Michel Barnier avait parié sur le soutien du RN pour survivre à Matignon. Mauvais calcul. François Bayrou, lui, table sur le Parti socialiste pour échapper à la censure. L’arithmétique parlementaire est inflexible : sans les voix des 66 députés socialistes, ni le Rassemblement national, ni la France insoumise ne peuvent espérer renverser le gouvernement. Ce dernier s’est donc lancé dans une entreprise de débauchage grand format.
La grande débauche
Je pense, alors que la semaine commence, qu’il y a plus de perspectives d’un dialogue fécond, je dirais, avec les partis de gauche, qu’avec le Rassemblement national. Je pense qu’il y a des convergences avec le Parti socialiste, mais aussi avec le Parti communiste et avec les Verts.
Éric Lombard, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, le 06/01/2025
Michel Barnier avait présenté un plan de réduction du déficit budgétaire à 60 milliards. Avec l’ambition de ramener ce dernier à 5 % du PIB. Le nouveau gouvernement revoit à la baisse les objectifs. Désormais, il s’agit de trouver 50 milliards pour un déficit qui pourrait aller jusqu’à 5,4%. Dix milliards en moins, ça laisse quelques marges pour négocier. Avec un objectif précis.
Parvenir à un accord ou à minima un accord de non-censure.
Éric Lombard, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, le 06/01/2025
Le gouvernement reprendra la version du budget votée par le Sénat. Pour l’heure, si l’on s’en réfère aux déclarations d’Amélie de Montchalin, la ministre des comptes publics et d’Éric lombard, la taxe sur les bénéfices des grandes entreprises, la taxe sur les rachats d’actions et celle sur les billets d’avions devraient être maintenues.
Pour ce qui est de relever le prélèvement forfaitaire unique autrement dit la flat tax, ça cogite toujours. En revanche, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ne sera pas maintenue. Enfin et surtout, le gouvernement semble prêt à bouger sur la retraite à 64 ans. A pas de fourmis, il ne faut pas rêver…
On a dit qu’on mettait tout sur la table et que à l’intérieur de l’équilibre financier actuel, on pouvait faire bouger des choses.
Éric Lombard, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, le 06/01/2025
Cette corbeille de mariage peut-elle séduire les socialistes et, au-delà, le reste de la gauche à l’exception des insoumis ? Avant les fêtes, la journaliste Apolline de Malherbe avait dévoilé l’appréciation flatteuse que portaient Raphaël Glucksmann et Olivier Faure sur Éric Lombard.
C’est un homme de gauche. Je le connais depuis longtemps. Je peux même vous dire que c’est un ami dans la vie. Mais est-ce que ça veut dire que demain il aura les mains libres à Bercy ?
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du Parti socialiste , le 24/12/2024
La démonstration de cette liberté reste à faire si l’on s’en rapporte aux déclarations d’Olivier Faure, aujourd’hui, à Bercy. Les représentants du Parti socialiste venaient d’être reçus par le ministre de l’Économie et des Finances.
Nous avons rappelé quelles étaient nos priorités, nos engagements, et que nous n’étions pas prêts à nous vendre. Et que si il n’y avait pas de concessions qui étaient des concessions remarquables pour les Françaises et les Français, nous étions prêts à nouveau à prendre nos responsabilités, y compris par la censure. Nous voulons une négociation.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du Parti socialiste , le 06/01/2025
François Hollande en embuscade
Les socialistes veulent donc une négociation. La date butoir est fixée au 14 janvier, le jour où François Bayrou fera sa déclaration de politique générale devant les députés. Il reste 7 jours pour convaincre. Dans cette négociation se joue également l’avenir d’Olivier Faure. Le prochain congrès du PS doit se tenir avant l’été. L’actuel Premier secrétaire doit composer avec deux oppositions, celles de Nicolas Mayer Rossignol, le maire de Rouen et celle d’Hélène Geoffroy, la maire de Vaulx-en-Velin. A eux deux, ces courants représentent presque la moitié du parti. Et puis surtout, dans les coulisses, un personnage s’active. François Hollande.
Le comique troupier du socialisme français se verrait bien dans le rôle du revenant en 2027. Dans l’édition dominicale de Ouest-France, l’ancien président de la République se prononce pour : “Un grand Parti socialiste, suffisamment fort pour restaurer les clivages qui existaient avant l’extrémisation de la vie politique de notre pays”. En clair, il ne veut plus d’alliance avec les insoumis.
Dans le même entretien, il se prononce contre un départ d’Emmanuel Macron ou une nouvelle dissolution. On peut y voir une posture éminemment respectueuse du suffrage universel. Ou tout simplement l’indication que l’illustre personnage n’est pas encore prêt pour une présidentielle anticipée. La France est priée de patienter le temps qu’il dégage Olivier Faure, qu’il place ses lieutenants et qu’il commence à recueillir les parrainages. L’actuel Premier secrétaire marche donc sur des œufs. Il doit se démarquer de la France insoumise en acceptant de négocier avec le gouvernement tout en maintenant son parti dans le Nouveau Front Populaire. Ce genre de cascade est réservée aux professionnels. Ne tentez pas de la reproduire dans votre salon.
Éviter la motion de censure
Dans cette recherche d’un compromis historique, le gouvernement doit quand même compter avec le Rassemblement national. Faire risette aux socialistes ne suffira peut-être pas à empêcher que la gauche se rassemble derrière une motion de censure. D’où la nécessité de ne pas froisser inutilement Marine Le Pen. Ce matin, Sébastien Chenu s’est rappelé au bon souvenir du Premier ministre.
Si la construction du budget auquel s’attelle le ministre des Finances Éric Lombard ressemble à celui du précédent ministre des Finances, effectivement il y a peu de chance de nous voir les soutenir. Mon collègue Jean-Philippe Tanguy et moi-même on sera reçus par Éric Lombard, ministre des Finances, vendredi. On va expliquer à Éric Lombard quelles sont nos fameuses lignes rouges, quelles sont nos attentes, quelles sont nos demandes.
Sébastien Chenu, député RN, le 06/01/2025
Peu avant le vote de la motion de censure qui l’a renversé, Michel Barnier avait déjà fait machine arrière sur la taxe sur l’électricité et le déremboursement des médicaments. Il ne restait que la désindexation des retraites. L’absence de budget pour 2025 a paradoxalement écarté l’obstacle. Les retraites ont été relevées à hauteur de l’inflation au 1er janvier 2025. Soit une revalorisation de 2,2 %.
Les lignes rouges posées par le mouvement d’extrême droite semblent donc respectées. Mais le Rassemblement national a prouvé qu’il avait un certain talent pour en inventer de nouvelles chaque fois qu’il obtient une concession. La discussion budgétaire ne devrait pas tarder à virer à la surenchère.
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