Nous pensions commenter la composition d’un nouveau gouvernement. Mais visiblement, le chantier a été mis à l’arrêt pendant les Jeux Olympiques. Sans doute pour décrocher la médaille d’or de la lenteur. Vendredi soir, Emmanuel Macron jubilait. Il tenait enfin le prétexte pour écarter définitivement la candidature de Lucie Castets à Matignon.
Si un seul insoumis entrait au gouvernement, le bloc macroniste et la droite déposeraient une motion de censure. Les méchants, c’étaient eux. Lui, il était le gentil de l’affaire. N’avait-il pas reçu le matin même la prétendante du Nouveau Front Populaire et la délégation qui l’accompagnait ? Et cet échange n’était-il pas le premier de la liste des consultations de la journée ?
Un président ne pouvait témoigner davantage de bonne volonté. Même si celle-ci se manifestait sept semaines après le second tour des législatives. Quoi qu’il en soit, à la sortie, la délégation du Nouveau Front Populaire se montrait optimiste.
Nous sommes extrêmement satisfaits d’avoir été reçus tous ensemble, unis, par le président de la République. Nous avons eu une discussion très riche. Nous nous satisfaisons du fait que le président de la République a reconnu qu’un message avait été envoyé par les Français lors des dernières élections et que ce message c’est le souhait d’un changement d’orientation politique. Le président est lucide sur cela et c’est une très bonne nouvelle.
Néanmoins, la tentation semble encore présente pour le président de composer son gouvernement. Nous lui avons dit que c’était à la force politique arrivée en tête, le Nouveau Front Populaire, de composer un gouvernement, puis ensuite d’aller construire des coalitions avec les partenaires politiques au Parlement.
Lucie Castets, candidate NFP au poste de Premier ministre, le 23/08/2024
Tir de barrage
Mais les amabilités présidentielles n’étaient là que pour masquer le tir de barrage de l’après-midi. D’abord Gabriel Attal. De retour de l’Élysée, le nouveau président du groupe parlementaire Ensemble indique à ses collègues qu’il a mis en garde le chef de l’État contre toute présence insoumise au gouvernement. Celle-ci entraînerait une motion de censure immédiate.
On remarquera l’absence totale de cohérence politique. C’est au désistement des candidats insoumis arrivés en troisième position que 35 députés macronistes doivent leur siège. Si LFI faisait alors partie de l’arc républicain, pourquoi en est-elle exclue quand il s’agit de gouverner ? Les insoumis sont infréquentables ? Alors, il fallait refuser leurs voix le 7 juillet. Sur cette ligne de la motion de censure immédiate, il y a encore Laurent Wauquiez.
Nous ferons barrage à la France insoumise. Parce que, et ça n’est pas suffisamment dit dans notre pays, ils sont dangereux pour la République.
Laurent Wauquiez, député LR et président du groupe Droite Républicaine à l’Assemblée nationale, le 23/08/2024
Le Rassemblement national ayant toujours affirmé qu’il ne tolérerait pas que la France insoumise participe au gouvernement du pays, l’hypothèse Lucie Castets semblait donc condamnée vendredi soir. Déjà, le président de la République s’apprêtait à livrer ce constat aux Français, faussement navré. “J’étais prêt à la désigner, mais les autres n’en veulent pas. Ce n’est pas ma faute.” Et voilà comment l’hypothèse d’un gouvernement de gauche aurait pu être enterrée. Fin de la comédie.
Jean-Luc Mélenchon propose un soutien sans participation
Mais ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire la grimace. Samedi, sans prévenir personne, Jean-Luc Mélenchon a pris le président à son propre piège.
Le soutien sans participation au gouvernement. C’est la formule retenue par les communistes en 1936, lors du premier Front Populaire. À l’époque, ce sont eux qui tenaient le rôle de l’épouvantail politique. Le bolchévique au couteau entre les dents. Si Jean-Luc Mélenchon évoque cette solution, c’est moins pour débloquer la situation que pour contraindre les macronistes et leurs alliés à reconnaître qu’ils ne veulent tout simplement pas d’un gouvernement de gauche. Pari réussi.
L’opposition à la formation d’un gouvernement autour de LFI, ça n’est pas du tout pour des questions d’étiquette, ce n’est pas pour des questions de personnalités, seulement, ni même de style, encore que le style soit souvent agressif et offensant. Mais c’est principalement en raison du programme qui est annoncé. Et ce programme est dangereux pour le pays.
