Comment caractériser le nouveau gouvernement ? À entendre le Premier ministre hier, sur France 2, l’équipe gouvernementale s’inscrit dans la continuité.
Nous ne sommes pas en cohabitation. L’essentiel du socle parlementaire qui va accompagner le gouvernement est constitué de députés, de sénateurs, qui ont pour beaucoup soutenu, accompagné le président de la République depuis 7 ans.
Michel Barnier, Premier ministre, le 22/09/2024
« Nous ne sommes pas en cohabitation »
Michel Barnier reconnaît que le président et lui-même ont superbement ignoré le résultat des urnes. Et ça n’a pas l’air de le tracasser. Pourtant, il y a de quoi.
Comment vous pouvez comprendre que la formation politique qui a fait moins de 6 % aux élections législatives se retrouve aujourd’hui à la tête du gouvernement. Que vous ayez dans ce gouvernement une majorité de ministres de plein exercice qui soutiennent Emmanuel Macron alors qu’il a été battu aux élections européennes et qu’il a été battu aux élections législatives.
C’est une négation du message qui a été envoyé par les Françaises et les Français.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur national de LFI, le 23/09/2024
Si le capitaine a changé, la couleur du navire reste la même. Sur les 39 membres que compte l’équipe gouvernementale, les macronistes d’Ensemble pour la République, le nouveau nom de Renaissance, occupent 12 postes. Soit le plus gros contingent de ministres et sous-ministres. Surtout, comme le soulignait Éric Ciotti ce matin, ils conservent le contrôle de la politique économique.
Je regarde simplement le casting, son directeur de cabinet qui était celui de monsieur Le Maire, tout le pôle de Bercy, le ministre de l’Économie, le ministre des comptes publics, celui de l’Industrie, on peut y rajouter le pôle social aussi, le Travail. Tous des macronistes. Tous ceux qui ont porté ce bilan économique.
Éric Ciotti, député UDR et président du groupe UDR à l’Assemblée nationale, le 23/09/2024
Tout va très bien madame la marquise
Hier, le nouveau ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, Antoine Armand, se félicitait de l’excellent bilan de son prédécesseur, Bruno Le Maire. N’était-il pas le Mozart de l’Économie malgré le trou dans la caisse.
Les impôts des ménages et des entreprises ont baissé de 60 milliards d’euros. La France est devenue le pays le plus attractif d’Europe.
Antoine Armand, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, le 22/09/2024
62 milliards très exactement depuis 2018. Dont 30 milliards d’impôts en moins pour les entreprises. Y a-t-il de quoi se féliciter alors même qu’il faut trouver 100 milliards d’ici à 2029 pour rentrer dans les clous des 3 % de déficit imposés par l’Union européenne ? Eh bien oui, apparemment. Car Armand entend poursuivre la politique de l’offre menée par son prédécesseur.
Notre travail à nous dans ce monde, c’est de faciliter la tâche des entreprises, de celles et ceux qui travaillent, c’est de les accompagner et de ne pas les encombrer de normes parfois inutiles ou contradictoires.
Antoine Armand, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, le 22/09/2024
Cacophonie sur les hausses d’impôts
Hier soir, sur France 2, Michel Barnier affirmait ne pas vouloir augmenter l’impôt des ménages.
Je ne vais pas alourdir encore l’impôt sur l’ensemble des Français. Ni sur les gens les plus modestes, ni sur les gens qui travaillent, ni sur les classes moyennes. Je ne vais pas exclure, dans l’effort national qu’il faudra faire pour redresser la situation, je ne vais pas exclure que les personnes les plus fortunées participent.
Michel Barnier, Premier ministre, le 22/09/2024
Mais quelques heures plus tôt, dans son édition dominicale, la Tribune dimanche révélait que Matignon envisageait le gel des barèmes de l’impôt sur le revenu. Le gain espéré est d’environ 4 milliards. Chaque année, ces barèmes sont réajustés sur l’inflation. Si l’exécutif ne les aligne pas sur la hausse des prix, de nombreux ménages vont basculer dans la tranche supérieure. Tandis que d’autres, non imposables jusqu’alors, vont devoir sortir le carnet de chèques.
