Nouvelle-Calédonie : le gros caillou dans la chaussure d’Emmanuel Macron

Tematai Le Gayic, député GDR de Polynésie française à l’Assemblée nationale ©PurePolitique

Comment en est-on arrivé là ? Comment la Nouvelle-Calédonie a-t-elle pu replonger dans une situation insurrectionnelle malgré les accords de Matignon en 1988 ? Malgré encore l’accord de Nouméa en 1998 qui a doté l’archipel d’une autonomie inédite ? Malgré, enfin, trois référendums où la volonté de rester dans la République française l’a emporté. On croyait le dossier réglé. C’était perdre de vue le caractère transitoire de ces dispositions.

On est arrivé à la fin de l’accord de Nouméa et donc il nous faut retrouver des discussions, un consensus, un accord. On ne les a pas. Et on ne les a pas depuis maintenant trois ans. Au bout d’un moment, et on y est, cette absence de discussion, cette absence d’initiative prise jusqu’à peu encore, de la part de tout le monde. On est tous plongés jusqu’au cou, pour ne pas dire autre chose, dans cette situation. Cette absence de discussion, cette absence de négociation dans un accord global elle fait qu’un sujet, qui est un sujet légitime, le sujet du corps électoral, mais pris isolément constitue un motif d’éruption politique dans un premier temps et aujourd’hui dans les rues.

Philippe Dunoyer le 14/05/2024

Pendant plus de trois ans, on a donc oublié de négocier. Pire, on a renoué avec un centralisme obtus.

La rupture du dialogue c’est lorsque l’État a décidé unilatéralement de convoquer le troisième référendum, de proposer deux textes visant à repousser les élections en Nouvelle-Calédonie et à dégeler le corps électoral sans qu’il y ait d’accord, d’abord en Nouvelle-Calédonie, ensuite proposé au gouvernement français.

Tematai Le Gayic le 14/05/2024

Le référendum de 2021 a été boycotté

Le troisième référendum sur l’indépendance, celui de 2021, s’est en effet déroulé en pleine période Covid dans l’archipel. Le gouvernement n’a pas voulu repousser la date, craignant sans doute que cela serve les indépendantistes. Résultat : ces derniers ont boycotté la consultation et n’en reconnaissent pas aujourd’hui la validité.

À cette erreur, il faut en ajouter une deuxième. En juillet 2022, le dossier de la Nouvelle-Calédonie a été transféré au ministère de l’Intérieur. Jusqu’alors, c’était Matignon qui le pilotait. Partisans et adversaires de l’indépendance ont vu dans ce changement une marque de désintérêt. D’autant que Gérald Darmanin n’a pas compris que sur ce territoire la loi devait s’appuyer sur un consensus préalable. C’est le bordel, mais pour lui, tout est nickel.

Le projet de loi constitutionnelle adopté mardi élargira le corps électoral à tous ceux qui sont nés en Nouvelle-Calédonie ou y sont domiciliés depuis 10 ans au moins. J’emploie le futur, parce que la loi doit encore être ratifiée par le congrès. Pour Mathilde Panot, le gouvernement essaie avec ce texte d’entraver la marche de la Nouvelle-Calédonie vers l’indépendance.

Il existe un fait colonial indéniable en Nouvelle-Calédonie : l’existence de deux peuples a été actée par le vote du peuple français dès 1988 par référendum. Or, dans une situation coloniale la répression mène toujours à plus de répression. Rien n’était imprévisible, mais le pire peut encore être évité. Demain, la Nouvelle-Calédonie ne doit pas, après un vote passé en force, se réveiller à feu et à sang. Personne ne veut de morts en Calédonie. Avec ce projet de loi, l’esprit des accords de Nouméa est piétiné. Quelle qu’en soit la forme, la voie de l’émancipation de la Nouvelle-Calédonie est irréversible.

Mathilde Panot le 14/05/2024

Retour du colonialisme

La référence au colonialisme fait bondir le rapporteur du projet de loi.

Est-ce que je suis un colon ? Je suis né en Nouvelle-Calédonie, de parents nés en Nouvelle-Calédonie, de grands-parents nés en Nouvelle-Calédonie, d’arrière-grands-parents nés en Nouvelle-Calédonie. Je suis un colon parce que je suis blanc ? C’est-à-dire que si la France insoumise appliquait ce qu’elle dit pour la Nouvelle-Calédonie en métropole, il faudrait qu’ils siègent à l’extrême droite de l’hémicycle, pas l’extrême gauche.

Nicolas Metzdorf le 14/05/2024

Jusqu’à présent, les listes électorales étaient gelées. Attention, on parle ici des listes pour élire les membres des trois assemblées qui désignent ensuite le gouvernement de l’archipel. Pour toutes les autres élections, les listes électorales sont dressées selon les mêmes critères qu’en métropole.

En Nouvelle-Calédonie ne peuvent voter aux élections locales que les personnes arrivées avant novembre 1998. Et si vous êtes arrivé après novembre 1998 et que vous avez eu des enfants, nés en Nouvelle-Calédonie, qui n’ont connu que la Nouvelle-Calédonie, ces enfants n’ont pas le droit de voter. On a instauré en Nouvelle-Calédonie le droit du sang, le droit du sang.

Est-ce que c’est encore acceptable dans un territoire qui a choisi la République de maintenir le droit du sang ? Quand je vois qu’il y a des débats interminables sur le droit du sol à Mayotte et qu’en Nouvelle-Calédonie on a le droit du sang, je me dis : “Mais attendre il y a quand même une grosse incohérence”. Donc le dégel du corps électoral avec 10 ans de présence, c’est à minima. Nous on avait demandé le retour du suffrage universel, et les 10 ans, qui sont proposés, de présence pour devoir voter, c’est la proposition des indépendantistes.

