Retraites : la bataille du référendum

Hadrien Clouet, député LFI-Nupes de Haute-Garonne, à l’Assemblée nationale, janvier 2023. ©Assemblée nationale

Et si, pour débloquer la situation, les Français votaient sur la réforme des retraites ? Lundi 23 janvier, 98 députés de la Nupes ont déposé une motion référendaire sur le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Une initiative que l’on doit au groupe communiste. Celle-ci vise à soumettre à référendum la réforme des retraites. 

Donner la parole au peuple sur une réforme aussi majeure que celle-là, c’est effectivement du ressort du président de la République. C’est lui, qui veut passer en force sa réforme, c’est à lui que revient la décision d’apaiser le débat et de rendre la parole au peuple. Nous défendrons, nous, une motion référendaire, ici à l’Assemblée nationale, en espérant qu’elle sera votée largement, puisque même quand on est pour cette réforme on peut au moins être pour qu’il y ait un dialogue en France, et un vrai dialogue. Donc nous déposerons cette motion référendaire. Si elle votée majoritairement ici, effectivement elle ira au Sénat, nous demanderons aussi aux sénateurs de la voter. À ce moment-là il reviendra au président de la République de décider ou pas d’ouvrir ce débat pendant les six mois qui suivront, en France, avec un référendum. C’est le seul moyen de trouver l’apaisement, c’est le seul moyen de sortir des grandes manifestations. C’est le seul moyen de pouvoir débattre sur le fond de ce sujet.

Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste

Contexte social

Fabien Roussel vient de l’expliquer. Si les deux assemblées tombent d’accord pour que la réforme des retraites soit soumise à référendum, la décision d’organiser celui-ci appartient au président. Il peut le faire, mais il n’en a aucune obligation. Tout dépendra donc du contexte social. 

Nous avons encore possibilité de faire reculer cette réforme des retraites si nous restons unis. Moi j’en appelle à la mobilisation maximale le 31 janvier pour au moins faire aussi bien, c’est-à-dire 1,5 million de personnes dans la rue, voire mieux. Et je crois que c’est possible, la question précédente le prouve, c’est que plus nous avançons dans l’explication et dans la pédagogie, plus on voit les effets délétères de la réforme sur des catégories qui parlent à tout le monde, c’est-à-dire les femmes, ceux qui ont commencé à travailler beaucoup plus jeunes, c’est-à-dire ceux qui sont tout proches de la retraite, ceux qui ont 55 ans, 56 ans aujourd’hui, qui savaient à peu près qu’ils allaient partir à 62 ans, et à qui on dit : « Bah non, vous allez partir à 63 ans voire à 64 ».

Christine Pires Beaune, députée PS-Nupes du Puy-de-Dôme, Palais Bourbon

Refus de modifier le calendrier

Mais justement, le gouvernement ne l’entend pas de cette oreille. À preuve, ce refus de la présidente de l’Assemblée nationale, la députée Renaissance des Yvelines, Yaël Braun-Pivet, de modifier le calendrier des séances. 

Nous avions une journée réservée au groupe socialiste le 9 février. Nous avons fait la demande de reporter cette journée après la réforme. Refus de la majorité alliée au Rassemblement national parce qu’ils préfèrent réduire le temps des débats pour qu’on ne parle pas, justement, de ces injustices et de ces vérités qui dérangent.

Arthur Delaporte, député PS-Nupes du Calvados, Palais Bourbon

La Nupes peut-elle trouver une majorité de députés pour soutenir sa motion ? Pour l’heure, elle dispose du soutien de deux autres groupes parlementaires. D’abord le groupe Liot, Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, fort de vingt députés.

Liot et le RN voteront

Bien sûr, on votera toutes les dispositions qui vont permettre soit de repousser ce texte soit de réouvrir le débat. […] Poser la question directement aux Français, ça fait longtemps qu’on aurait dû le faire, beaucoup plus tôt. Il y a un vrai problème de démocratie participative dans notre pays.

Bertrand Pancher, député de la Meuse et président du groupe parlementaire Liot, Palais Bourbon

La Nupes peut également compter sur les 88 voix du Rassemblement national. 

