ont subi des agressions. Quand des groupes utilisent l’extrême violence pour agresser des élus de la République, qu’ils soient parlementaires aujourd’hui ou maires, malheureusement chaque semaine, quand ils utilisent la violence, sans règle absolue, parce qu’ils ne sont pas contents de quelque chose, alors là ça n’est plus la République. Or, la démocratie…
Convenez monsieur le président, que ce ne sont pas des propos qui sont à même d’apaiser ce qui se passe aujourd’hui dans les rues.
Pardon. Ce sont des propos qui clarifient. Ce sont des propos qui clarifient. Quand les États-Unis d’Amérique ont vécu ce qu’ils ont vécu au Capitole, quand le Brésil a vécu ce qu’il a vécu, quand vous avez eu l’extrême violence en Allemagne, aux Pays-Bas, ou parfois par le passé chez nous, on ne peut accepter ni les factieux ni les factions.
Emmanuel Macron, président de la République, Élysée, TF1-France 2, 22 mars 2023
Basculement
Le chef de l’État aurait dû se souvenir de l’apostrophe de Victor Hugo aux insurgés des trois journées de juillet 1830, les Trois Glorieuses, qui mirent fin au règne de Charles X. « Hier vous n’étiez qu’une foule. Vous êtes un peuple aujourd’hui. »
Et, de fait, les scènes de violences qui ont émaillé la capitale ont mis en évidence un basculement. Au-delà des éternels blacks blocs, c’est désormais une partie de la jeunesse qui se rebelle et qui se laisse aller, elle aussi, à lancer du pavé. Pas besoin de brandir un complot d’extrême gauche comme le fait Gérald Darmanin. La radicalité de la rue découle directement du blocage politique. Quand on escamote le débat démocratique à coups d’artifices de procédure, il ne faut pas s’étonner qu’il s’exprime par des débordements dans les manifestations.
Affrontements à Paris
À Paris, les affrontements ont duré plusieurs heures. Pure Politique était sur le terrain. Esquisse de barricade, feux de poubelles, interpellations. Une compagnie d’intervention charge pour interpeller des individus. Elle est aussitôt prise à partie par les manifestants. Un peu plus loin, c’est une autre unité qui essuie des tirs d’engins pyrotechniques. Les lancers de grenades de désencerclement s’enchaînent. Place de l’Opéra, une compagnie de CRS, dotée des derniers équipements, se replie sous une pluie de projectiles.
Le cortège des syndicats s’approche de la place de l’Opéra, terme de la manifestation. Service d’ordre syndical et gendarmes se font face un long moment. Une compagnie d’intervention et la BRAV-M foncent sur le cortège. Les gradés peinent à stopper l’action. Les unités de police se replient, caillassées. Parvenus place de l’Opéra, les syndicats appellent à la dispersion.
De nombreux jeunes tentent de partir en manifestation sauvage vers le centre de Paris. Place de l’Opéra et surtout dans les rues alentour, les incendies se multiplient. Une partie des manifestants encore présents rebrousse chemin en direction de la Bastille. Puis ils s’éparpillent dans les rues avoisinantes. C’est l’heure des courses-poursuites et des incendies de poubelles.
Spectre du complot d’extrême gauche
Ce jeu du chat et de la souris va durer encore plusieurs heures. Vendredi, le ministère de l’Intérieur annonçait 457 interpellations et 441 policiers et gendarmes blessés.
À ceux qui entonneront le refrain du chaos et de la violence jamais vue, on rappellera qu’au même endroit, le même jour, il y a quarante-quatre ans, une manifestation syndicale avait elle aussi basculé dans la violence. Le 23 mars 1979, les sidérurgistes lorrains, montés à Paris pour défendre leurs emplois, affrontaient la police. Les blacks blocs de l’époque s’appelaient les autonomes. Et le ministre de l’Intérieur, Christian Bonnet, avait lui aussi agité, comme Gérald Darmanin vendredi, le spectre du complot d’extrême gauche.
La manifestation de vendredi est restée mesurée en comparaison. Il est vrai que du côté de Longwy, en Lorraine, la police avait déserté le commissariat à force d’essuyer des jets d’engins incendiaires et même des tirs d’armes à feu. Dans la région, gendarmes et policiers rasaient les murs.
Petits arrangements avec la droite
Emmanuel Macron a-t-il conscience que c’est désormais la paix civile qui est menacée ? Mercredi, en tout cas, il n’offrait au pays que la perspective de petits arrangements avec la droite, et la mise au placard de la représentation nationale.
Élisabeth Borne a toujours votre confiance.
Oui. J’ai nommé Élisabeth Borne. […] Je lui ai demandé de bâtir un programme législatif et un programme de gouvernement, en lien avec la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, que j’ai vus hier, pour avoir à la fois moins de textes de loi, des textes plus courts, plus clairs. Tout ne passe pas par la loi. Le mandat que je lui ai donné, c’est de continuer à élargir cette majorité autant qu’elle le pourra. Il faut avoir beaucoup d’estime et de respect pour de nombreux parlementaires qui sont venus en soutien de son texte. Ils n’étaient pas la totalité d’un parti, c’est pour ça que je dis que c’est dur de bâtir des coalitions, mais il y a des individualités politiques, avec leurs convictions, qui sont prêtes à travailler avec les forces de la majorité. Et donc je souhaite que la Première ministre puisse bâtir justement cet élargissement de la majorité.
Emmanuel Macron, TF1-France 2, 22 mars 2023
En clair, il faut s’attendre à une entrée prochaine au gouvernement de ministres issus des Républicains, pour poursuivre exactement la même politique. Cela aura certainement le mérite de la clarté. Mais il n’est pas sûr que ce soit la réponse qu’attendent des millions de Français. Le sens de l’État commande aujourd’hui d’entendre la clameur du pays.
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