
C’est le livre qui change tout. Tout sur notre regard sur Bétharram. Tout sur les déclarations du Premier ministre devant la représentation nationale. Car dans “Le silence de Bétharram” ouvrage paru cette semaine et signé par Alain Esquerre, le porte-parole du collectif des victimes, figure un témoignage inattendu. Celui de la propre fille du Premier ministre, Hélène Perlant. Rouée de coup à l’âge de 14 ans lors d’un camp de vacances organisée par l’établissement catholique. François Bayrou ignorait tout de cette agression. Il en a été informé, il y a quelques jours.
En tant que père de famille, ça me poignarde le cœur. Pourquoi est-ce que les victimes ne parlent pas ? Pourquoi est-ce qu’on ne parle pas dans les affaires de violences intrafamiliales ? Pourquoi est-ce qu’on ne parle pas dans les affaires dramatiques d’inceste ? Pourquoi est-ce que les voisins ne voient rien ?
François Bayrou, Premier ministre, le 23/04/2025
Cette révélation intrafamiliale éclaire d’un jour nouveau ses déclarations devant les députés.
J’affirme que j’ai, évidemment, je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences à fortiori sexuelles. Jamais. Est-ce que vous croyez que nous aurions scolarisé nos enfants dans des établissements dont il aurait été soupçonné ou affirmé qu’il se passe des choses de cet ordre ? Je peux vous assurer que tout est faux et qu’une plainte en diffamation sera évidemment portée.
François Bayrou, Premier ministre, le 11/02/2025
Hélène Perlant, sa fille, avançait une première explication.
Bétharram, c’est un système profondément pervers. Qu’on soit pour, qu’on le soutienne, qu’on soit contre, comme ce que j’ai fait moi de l’intérieur, on est pris dans le jeu. C’est-à-dire que ce système, c’est absolument génial, à la fin ça se retourne contre les parents qui n’ont rien vu, qui sont accusés.
Hélène Perlant, fille de François Bayrou, le 24/04/2025
Mais François Bayrou n’a-t-il rien vu ou bien n’a-t-il rien voulu voir ?
François Bayrou, quand il prend la parole à l’Assemblée nationale, c’est un homme en colère. Il ne veut pas voir, en tout cas il ne veut pas qu’on remette en cause un système qu’on a pensé efficace à une époque.
Alain Esquerre, porte-parole du collectif des victimes, le 24/04/2025
Mécanique du silence
Que le père de famille François Bayrou n’ait pas suspecté ce qui est arrivé à sa fille est parfaitement recevable. En revanche, le débat reste ouvert concernant le responsable politique François Bayrou. Il a été ministre de l’Éducation nationale de 1993 à 1997 et président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques de 1992 à 2001.
Ces deux casquettes – surtout la première – lui faisaient obligation de protéger les élèves. C’est cette responsabilité que devra examiner la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires publics et privés ». Plusieurs autres anciens ministres de l’Éducation nationale seront entendus dans les semaines qui viennent ainsi qu’Élisabeth Borne, la titulaire actuelle du maroquin.
L’utilité de cette commission d’enquête est avant tout, on le voit, la libération de la parole. Une libération de la parole massive, à la fois au sein de collectifs qui étaient déjà constitués à Bétharram, à Ustaritz, à Riaumont mais aussi par les témoignages que vous a évoqué notre présidente puisqu’on a une centaine de mails qu’on reçoit, Paul Vannier, Fatiha Keloua-Hachi et moi-même, directement, de personnes qui osent parler aujourd’hui.
Et puis les plaintes. Plus de 200 plaintes. Ustaritz, 11 plaintes, Neuilly qui fait l’actualité aujourd’hui avec des plaintes en cours de dépôt. Et puis Riaumont, dans ma région des Hauts-de-France, où il y a déjà de nombreuses plaintes qui étaient pour toutes prescrites, et hier a été annoncée le dépôt d’une plainte non prescrite qui va certainement pouvoir faire rouvrir l’action judiciaire et l’étendre aux années passées.
Violette Spillebout, députée EPR et corapporteure de la Commission d’enquête, le 10/04/2025
Il y a une mécanique du silence qui s’est instaurée autour de Bétharram. C’est incontestable. Et c’est le grand apport du livre d’Alain Esquerre de montrer comment elle s’est construite. Mais les pouvoirs publics se sont-ils donnés les moyens d’endiguer cette spirale de l’omerta ? A-t-on contrôlé cet établissement ?
