À bien y regarder, le déroulement des débat, la semaine dernière à l’Assemblée nationale, a quelque chose d’incroyable. Le projet de budget du gouvernement Barnier a été détricoté dans des proportions jamais vues. Au point que l’insoumis Éric Coquerel estimait dimanche sur X que “le budget qui sera soumis au vote début novembre reste NFP compatible”.
Et le président de la Commission des finances de l’Assemblée d’énumérer dans son post les nouvelles recettes fiscales votées par les députés : la pérennisation et l’élargissement de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, la taxe de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, le rétablissement de la Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, etc.
Les avis divergent sur le montant des recettes ainsi générées. 10 milliards pour le rapporteur de la Commission des finances, Charles de Courson. 40 milliards pour Éric Coquerel, le président de ladite commission et certains députés macronistes. Voilà du coup une bonne partie des coupes budgétaires rendues inutiles. Pourtant, le Nouveau Front Populaire, s’il reste la plus importante coalition de l’Assemblée nationale, n’a pas la majorité absolue.
Les macronistes ont baissé les bras
Et, sur le papier, l’addition des forces qui soutiennent le Premier ministre, le socle commun pour reprendre l’expression consacrée, dépasse de 17 voix la gauche. Que s’est-il passé ? D’abord, le bloc central s’est effondré, faute de cohérence politique. Les députés macronistes ont fini par déserter l’hémicycle.
Quand vous êtes parlementaire et que vous vous retrouvez à siéger face à une alliance des contraires qui vous défait régulièrement, c’est plus difficile d’être complètement mobilisé. De temps en temps, vous avez des groupes qui viennent massivement soutenir les amendements auxquels ils tiennent, d’autres qui s’éloignent parce qu’ils préfèrent ne pas participer à des débats.
Roland Lescure, député EPR et vice-président de l’Assemblée nationale, le 27/10/2024
Ce comportement révolte François Bayrou.
Le devoir d’un parlementaire est de siéger sur ses bancs à l’Assemblée nationale. Et il n’y a pas d’excuse à invoquer et c’est aussi un manque de solidarité.
François Bayrou, maire de Pau et président du MoDem, le 27/10/2024
Un vote a particulièrement agacé le patron du MoDem. Celui portant sur la diminution de la contribution française à l’Union européenne. Il n’y avait que 12 députés du bloc central présents à ce moment-là.
Le socle commun a intériorisé sa défaite idéologique. Écoutez la diatribe de ce député EPR au moment de la discussion d’un amendement augmentant l’impôt sur les sociétés des très grands groupes.
Je crois que vous êtes en train, effectivement, de gagner la bataille idéologique. Et je vais essayer de vous expliquer pourquoi je pense cela. Parce que tous vos amendements contre le capital, contre les entreprises, s’inscrivent clairement dans une stratégie anticapitaliste, d’inspiration marxiste. Et cette stratégie comprend trois étapes.
La première : s’attaquer aux riches, aux bourgeois, pour aller vers une société sans classe. La seconde s’attaque à la propriété privée avec une démarche confiscatoire, pour aller vers une appropriation collective des moyens de production. La troisième étape est celle de s’attaquer à l’économie de marché avec le tout gratuit, le tout subventionné, le tout administré pour aller vers une économie administrée. Entre la société capitaliste que nous défendons, que je défends, et la société communiste que vous défendez, il y a ces trois étapes.
Et nous les refusons car elles conduisent en définitive à une forme de dictature du prolétariat.
Daniel Labaronne, député EPR, le 25/10/2024
Bien évidemment, le député communiste qui intervenait juste après Daniel Labaronne buvait du petit-lait.
Quel bonheur, monsieur Labaronne, de ce que vous venez de nous dire. On propose 40 % pour les entreprises qui font plus d’un milliard de chiffre d’affaires et 55 % pour celles qui font plus de trois milliards de chiffre d’affaires. Alors je ne sais pas si c’est cela la société communiste, c’est en tout cas une société de partage monsieur Labaronne.
C’est peut-être ce qu’il faut aujourd’hui parce que n’oubliez pas : 73 % des gens étaient pour le rétablissement de l’ISF et vous avez eu vos amis du Rassemblement national qui nous ont empêché de le faire, hier.