Nous, on n’a aucun problème à signer toute motion référendaire puisque c’est exactement ce que nous défendons, d’aller devant les Français pour avoir un débat sur les retraites et que les Français tranchent, même si on voit que le vernis commence à craquer, ici à l’Assemblée nationale.

C’est-à-dire ?

On voit qu’il y a des gens de la majorité, des élus de la majorité qui ne sont plus si décidés que ça et puis peut-être que les électeurs de LR interrogent leurs élus, les députés LR, pour connaître leur position et que tout ça va inciter les élus LR, peut-être, à revoir leur copie.

Sébastien Chenu, député RN du Nord et vice-président de l’Assemblée nationale, Palais Bourbon

Tout dépend des Républicains

Sortons la calculette. Sur le papier, en additionnant la Nupes, Liot et le RN, on arrive à 248 voix, 250 si l’on rajoute les voix d’Adrien Quatennens et Emmanuelle Ménard. La majorité à l’Assemblée se situe actuellement à 287 voix. Il manque donc 37 voix pour que la motion référendaire soit adoptée. Par conséquent, tout dépend des Républicains. Et justement le groupe est très partagé. 

La semaine dernière, autour du député du Lot, Aurélien Pradié, une douzaine d’élus Républicains entendaient se prononcer contre le projet de loi. Nos confrères de France Inter ont poussé l’enquête. Ils ont appelé chacun des députés du groupe. Sur les 62 députés Républicains, seuls 15 se déclarent prêts à voter le texte du gouvernement. 16 députés voteraient contre, 7 s’abstiendraient et 4 se déclarent indécis. 20 parlementaires ont refusé de répondre à nos confrères. Et c’est là que tout bascule. 

Pour faire adopter son texte, la majorité présidentielle a absolument besoin de 38 voix venues de l’opposition de droite. Même si les 20 députés qui ont refusé de répondre se prononcent pour le projet de loi du gouvernement, il manque 3 voix. À cette heure, la réforme des retraites serait rejetée si elle était soumise au vote.

Délabrement du groupe LR

Il est délicat d’extrapoler à partir de ces chiffres. Mais le délabrement du groupe LR sur la question des retraites est tel qu’on ne peut écarter un ralliement de députés Républicains à la motion référendaire de la Nupes. Cela avec d’autant plus de facilité que le référendum fait partie de la culture gaulliste dont LR est le lointain héritier. Quand il était au pouvoir, le Général a consulté le peuple à quatre reprises. 

L’éventualité d’une adoption de la motion référendaire fait frémir les députés LR qui soutiennent la réforme des retraites. 

Ce n’est pas débloqué, on sait très bien qu’une motion référendaire aboutira à un rejet du texte. Si la motion référendaire est acceptée, et par l’Assemblée et par le Sénat puis le président de la République cède, parce qu’il a encore le choix, une fois sur les deux assemblées ont décidé de voter une motion référendaire, de le mettre, ou pas, au vote, ce serait bien que ce soit un vote contre.

Pierre-Henri Dumont, député LR du Pas-de-Calais, Palais Bourbon

Le peuple est contre

Arrêtons-nous quelques secondes sur ces propos. Pierre-Henri Dumont est en train de dire qu’il ne faut pas soumettre le texte au peuple, parce que le peuple est contre la réforme des retraites. Dans ces conditions, pourquoi ce député s’obstine-t-il à soutenir le gouvernement ?

On n’est pas totalement favorable au fait que le Parlement se dépossède de ses prérogatives. Ceux qui doivent voter les lois, c’est avant tout le Parlement. Est-ce que le projet de loi est insatisfaisant ? Oui, pour l’instant, il n’est pas satisfaisant. Mais est-ce que ça veut dire que ça doit être renvoyé à une consultation du peuple ? Je pense qu’on peut d’abord le travailler au Parlement et que la motion référendaire est en fait un artifice pour dire qu’on ne veut pas de réforme des retraites. Moi je pense qu’il faut une réforme des retraites mais je ne suis pas convaincu que ce soit cette réforme-là qui soit nécessaire aujourd’hui au pays.

