Aucun élu de la République n’est au-dessus des lois, c’est entendu. Mais peut-on abandonner à la justice le soin de trancher les débats politiques ? C’est la question de fond que pose la convocation de la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, par un service de police dans le cadre d’une enquête pour apologie du terrorisme. Cette audition concerne le communiqué publié le 7 octobre par la France insoumise.
“L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Nous déplorons les morts israéliens et palestiniens. Nos pensées vont à toutes les victimes.”
Communiqué LFI du 7/10/2023
Un communiqué rédigé dans l’urgence
Sur le fond, ce communiqué est consternant. Le Hamas, mouvement confessionnel, totalitaire et terroriste, est réduit, sous la plume de LFI, à de simples forces palestiniennes. Cette euphémisation est une faute politique. Il a été rédigé dans l’urgence, rappelle Éric Coquerel.
Ce communiqué avait été fait avant qu’on connaisse l’ampleur des massacres. A l’époque, on parlait de “tirs de roquettes”, etc. Il positionnait, le 7 octobre, dans le cadre non pas d’un conflit, de la guerre, du choc des civilisations, ce que veut monsieur Netanyahou, le bien contre le mal, guerre de religion, mais dans le cadre d’un conflit colonial ce qui n’excuse pas pour autant la façon dont le Hamas l’a menée.
Éric Coquerel le 24/04/2024
L’explication peut s’entendre. Sans pour autant être partagée. La logique coloniale du gouvernement israélien ne fait pas disparaître la dimension terroriste du Hamas. Ni la main de fer qui s’est abattue sur les Palestiniens de Gaza depuis que ce mouvement a totalement pris le pouvoir en 2007 après avoir liquidé physiquement ses adversaires du Fatah. La France insoumise qui se réclame de la gauche, donc de la laïcité et de la démocratie, aurait dû y regarder à deux fois avant d’écrire n’importe quoi sur un coin de table. Et de s’enferrer ainsi, pendant des mois, dans une position qui ne fait pas l’unanimité en son sein. Mais ce débat n’a certainement pas à être tranché par la justice.
L’apologie du terrorisme est un délit d’opinion. Jusqu’en 2014, il ressortait de la loi sur la presse de 1881. Autrement dit, le cadre procédural était extrêmement contraignant. Le législateur ne voulait pas que des poursuites puissent être engagées à la légère. Comme le rappelle Marine Tondelier dans un tweet de soutien à Mathilde Panot, tout a changé avec Bernard Cazeneuve. Vous savez, le gars en costume croisé qui se voit toujours un destin national…
C’est la loi Cazeneuve de 2014 qui a permis de limiter l’expression politique sous prétexte d’apologie du terrorisme. Nous l’avions combattue à l’époque et dénonçons ses conséquences.
Marine Tondelier le 23/04/2024
Merci Bernard Cazeneuve
Marine Tondelier a raison. En sortant le délit d’apologie du terrorisme du droit de la presse pour l’inscrire dans le droit commun, Bernard Cazeneuve a mis entre les mains des Parquets un instrument disproportionné. Aussi surprenant que cela paraisse, il n’existe pas de définition du délit d’apologie du terrorisme dans le Code pénal. Même s’il existe un article pour réprimer ladite apologie. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation qui a fixé les contours du délit. Sont ainsi visés les propos qui “présentent un acte de terrorisme ou son auteur sous un jour favorable”. Une définition attrape-tout, et c’est bien là le problème. Peut-on ainsi considérer que débattre du caractère d’une attaque ou de la nature d’un mouvement est constitutif du délit ? Pour Bruno Retailleau, oui.
L’apologie pour le terrorisme c’est quelque chose de très très particulier. Il ne suffit pas de glorifier le terrorisme, il ne suffit pas de dire “tout ça est bien”. Le justifier, c’est tomber sous le coup de la loi. Et les violences verbales sont des violences. Imagine-t-on, par exemple, qu’en France certaines femmes politiques, hommes politiques, n’aient pas voulu qualifier le Bataclan d’acte de terrorisme ?
Bruno Retailleau le 24/04/2024
Ce qu’oublie Bruno Retailleau, c’est qu’une tentative d’explication, aussi laborieuse soit-elle, n’est pas une justification. À ce compte-là, la moitié des historiens finiraient leurs jours sur la paille humide des cachots. Ce n’est pas à un service de police, un procureur ou un juge de dire ce qu’il faut penser. Et encore moins à l’exécutif. Le propre d’une démocratie, c’est d’admettre en son sein des opinions contradictoires. C’est donc à la fois le droit de proférer d’énormes conneries et de réfuter ces dernières. Bon, on peut aussi dire des choses intelligentes.
L’article 4 de la Constitution ne prévoit pas autre chose : “La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation”. Quelque opinion que l’on ait de LFI, celle-ci était par conséquent dans son rôle le 7 octobre. Et tant qu’elle respecte, comme le précise l’article 4 de la Constitution, “les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie”, la justice n’a pas à intervenir.
Le débat divise d’ailleurs jusqu’au Rassemblement national. Le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella hésite entre deux attitudes. Mais c’est en effet à l’électeur de trancher. Et sous cet angle, l’exécutif voudrait influencer son choix qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Une audition d’un président de groupe parlementaire à 50 jours d’un scrutin alors que les faits remontent à six mois : qui peut considérer qu’il ne s’agit pas là d’une manœuvre ? C’est la position exprimée par Olivier Faure.
“En quelques jours, la multiplication d’interdictions et de convocations visant la FI ou ses candidats, et désormais sa présidente de groupe parlementaire sont une atteinte grave à la démocratie. Le fait que ces événements aient lieu en période de campagne ajoute à la gravité. Cela doit cesser.”
Olivier Faure le 23/04/2024
Cela doit cesser, en effet. À trois reprises, la France insoumise s’est vue refuser la possibilité de s’exprimer dans une enceinte universitaire. Et une quatrième fois dans un local privé. Alors que ce mouvement, même s’il a le verbe haut, ne s’est jamais signalé par un acte de violence ou un quelconque désordre. Il a choisi de centrer sa campagne sur la Palestine plutôt que sur les questions européennes. C’est son droit. Et seul le résultat du 9 juin au soir dira si c’était là une stratégie judicieuse. Même Emmanuel Macron est d’accord sur ce point.
Je pense que c’est très important dans les moments que nous vivons que l’ensemble des voix puissent s’exprimer de manière libre et qu’après chacun puisse combattre les arguments qui sont exprimés librement. Je ne partage pas la vision des choses, ni sur le conflit au Proche-Orient, ni sur beaucoup de choses, de Jean-Luc Mélenchon. Mais je pense que c’est important qu’il puisse exprimer sa voix. Et c’est la même chose pour monsieur Zemmour.
Emmanuel Macron le 18/04/2024
Ceux qui pensaient affaiblir la France insoumise en multipliant les plaintes contre elle risquent de s’en mordre les doigts. Hier en position d’accusée, elle se retrouve aujourd’hui en position de victime d’un acharnement administratif et judiciaire. Ce qui, à l’évidence, va lui permettre de resserrer les rangs. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette entreprise de diabolisation.
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