François Bayrou, président du MoDem, le 25/08/2024
Quant au RN, ils ne veulent ni des insoumis, ni du Nouveau Front Populaire. Jordan Bardella et Marine Le Pen l’ont confirmé ce matin après avoir rencontré le chef de l’État.
Nous avons donc indiqué que nous étions évidemment en faveur d’un vote d’une motion de censure à l’égard d’un probable gouvernement du Nouveau Front Populaire.
Jordan Bardella, député européen RN et président du RN, le 26/08/2024
L’idée qu’il y ait un gouvernement du Nouveau Front Populaire où il n’y aurait pas de ministre insoumis ne change strictement rien. C’est la France insoumise, et donc c’est Jean-Luc Mélenchon qui dirigera en réalité ce gouvernement.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 26/08/2024
Le camp présidentiel fait profil bas
Cependant, le camp présidentiel fait plutôt profil bas. Le repoussoir insoumis disparu, comment justifier devant l’opinion la mise à l’écart de la coalition arrivée en tête ? Comment expliquer qu’on ne laisse pas Lucie Castets rechercher des compromis ? L’attaquer sur son profil ? Mauvaise pioche. Le nom de Lucie Castets a été proposé par le Parti socialiste. Haut fonctionnaire, elle occupe le poste de directrice des finances et des achats de la ville de Paris. Pas vraiment le soviet du coin, on en conviendra.
Quant à d’éventuelles accointances avec LFI, il faut rappeler qu’en 2015, elle était candidate aux élections régionales sur la liste de Nicolas Mayer-Rossignol, le maire socialiste de Rouen. Et ce dernier voue une détestation sans bornes à la France insoumise. Bref, Lucie Castets n’est vraiment pas la marionnette de Jean-Luc Mélenchon. Ou alors, c’est un formidable agent double. Si ce n’est pas Castets qui va à Matignon, que reste-t-il comme solution ? Comment installer un parfum de cohabitation – expression présidentielle rapportée par nos confrères du Monde – sans abandonner les rênes du pouvoir ? Comment trouver le mouton à 5 pattes qui ne pourrait être récusé ni par la gauche, ni par la droite.
Emmanuel Macron penche pour une coalition entre le bloc macroniste et la Droite républicaine de Laurent Wauquiez. Sur le papier, l’addition des deux forces permettrait de dépasser le Nouveau Front Populaire : 213 députés contre 193 pour le NFP. Tout dépendrait alors de l’attitude du Rassemblement national. Celui-ci pourrait préférer imposer ses conditions sur chaque texte de loi plutôt que de renverser le gouvernement. C’est le scénario qui a présidé au vote de la loi immigration. Avec la surenchère que l’on connaît.
Dans cette hypothèse, Marine Le Pen resterait maîtresse du jeu. Rien ne pourrait se décider sans l’assentiment du RN sauf à voir le gouvernement être renversé par la conjonction des voix de gauche et d’extrême droite. Le problème, c’est que Laurent Wauquiez et ses amis ne veulent pas d’une telle coalition. Pas question pour le patron de la Droite républicaine d’hypothéquer ses chances pour 2027 en s’acoquinant avec les macronistes.
Nous ne participerons à aucune coalition gouvernementale. Parce que nous ne croyons pas à ce système de coalition gouvernementale où on met ensemble des gens qui ne pensent pas la même chose et qui aboutissent à l’impasse dans laquelle on est aujourd’hui.
Laurent Wauquiez, député LR et président du groupe Droite Républicaine à l’Assemblée nationale, le 23/08/2024
Et puis il y a l’écueil du casting. Trois noms reviennent : Bernard Cazeneuve, l’ancien ministre de l’Intérieur de François Hollande, Xavier Bertrand, le président la Région Hauts-de-France, et Karim Bouamrane, le maire de Saint-Ouen. Leur cote respective varie d’heure en heure.
Tant qu’on y est, on pourrait passer un coup de fil à Manuel Valls. Avec lui, on aurait le hollandisme, la droite et l’extrême droite fusionnés. Il est vraisemblable que le président de la République s’accorde quelques jours supplémentaires avant d’arrêter sa décision.
Si Emmanuel Macron avait appelé Lucie Castets à Matignon au lendemain du second tour des législatives, elle serait soit au travail, soit le gouvernement du Nouveau Front Populaire aurait été renversé. Dans les deux cas, les interrogations sur les marges de manœuvre de Lucie Castets seraient levées.
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