À l’Assemblée nationale, petits et grands arrangements pour élire Yaël Braun-Pivet

Yaël Braun-Pivet à l’Assemblée nationale, le 18/07/2024 ©PurePolitique

Yaël Braun-Pivet a donc été réélue présidente de l’Assemblée nationale au troisième tour de scrutin. Elle devance le candidat du Nouveau Front populaire de 13 voix. Pas grand-chose. Et justement, la question de la conformité de cette élection avec la Constitution est posée.

Vous remarquerez qu’il y a 13 voix d’écart qui ont permis à Yaël Braun-Pivet de battre la candidature unique du Nouveau Front Populaire, celle que nous portions toutes et tous ensemble, celle d’André Chassaigne. Quand je parle de magouilles et de combines qui ont permis de voler le résultat démocratique du peuple français, vous remarquerez que, hier, alors qu’Emmanuel Macron avait jusqu’alors refusé la démission du gouvernement d’Attal, comme de par hasard, cette démission a été acceptée et donc il se trouve que siègent 17 ministres d’un gouvernement qui gère les affaires courantes.

On comprend bien la fébrilité et la fragilité de ce pouvoir qui avait absolument besoin de ces 17 voix pour pouvoir faire en sorte de battre notre candidature commune.

Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 18/07/2024

L’article 23 de la Constitution interdit d’être à la fois ministre et parlementaire. Mais c’est la loi qui détermine les modalités de cette incompatibilité. En l’occurrence l’article LO 153 du code électoral. Et cet article fait l’objet de plusieurs interprétations. Certains juristes considèrent qu’à partir du moment où la démission du gouvernement a été acceptée, les ministres ne sont plus vraiment ministres. Ils peuvent donc siéger et voter. C’est la position défendue par l’Élysée.

Le cas des ministres-députés

Mais d’autres spécialistes en droit constitutionnel estiment que si les ministres-députés peuvent siéger, ils ne peuvent en revanche ni voter, ni percevoir leur indemnité. Si l’on s’en tient à cette dernière interprétation, Yaël Braun-Pivet a perdu l’élection. Qui peut donc dire le droit en la circonstance ? « Le Conseil constitutionnel », » allez-vous répondre. Eh bien non.

En 1986, appelé a se prononcer sur la régularité de l’élection du président de l’Assemblée nationale, celui-ci s’était déclaré incompétent. Aussi ahurissant que cela paraisse, il n’existe aucune voie de recours pour contester la régularité de l’élection de la présidente de l’Assemblée nationale. C’est la politique du fait accompli. Bienvenue dans le monde magique des régimes illibéraux.

Mais ces 17 voix ministérielles litigieuses n’expliquent pas tout. Si Yaël Braun-Pivet l’a emporté, c’est grâce à une tambouille digne de la IVe République.

Les Françaises et les Français ont été volés. Ils ont infligé une défaite considérable à Emmanuel Macron. Emmanuel Macron reste à l’Elysée, Gabriel Attal, tout démissionnaire qu’il est, reste à Matignon, et madame Braun-Pivet qui aurait dû avoir la décence, défaite, de ne pas se représenter, se retrouve également au perchoir.

Comment se retrouve-t-elle au perchoir ? Parce qu’elle a négocié avec une droite qu’elle a prétendu combattre dans les urnes. Elle a négocié des places dans les différentes instances de l’Assemblée nationale. Ca n’est pas l’idée que nous nous faisons de la démocratie, qui doit se faire dans le débat au grand jour et non pas dans les combines de couloirs et d’appareils.

Boris Vallaud, député PS et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 18/07/2024

La Droite républicaine est allée à la soupe

Deux groupes se sont ralliés à la candidature de Yaël Braun-Pivet à l’issue du premier tour de scrutin : Horizons, les partisans d’Édouard Philippe, et la Droite républicaine, le nouveau nom du parti Les Républicains. C’est là qu’il y a de quoi tomber de sa chaise. Car ce sont ces derniers qui sont à l’origine de la dissolution de l’Assemblée nationale.

Souvenez-vous, pour justifier sa décision, le président de la République a invoqué la menace d’une motion de censure que LR prévoyait de déposer à l’automne sur le budget. Les Républicains accusaient Emmanuel Macron de cramer la caisse. En sept ans de mandat, affirmait Olivier Marleix, le patron des députés de l’époque, le chef de l’État avait rajouté mille milliards de dette. On allait voir ce qu’on allait voir. Les Républicains allaient renverser la table. Et les macronistes avec.

Eh bien on a vu. La Droite républicaine est allée à la soupe. En échange de son soutien à Yaël Braun-Pivet, le groupe que dirige Laurent Wauquiez devrait obtenir deux vice-présidences, un poste de questeur et deux secrétaires. Soit bien plus que ce à quoi il peut prétendre avec ses 47 députés. Mais officiellement, il n’y a pas eu de marchandage. Il ne s’agissait que de faire barrage à la France insoumise…

Aujourd’hui, c’est une victoire pour la République, pour le camp de ceux qui croient dans la République, dans le fonctionnement de nos institutions. Nous, la Droite républicaine, avons pris nos responsabilités pour faire en sorte que ceux qui pendant deux ans ont eu un comportement outrancier, qui n’ont pas hésité à bordéliser les débats à l’Assemblée nationale, n’aient pas eu accès au perchoir.

Vincent Jeanbrun, député LDR, le 18/07/2024

La comédie ne s’arrête pas là. Bien qu’elle ait soutenu la candidate macroniste, la Droite républicaine déclare être un groupe parlementaire d’opposition. Et les termes de cette déclaration méritent d’être lus.