Dans un rapport publié en juin 2023, la Cour des comptes souligne que les contrôles administratifs dans les établissements privés sous contrat avec l’État n’interviennent que lorsqu’il y a un signalement. Autrement dit, pas de signalement, pas de contrôle. Quant aux contrôles pédagogiques, ils sont réduits au strict minimum. Dans un récent rapport d’information de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, sur l’enseignement privé sous contrat, les députés Paul Vannier et Christopher Weissberg soulignent à leur tour la faiblesse des contrôles.
“Au rythme actuel, la fréquence de contrôle d’un établissement privé est d’une fois tous les 1500 ans. Les établissements scolaires publics font, pour leur part, l’objet d’environ dix fois plus de contrôles.”
C’est sur ce point que la responsabilité de François Bayrou est engagée. Mais le rendez-vous du 14 mai avec la Commission d’enquête n’est pas le seul nuage qui vient obscurcir l’horizon de François Bayrou. Plusieurs autres échéances l’attendent. D’abord le conclave sur les retraites. Il devrait s’achever avant celui du Vatican. Du second surgira un pape. Mais le premier ouvrira peut-être les portes de l’enfer pour François Bayrou.
On s’en souvient, le Parti socialiste n’avait pas voté la censure à la condition expresse que le Premier ministre ouvre un nouveau débat sur les retraites à l’Assemblée à l’issue des négociations entre les partenaires sociaux. L’homme de Matignon tiendra-t-il sa promesse ? Et s’il ne la tient pas, est-ce que ce sera la guerre du feu ?
Ce qui est certain, c’est que jusqu’au 15 juin, il ne se passera pas grand-chose. Les socialistes ne bougeront pas avant la fin de leur congrès de Nancy. Si Olivier Faure est reconduit à la tête du parti, ce qui n’est pas impossible, les voix socialistes pourraient se joindre à celles du reste de la gauche lors d’une prochaine motion de censure.
Car aux retraites sont venus s’ajouter les 40 milliards d’économies que le gouvernement entend réaliser. Notamment sur le dos des retraités qui verraient disparaître les 10 % d’abattement dont ils bénéficient. La France insoumise hésite. Elle voudrait bien déposer une motion de censure, mais un député ne peut signer que trois motions de censure par session. Et son quota est quasiment épuisé.
Nous avons déjà essayé à 5 reprises. A 5 reprises nous avons déposé une motion de censure. Et nous sommes prêts, là, dans les prochains jours, à déposer une nouvelle motion de censure. Mais comme on n’a pas des motions de censure manière illimitée, nous sommes prêts à déposer cette motion de censure si on a une garantie qu’au moins tous les députés de gauche la votent.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur national LFI, le 14/04/2025
Une censure ? Où ça ?
C’est là qu’intervient la question du calendrier. La session se termine le dernier jour ouvrable du mois de juin. Mais il reste une palanquée de textes à examiner. Du côté de l’Élysée, on envisage de convoquer une session extraordinaire. Soit au mois de juillet, soit au mois de septembre, soit répartie sur les deux mois. Vous l’avez deviné, le fait que ce soit une nouvelle session remet les compteurs à zéro. A nouveau chaque député pourra signer trois motions de censure. Largement de quoi renverser François Bayrou.
La gauche ne vote jamais les motions de censure du Rassemblement national. En revanche, le groupe lepéniste a souvent voté avec la gauche. Et il pourrait remettre ça si le gouvernement s’entête dans sa volonté de supprimer l’abattement des retraités.
Si le gouvernement de François Bayrou venait à être renversé, le Président de la République pourrait à nouveau dissoudre l’Assemblée nationale. Il en retrouvera la prérogative à partir du 8 juillet. Dans ce scénario, Marine Le Pen ne pourrait pas se représenter. Mais cette perspective ne semble pas l’effrayer. Son objectif reste la présidentielle. Tout dépendra de la décision de la Cour d’appel à l’été 2026.
François Bayrou pourrait donc retrouver bientôt les gypaètes barbus et les marmottes du Béarn. Ce qui, somme toute, est un sort plus enviable que celui d’être unanimement méprisé et détesté comme il l’est aujourd’hui. Du moins, si l’on en croit les sondages.
Soyez le premier à commenter