Nicolas Metzdorf le 14/05/2024

Élargissement du corps électoral

L’élargissement va permettre à 25 000 personnes de voter. Les Kanaks craignent que ces nouveaux venus modifient le rapport de force lors des prochaines élections locales qui doivent intervenir d’ici la fin de l’année. Cependant, si le dégel des listes électorales a provoqué un tel déferlement de violence, c’est parce qu’il intervient au moment où l’archipel traverse une profonde crise économique.

Ce qui est sûr c’est que aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie traverse une crise économique extrêmement importante. La situation du nickel qui pèse pour une part très importante du PIB est aujourd’hui, en effet, très inquiétante avec par ailleurs des ingérences étrangères, chinoises ou des alliés russes, mais aussi des tentatives de dumping par la Chine sur le cours du nickel qui ont une incidence réelle.

C’est vrai que la crise du nickel participe à des tensions sociales, mais ce n’est pas seulement ça. Parce que aujourd’hui ce qu’on observe c’est que les tensions sont d’abord à Nouméa. Or, à Nouméa ce ne sont pas tant des gens qui travaillent dans l’économie du nickel que des jeunes qui subissent ces inégalités, qui étaient parfois descendants de Kanaks mais qui vivaient plutôt dans la partie nord ou dans la brousse, et qui sont arrivés à Nouméa et qui aujourd’hui connaissent une situation d’extrême précarité.

Arthur Delaporte le 14/05/2024

Pour Arthur Delaporte, les émeutes s’apparentent davantage aux révoltes des banlieues métropolitaines qu’à un soulèvement indépendantiste. Il faut d’ailleurs souligner que les principales organisations indépendantistes de l’archipel ont appelé au calme. Ce matin, le ministre de l’Intérieur pointait la main de l’étranger derrière les exactions.

La main de l’étranger

C’est d’ailleurs la crainte d’une instrumentalisation du mouvement de protestation par les services chinois qui a, en partie, conduit le gouvernement à bloquer l’application TikTok. Celle-ci, faut-il le rappeler, est chinoise. Le projet de loi constitutionnelle doit être entériné par le congrès avant le 1er juillet. L’Élysée a fait savoir que la convocation des sénateurs et des députés à Versailles n’interviendrait pas avant la fin du mois de juin, de façon à laisser du temps à la négociation. De plus, le projet de loi adopté mardi soir à l’Assemblée prévoit que le dégel des listes électorales pourrait finalement ne pas être appliqué. Oui, c’est une curiosité législative.

Que dit l’article 2 ? Si vous trouvez un accord local, l’article 1er n’existe plus. Moi je voudrais qu’on arrête d’attiser un, les peurs, deux, la violence. Certains le font, et vous savez très bien à qui je pense, ils le font localement, ça ne sert à rien. Ils se délectent de cette violence. Il faut qu’effectivement toutes les forces politiques de Nouvelle-Calédonie se mettent autour de la table dès ce week-end et qu’on trouve une solution politique très rapidement. Oui, c’est au peuple calédonien de décider de son destin. Mais on ne peut pas dire qu’ils n’ont pas déjà choisi entre la France et l’indépendance, parce que trois référendums, trois “oui” pour rester français, ou trois “non” pour l’indépendance, comme vous voulez mais en tout cas ils veulent rester français. S’ils veulent rester français il y a un moment où il faudra bien que le suffrage universel s’exprime aussi en Nouvelle-Calédonie.

Bruno Millienne le 14/05/2024

Cette pause dans le processus législatif n’est pas du goût des Républicains. Ils y voient un signe de faiblesse.

Le gouvernement, l’exécutif doit faire preuve de détermination et avancer sur le sujet calédonien. On a aujourd’hui une révision constitutionnelle qui doit être approuvée à l’Assemblée nationale. Le gouvernement avait laissé entendre qu’il réunirait le congrès dans la foulée, on parlait du 27 mai donc d’ici la fin du mois de mai. Moi je pense que malheureusement, en tergiversant comme l’a fait le président de la République, en laissant entendre qu’il pourrait décaler le congrès, il ouvre la porte aux plus ultras.

Olivier Marleix le 14/05/2024

On pourrait penser que le Rassemblement national est sur la même ligne. Ne se présente-t-il pas comme le parti de l’ordre ? Surprise, le loup se fait agneau…

Ces violences regrettables, une fois encore je le rappelle, ce sont des Français qui sont violents envers d’autres Français. On est à peu près persuadé que tous sur place sont attachés à leur territoire, veulent le meilleur et veulent la paix. Or, le gouvernement doit les accompagner dans cette démarche. Ces accords compliqués ont été possibles il y a 30 ans. Ils sont aujourd’hui toujours possibles. Et la précipitation à marche forcée du gouvernement n’envoie pas un très bon signal. Maintenant nous on appelle au calme, on appelle à la paix, on appelle à l’écoute et on appelle au dialogue. La violence ne réglera évidemment rien du tout.

Laurent Jacobelli le 14/05/2024

La menace d’une guerre civile

L’Élysée avait proposé que les élus calédoniens et le président de la République s’entretiennent par visioconférence ce jeudi matin. Celle-ci a été annulée, les différents protagonistes ne souhaitant pas, pour l’instant, échanger les uns avec les autres. Du coup, Emmanuel Macron a fait savoir qu’à défaut de table ronde, il mènerait des entretiens séparés. À trois semaines des élections européennes, le chef de l’État et ses partisans ne peuvent se permettre la moindre erreur. Une guerre civile sur une portion du territoire national se solderait par un effondrement électoral dramatique pour l’exécutif.

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