“Convaincus que les combinaisons d’appareils et les coalitions contre nature ne relèvent pas de l’esprit de la Ve République auquel nous sommes attachés, ni ne représentent une quelconque solution, nous, les députés de la Droite républicaine, portons la voix claire et indépendante de la droite et du centre droit, celle d’un groupe d’opposition responsable.”

Plus c’est gros, plus ça passe. André Chassaigne, le candidat du Nouveau Front Populaire affichait son écœurement devant les caméras.

Que certains, après avoir participé par une combinaison, et je parle des Républicains, après avoir participé à cette combinaison qui a permis de ne rien changer alors que le peuple attendait que ça change, que certains se déclarent aujourd’hui dans l’opposition de l’Assemblée nationale, non seulement c’est malsain, mais je dirais que c’est nauséabond.

André Chassaigne, député PCF et président du groupe GDR à l’Assemblée nationale, le 18/07/2024

Oui mais non, en fait si

Le Nouveau Front Populaire n’a pas vu le coup venir. Pas plus d’ailleurs que les journalistes dont je fais partie, il faut le reconnaître. C’était avec le Rassemblement national qu’on pressentait un accord. Des contacts avaient été pris avec Yaël Braun-Pivet comme le reconnaît sans détour Sébastien Chenu.

J’ai indiqué à madame Braun-Pivet avant les élections que le Rassemblement national et ses élus souhaitaient être représentés à la hauteur de ce que les textes prévoient. Les textes de l’Assemblée nationale prévoient que celle-ci soit organisée en respectant les proportions des groupes politiques et les équilibres des groupes politiques dans la maison. Elle m’avait indiqué qu’elle trouvait cela normal également. Mais je crois que depuis monsieur Attal a fait pression pour empêcher cela, pour contourner la démocratie.

Sébastien Chenu, député RN, le 18/07/2024

C’est donc à Gabriel Attal, le nouveau patron du groupe Ensemble pour la République – EPR comme le réacteur nucléaire de troisième génération – qu’on doit ce scénario. Il a choisi de toper, j’allais dire isotoper, avec Laurent Wauquiez plutôt qu’avec le Rassemblement national. Du coup, Sébastien Chenu s’est maintenu au troisième tour. Aux voix de Wauquiez sont venues s’ajouter celles du groupe Horizons. Toute honte bue, son président, Laurent Marcangeli s’est précipité devant les caméras pour réclamer son dû : des postes dans la gouvernance de l’Assemblée nationale. Pour le bien du pays, bien sûr.

Demain nous serons encore là. Nous aurons à déterminer un certain nombre de choses, notamment au niveau de la représentativité de chaque groupe au sein des organismes décideurs de notre maison. Ce que je veux dire au nom du groupe que j’ai l’honneur de présider, c’est la chose suivante : pas d’exclusion, pas d’exclusive.

Dans la maison du peuple, je parle de la maison du peuple qui est l’Assemblée nationale, chaque Français doit être représenté. Chaque voix doit être entendue, doit être écoutée, doit être respectée.

C’est la raison pour laquelle que je vous annonce aujourd’hui que demain nous agirons afin de faire en sorte que dans les institutions représentatives de l’Assemblée nationale, à juste proportion des groupes et des responsables politiques présents, chacun y trouve sa place.

Laurent Marcangeli, député Horizons et président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, le 18/07/2024

1984

Durant cette journée des dupes, la novlangue orwellienne a fait des ravages. Vous savez, celle qui dit « la paix c’est la guerre, le jour, c’est la nuit, Macron est gentil »…

On va continuer à innover. On a beaucoup innové à l’Assemblée nationale dans un contexte de majorité relative. On va évidemment continuer. Moi je réunirai très rapidement les groupes politiques pour pouvoir inventer de nouvelles méthodes de travail puisque dans cette Assemblée où il y a finalement plusieurs blocs et plusieurs forces, il faut que nous trouvions d’autres modes de fonctionnement.

Yaël Braun-Pivet, députée Ensemble pour la République et présidente de l’Assemblée nationale, le 18/07/2024

“On a beaucoup innové” déclare Yaël Braun-Pivet. En effet, sous sa présidence, jamais on n’a eu autant recours à l’article 49-3. Jamais on n’a autant sanctionné les députés. Jamais on n’a autant brutalisé l’institution parlementaire. De quoi être inquiet sur les nouvelles méthodes de travail qu’elle se propose de mettre en place. Alors, après cette élection assez minable, le Nouveau Front Populaire a-t-il encore une chance d’envoyer un candidat à Matignon ?

A moins qu’ils annoncent aux électeurs qu’ils ont fait un deal de gouvernement entre LR et les macronistes, ce qui n’a pas été fait jusque-là, puisqu’il s’agit juste de petites combines, c’est qu’il n’y a pas de majorité alternative. Quand on sait que, d’ailleurs une partie des macronistes n’accepteront pas d’aller derrière LR, c’est que nous sommes, avec nos près de 200 voix, la force de l’Assemblée nationale. Certes relative, nous sommes la majorité relative de l’Assemblée nationale.

Donc à un moment, il faudra bien que le président de la République l’entende si on veut pouvoir continuer à faire de la politique, tout simplement, pour changer la vie des gens. Parce que sinon c’est le blocage qui nous est promis.

Arthur Delaporte, député PS, le 18/07/2024

Au sortir de cette séquence, des millions et des millions de Français, électeurs de tous bords, ne font plus confiance aux institutions pour les représenter. C’est la République que ce pouvoir est en train d’asphyxier lentement. Espérant ainsi survivre au chaos qu’il a provoqué. Il se trompe.

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