Nicolas Sansu, député GDR, le 25/10/2024
Calculs politiques
Même Éric Woerth n’a pas caché son abattement, qui pour une fois n’était pas fiscal.
Vous avez décidé d’essayer de construire une prise de pouvoir par le chaos. Que vous soyez socialiste ou LFI c’est la même chose, vos esprits sont mélenchonisés, et donc brutaux et agressifs. Je regrette vivement cela. Notre débat ne ressemble plus à rien, plus à rien. Personne n’y comprend rien.
Vous avez des amendements dans tous les sens, vous voulez augmenter tous les impôts de tout le monde à tout moment, des classes les plus populaires aux classes les plus riches. Le Rassemblement national, souvent d’ailleurs vous accompagne. Ça ne ressemble plus à rien.
Éric Woerth, député EPR et ancien ministre du Budget, le 25/10/2024
Ce marasme collectif n’est pas qu’un simple découragement. Il s’accompagne d’un calcul politique.
Si les amendements que nous votons sont irresponsables, assumez-le et déclenchez le 49-3. Simplement, vos députés ne sont pas là. Ils ne sont pas là depuis des jours, tout simplement parce qu’en réalité vous ne vous souciez pas du tout des travaux que nous menons.
Vous considérez que “vous vous occupez” de nous laisser parler, que vous transmettrez au Sénat et que vous nous écraserez ensuite. C’est par votre absence que vous méprisez cette Assemblée. Dites-le à votre collègue, et qualifier un vote majoritaire de notre Assemblée “d’irresponsable” est encore plus irresponsable.
Emmanuel Grégoire, député Socialistes et apparentés, le 25/10/2024
Le Nouveau Front Populaire pourrait voter le budget remanié
Les débats sur la partie recettes du budget reprendront le 5 novembre dans la soirée. Après le vote solennel du projet de loi de finances de la Sécurité sociale dont les députés entament aujourd’hui l’examen en séance. Normalement, à cette date, le 5 novembre donc, l’Assemblée nationale aurait dû commencer à débattre sur la partie dépenses du budget. Il y a de fortes chances que cet empiètement des recettes sur les dépenses rallonge la discussion.
Or, le 21 novembre à minuit, si les députés ne se sont pas prononcés sur les deux parties du budget – recettes et dépenses – le projet de loi est transmis dans sa version initiale au Sénat. Autrement dit, tous les amendements votés par les députés seront mis à la poubelle. Et l’on se doute par ailleurs que la majorité LR du Sénat réservera un bien meilleur accueil au projet de loi de finances. C’est la piste que privilégie le Premier ministre.
Certes, il pourrait recourir à l’article 49-3 pour abréger les souffrances de ses maigres soutiens. Mais ce serait marcher sur les traces d’Élisabeth Borne, ce que Michel Barnier veut éviter à tout prix. Il s’agit pour lui de maintenir le plus longtemps possible la fiction d’un chef de gouvernement à la recherche permanente du compromis. Un autre scénario pourrait venir accélérer la fin des débats à l’Assemblée : le rejet de la partie recettes du budget. Les députés doivent en effet se prononcer sur ce volet du projet de loi avant d’entamer l’examen des dépenses.
S’ils rejettent le texte, la discussion s’arrête là et le projet de loi est transmis dans sa version initiale au Sénat. Ce n’est pas le moindre paradoxe de la situation. D’ordinaire, ce sont les oppositions qui votent contre le projet de loi de finances du gouvernement. Et la majorité gouvernementale qui vote pour.
Cette fois, on pourrait se retrouver à front renversé : le Nouveau Front Populaire voterait le budget tandis que le socle commun et l’extrême droite voteraient contre. On n’en est pas encore là. Mais le RN a déjà prévenu.
On ne votera pas ce budget. On a toujours été contre.
Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 27/10/2024
Avant d’en arriver là, le Rassemblement national devra se prononcer cette semaine sur les différents amendements de la gauche ramenant l’âge de départ en retraite à 62 ans. Du bout des lèvres, il a annoncé en commission qu’il les voterait. À vérifier dans l’hémicycle.
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