Si le ministre du Travail, Olivier Dussopt, juge que sa réforme est une « réforme de gauche », les débats de cette fin de semaine au Sénat ont démontré qu’il s’agissait bien d’un texte de droite. Il y a d’abord eu, samedi 1er mars, la suppression de cinq régimes spéciaux. Celui de la RATP, celui des industries électriques et gazières, celui des clercs et employés de notaire, celui de la Banque de France, et enfin le régime du Conseil économique, social et environnemental. Pourquoi avoir retenu ces cinq régimes plutôt que d’autres ? Cela reste un mystère.
En revanche, s’il est un régime auquel les sénateurs de droite n’ont pas touché, c’est bien le leur. Et ce, malgré les injonctions venues de la gauche. Mais surtout, dimanche 5 mars, la droite et le gouvernement ont dévoilé leurs intentions. Cette réforme des retraites est le premier pas vers l’abandon du système de répartition au profit d’un système par capitalisation.
Un rapport demandé
Le Sénat a en effet adopté un amendement déposé par le sénateur LR Jean-François Husson. Il appelle à ouvrir la réflexion sur l’intégration d’une part de capitalisation dans le système des retraites. Un rapport allant dans ce sens doit être remis avant le 1er octobre 2023.
Le mouvement démographique est implacable. Nous aurons moins de cotisants, plus de bénéficiaires, puisque nous avons une espérance de vie qui augmente. On va inexorablement soit vers une baisse des pensions si on le laisse seul, soit vers une augmentation des cotisations. Ce qui est proposé, à travers ma demande d’un rapport, c’est finalement d’avoir un porter à connaissance sur l’impact que pourrait avoir, à l’exemple d’un système universel, obligatoire, de capitalisation, de provisionnement collectif.
Jean-François Husson, sénateur LR de Meurthe-et-Moselle, Sénat, 5 mars 2023
« Enrichir les investisseurs »
Sur les bancs de la gauche, on a aussitôt démonté l’argumentation.
Vous allez livrer la retraite des Françaises et des Français, le fruit d’une vie de labeur, aux fonds de pension. Ils se fichent complètement des enjeux environnementaux et sociaux dans leurs investissements. Mais surtout, ils sont prêts à tout pour assurer le rendement de leurs placements. Vous allez donc siphonner les caisses du régime par répartition pour alimenter un système de retraite par capitalisation. Ça n’aura pour effet que d’enrichir des investisseurs sans foi ni loi.
Yan Chantrel, sénateur PS des Français établis hors de France, Sénat, 5 mars 2023
Pour Marie-Noëlle Lienemann, la retraite par capitalisation, c’est la financiarisation de l’assurance vieillesse.
Alors vous nous dites la solution, j’ai bien compris on ne va pas parler de la capitalisation individuelle, tout le monde sait les dangers que ça représente. Alors vous essayez de contourner la chose en disant : « On va faire une capitalisation collective obligatoire. » Premièrement, si c’est obligatoire, je m’excuse c’est un prélèvement obligatoire. Quelle différence avec une cotisation ? La différence c’est que vous pensez que le placement financier va être plus rentable que l’évolution salariale. Et donc vous faites le pari d’une société où la financiarisation continue à nous vider de notre substance et de vider le monde du travail de sa rémunération.
Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris rattachée au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, Sénat, 5 mars 2023
Inflation
Les salariés ont tout à craindre en confiant leur argent à des fonds de pension. D’abord, parce que ces derniers alimentent l’inflation.
En fait, ce n’est pas des retraites qu’on parle, c’est du marché, c’est de l’injonction permanente qui est faite par les cabinets de conseil anglo-saxons dont le gouvernement raffole, par les instituts libéraux, qui nous disent : « On a besoin des fonds de pension en France. » Et la question qu’il faut qu’on se pose c’est : est-ce qu’on veut donner aux fonds spéculatifs l’argent que les salariés consacrent aujourd’hui, par répartition, à leur retraite de demain ? Et alors je vais même le dire plus loin : est-ce que c’est l’intérêt des salariés que leur rémunération abonde les fonds spéculatifs ? Et quand on regarde quelle a été la responsabilité des fonds spéculatifs en question dans l’inflation ces derniers temps. Parce que la guerre en Ukraine est un facteur d’inflation, mais il y en a un autre, c’est la spéculation sur les matières premières alimentaires, clairement identifié de tous les grands fonds de pension.
Laurence Rossignol, sénatrice PS de l’Oise et vice-présidente du Sénat, au Sénat, 5 mars 2023
« Les retraités paient en premier »
Et puis, surtout, en cas de nouvelle crise financière, les retraités perdront tout.
Regardons l’histoire. Toutes les crises qu’il y a eu, à chaque fois qu’il y a eu des crises financières importantes, que les bourses se sont cassées la figure, qui a payé en premier ? Regardez ce qu’il s’est passé notamment aux Etats-Unis, mais ce sont les retraités qui paient en premier.
Monique Lubin, sénatrice PS des Landes, Sénat, 5 mars 2023
Double discours de Bruno Retailleau
Bruno Retailleau, le patron des députés LR, s’est défendu de vouloir abandonner le système par répartition. Mais son intervention laisse entendre le contraire.
Nous croyons, nous, en la retraite par la répartition parce qu’elle assure un lien générationnel. Et c’est parce que nous voulons sauver cette retraite par répartition, que nous voulons voter, après l’avoir modifiée, cette réforme. […] Nous voulons simplement réfléchir, étudier, et je pense qu’on pourrait étudier un système d’une fusée à trois étages. Le premier étage c’est le socle, c’est la répartition, c’est le lien intergénérationnel. Le second étage, le deuxième étage, c’est les complémentaires gérées par les partenaires sociaux. C’est d’ailleurs la retraite à points, où on cotise en partie pour sa propre retraite, en partie. Et l’autre étage de la fusée, ce serait un étage par capitalisation.
Bruno Retailleau, sénateur de Vendée et président du groupe LR au Sénat, Sénat, 5 mars 2023
Réserve du ministre
Qu’en pense le gouvernement ? Si l’on en juge par la réaction d’Olivier Dussopt, il n’est pas loin de partager la position de la droite. Le ministre du Travail émet cependant une réserve sur la capacité des bas revenus à s’inscrire dans un régime de retraite par capitalisation.
Nous avons tous des interrogations, y compris sur l’évolution démographique que l’on va connaître. Parfois même avec une incapacité à la prévoir véritablement à très long terme. Et l’interrogation qui est la mienne, mais dont je répète qu’elle est totalement personnelle, c’est que si les équilibres démographiques venaient à encore plus se détériorer, la question que nous devrions nous poser collectivement, par pur principe de solidarité, c’est celle de la capacité des plus modestes à garantir et à céder eux-mêmes à garantir un niveau de revenus conséquent parce que je n’ai absolument aucune inquiétude pour ceux qui ont les revenus les plus élevés et qui d’ores et déjà ont la capacité de capitaliser ou en tout cas de thésauriser pour assurer leur avenir.
Olivier Dussopt, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, Sénat, 5 mars 2023
La réforme actuelle est donc la première tranche d’un chantier. Il ne s’agit pas de sauver un régime de retraite, mais bien de préparer sa destruction en le livrant aux fonds de pension. Comme dans les aventures du cow-boy Lucky Luke, les vautours et les croque-morts sont déjà là.
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