ÉDITORIAL – En politique, comme dans la vie, il y a un temps pour nommer les choses, et il y a un temps pour les expliquer. Pour avoir mélangé les deux temporalités, La France insoumise se retrouve isolée comme jamais. En quelques heures, elle a remplacé le Rassemblement national dans le rôle du pestiféré de la vie politique française. Même ses partenaires de la Nupes prennent leurs distances. C’est le travail militant de plusieurs années pour reconstruire une alternative de gauche qui vacille.
Que reproche-t-on au mouvement de Jean-Luc Mélenchon ? D’être incapable de dire que le Hamas est une organisation terroriste. Et que tout républicain est en devoir de condamner les massacres de samedi 7 octobre. « Notre parole n’est pas à la hauteur de la gravité des événements », constatait avec lucidité François Ruffin dans un entretien publié par Le Monde. On ne peut qu’acquiescer.
Faute politique
Dans notre pays où le souvenir des tueries du Bataclan, de l’Hyper Cacher, de Charlie demeurent vivaces, ignorer le poids des mots est une faute politique. Comment les Français ne feraient-ils pas le lien entre les jeunes fêtards de la rave party près de Gaza – dont beaucoup ont dû défiler contre Netanyahu – et les jeunes assassinés le 13 novembre 2015 au Bataclan ? C’est la même haine des valeurs démocratiques, le même antisémitisme, la même détestation de la liberté des femmes, de la diversité des genres et des mœurs qui a frappé.
Faut-il être aveugle pour ne pas saisir qu’à cet instant précis, les « oui, mais… » n’avaient pas leur place ? Consciente des dégâts entraînés par sa position initiale, la direction de La France insoumise évoque depuis lundi 9 octobre des « crimes de guerre ». Mais pour qu’il y ait crimes de guerre, faut-il encore qu’ils soient commis par une armée. Est-ce à dire que LFI tient le Hamas pour une armée ? Et ses hommes pour des combattants ? J’ai posé la question à Mathilde Panot, mardi 10 octobre, lors de son point de presse. J’attends encore une véritable réponse.
Le courage de nommer le réel
Affirmer sans détour que le Hamas est une organisation terroriste n’est certainement pas taire ou minorer les crimes des gouvernements successifs de l’État hébreu contre les populations palestiniennes. Au contraire, avoir le courage de nommer le réel par son nom rend la contextualisation de la tuerie de samedi audible par le plus grand nombre. Parce qu’elle la débarrasse du soupçon de vouloir relativiser les faits.
Oui, le Hamas est une organisation terroriste qui a commis un acte terroriste de masse. Oui, le gouvernement israélien mène une politique sanglante de colonisation et d’annexion qui conduit à l’abîme les peuples et la région. Lavons au préalable La France insoumise d’une accusation ignominieuse. Sa posture actuelle ne doit rien à un quelconque antisémitisme larvé, quoi qu’en disent Élisabeth Borne et ses petits télégraphistes.
Clichés idéologiques inopérants
Si le mouvement de Jean-Luc Mélenchon se révèle incapable de nommer l’événement, c’est d’abord parce que la direction de LFI reste prisonnière de clichés idéologiques inopérants. Clichés qui la conduisent à se planter magistralement chaque fois qu’il s’agit d’évoquer la situation internationale. Au nom d’un anti-impérialisme de principe, elle tend à considérer comme des alliés tous ceux qui s’opposent à la domination américaine, fussent-ils des tyrans.
Résultat, du Venezuela à la guerre entre l’Ukraine et la Russie, en passant par la Syrie ou la Chine, LFI a toujours été à côté de la plaque. Dans son obstination à refuser de condamner le Hamas, il y a encore la crainte de voir une partie de son électorat lui reprocher de stigmatiser les musulmans. Juste au moment où les bombes s’abattent sur Gaza sans distinguer l’innocent du coupable, l’enfant de l’adulte, le vieillard du combattant.
Enfin, et surtout, il y a l’absence totale de démocratie au sein de LFI. Rédigé à la va-vite sur un coin de table, le premier communiqué de presse n’a pas été débattu, quoi qu’en dise la direction aujourd’hui. L’engrenage compulsif de Twitter a fait le reste. S’il y avait eu des structures collégiales, le mouvement aurait peut-être pris le temps de la réflexion et trouvé le ton juste. Du moins veut-on l’espérer. Pour l’honneur de la gauche.
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