Pierre-Henri Dumont, député LR du Pas-de-Calais, Palais Bourbon

En clair, Pierre-Henri Dumont soutient la réforme, bien qu’il la trouve mauvaise, parce qu’il faut réformer le système des retraites. Bon courage pour aller expliquer la subtilité de cette posture aux électeurs. D’autant que chaque jour, on découvre de nouvelles injustices dans ce projet de loi.

« Les femmes seront les premières touchées »

Comme tout projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée, celui-ci est accompagné d’une étude d’impact. Un document qui détaille les conséquences de l’application du texte soumis au vote. Le député insoumis Hadrien Clouet y a repéré une entourloupe. 

Les femmes seront les premières touchées par la déperdition. À la fois parce qu’elles perdent des trimestres et donc elles devront, soit partir plus tard et faire plus de mois que leurs homologues masculins, soit elles ne pourront pas partir plus tard parce qu’elles sont usées par le travail, parce qu’elles ont été abîmées physiquement, moralement, psychiquement, comme on veut, et dans ce cas-là elles subiront une décote qui viendra réduire de manière assez forte amputer leur pension de retraite. […] Un exemple simple de cela : le gouvernement nous parle de plus 2 % de pension pour les femmes à condition qu’elles fassent deux ans de plus. Donc ça veut dire qu’elles auront 24 euros de plus par mois à condition de perdre deux ans de pension de retraites, soit 30 000 euros. Donc si elles survivent 1 000 mois à la retraite, elles seront de retour dans leurs frais. Evidemment, c’est absolument ridicule mais c’est comme ça que le macronisme fait ses comptes.

Hadrien Clouet, député LFI-Nupes de Haute-Garonne, Assemblée nationale

Énorme couac

Même au sein du gouvernement, on reconnaît que la réforme est injuste. Écoutez le ministre des relations avec le Parlement, Franck Riester, lundi soir.

Elles sont évidemment un peu pénalisées par ce report de l’âge légal. On n’en disconvient absolument pas. 

Une femme, par exemple, pourrait partir à 62 ans, admettons avec les trimestres qu’elle aura gagné avec ses enfants, mais comme il y a un âge légal à 64 ans…

Voilà, il faut qu’elle continue à travailler à 64 ans.

Franck Riester, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, LCP, 23 janvier 2023

Délices de l’opposition

Un énorme couac qui a fait les délices de l’opposition.

Moi ça me fait beaucoup rire cette affaire parce qu’en fait tous leurs arguments, les uns après les autres tombent, alors qu’ils nous ont bassiné avec l’idée que les femmes allaient sortir gagnantes de cette réforme des retraites, on s’aperçoit qu’en fait c’est tout l’inverse. Ça montre l’hypocrisie de ce gouvernement, ça fait tomber les masques, ça montre quelle est l’idéologie qu’il y a derrière cette réforme. C’est une idéologie productiviste uniquement pour diminuer les dépenses publiques, faire en sorte qu’on retombe sous le seuil des 3 %.

Sandrine Rousseau, députée écologiste-Nupes de Paris

Du coup Élisabeth Borne a été contrainte de rectifier le tir le lendemain de l’intervention de Riester. La Première ministre a dû s’interrompre au bout de deux phrases tant ses affirmations ont déclenché une tempête. Je vous laisse mesurer sa solitude.

On ne peut pas laisser dire que notre projet ne protègerait pas les femmes. Au contraire.

S’il vous plaît. S’il vous plait, on écoute la réponse de la Première ministre.

Alors…

Élisabeth Borne, Première ministre

Pente glissante

Un sondage Elabe nous apprenait hier que l’image de la Première ministre s’est fortement dégradée. 57 % des personnes interrogées considèrent qu’elle est une mauvaise Première ministre. Dans le même temps, 64 % des Français trouvent l’action d’Emmanuel Macron décevante. Soit sept points de plus depuis la fin du mois d’octobre. 

Dans ce contexte mouvant, les démonstrations syndicales vont jouer un rôle prépondérant. Sans véritable majorité, en recul dans l’opinion, l’exécutif est sur une pente glissante. Il a certes les moyens constitutionnels de passer en force. Mais brutaliser le pays pourrait se révéler lourd de conséquences. Le souvenir des gilets jaunes est encore dans toutes les têtes…

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