Mais factuellement, le gouvernement n’aura pas augmenté les impôts. De l’art de jouer sur les mots. Ce lundi matin, Sébastien Chenu, dénonçait la manœuvre.
Là c’est une ligne rouge. C’est une ligne rouge pour nous parce que c’est une hausse d’impôts déguisée et on va nous dire “ça touche les plus fortunés” alors qu’en réalité on aura fait entrer dans le barème supérieur des Français qui n’auront pas vu leur pouvoir d’achat augmenté.
Sébastien Chenu, député RN, le 23/09/2024
Dans la foulée, le président délégué du groupe RN a dévoilé les contours du piège que le Rassemblement national a mis en place. Le 31 octobre, dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire, le groupe lepéniste présentera une proposition de loi abrogeant la réforme des retraites. Ce texte pose un sérieux problème à la gauche. Faut-il voter avec le Rassemblement national ? La question n’est pas complètement tranchée. Mais depuis ce matin, cette proposition de loi est aussi le problème de l’exécutif.
Si ça ne passait pas, effectivement, on demandera à Michel Barnier d’inclure cette abrogation dans son projet de budget.
Sébastien Chenu, député RN, le 23/09/2024
Des passerelles vers l’extrême droite
Bref, le petit jeu du chat et de la souris commence. Avec, bien sûr, Marine Le Pen dans la peau de Raminagrobis. Pourtant Emmanuel Macron a tout fait pour que le casting gouvernemental permette de jeter des passerelles vers l’extrême droite. À commencer par Michel Barnier dont la campagne pour la présidence des Républicains, en 2021, avait mis en lumière son conservatisme. Contrôle strict de l’immigration, retraite à 65 ans, dénonciation de l’assistanat, le nouveau Premier ministre avait déjà tout pour plaire au RN. Malgré son profil de technocrate européen.
Le personnage clé de ce nouveau dispositif, c’est bien sûr Bruno Retailleau. Sans doute la figure la plus réactionnaire de la droite. Patron des sénateurs Républicains, il y a encore 48 heures, il sera un allié précieux pour que les projets de loi du gouvernement franchissent sans encombre l’étape du Palais du Luxembourg. Ce matin, le nouveau ministre de l’Intérieur détaillait les objectifs de son action. Avec une modération toute martiale.
Trois priorités, vous les retiendrez facilement : la première, rétablir l’ordre, la deuxième, rétablir l’ordre, la troisième, rétablir l’ordre.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, le 23/09/2024
La 119e loi immigration depuis 1945
Énorme surprise, Bruno Retailleau va proposer une nouvelle loi sur l’immigration. Le 119e texte depuis 1945. La dernière loi remonte au mois de décembre de l’année dernière. Plusieurs dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Ce sont celles-ci que le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre veulent restaurer.
Je pense qu’on doit traiter cette question de l’immigration avec beaucoup plus de rigueur. Il y aura des ruptures. Beaucoup plus de fermeté, en même temps de l’humanité. C’est la ligne que je vais suivre avec monsieur Retailleau.
Michel Barnier, Premier ministre, le 22/09/2024
Au regard de la place centrale qu’occupe Bruno Retailleau dans le nouveau dispositif, on ne s’étonnera pas que la frange conservatrice de la droite, celle des cathos tradis, celle de François Fillon sur la place du Trocadéro, soit surreprésentée.
Outre le ministre de l’Intérieur, on ne dénombre pas moins de quatre ministres . Ainsi Patrick Hetzel, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la forêt, François-Noël Buffet, ministre chargé des Outre-mer et Laurence Garnier, secrétaire d’État chargée de la consommation.
Un aréopage auquel on peut rajouter Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. En 2013, elle était contre le mariage pour tous. Elle assure aujourd’hui voir les choses différemment.
Et pour faire bonne mesure, n’oublions pas les défenseurs déclarés de l’enseignement privé comme Alexandre Portier, ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l’enseignement professionnel. Ou Othman Nasrou, secrétaire d’État chargé de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations qui se réclame lui-même de la droite vintage. Bref, quand on y regarde de près, ce nouveau gouvernement est une véritable régression, à la fois dans le temps et sociétale.
Le MoDem et Gabriel Attal se sont émus de ce tournant idéologique. Au point que le Premier ministre s’est vu contraint de les rassurer publiquement.
Ceux qui nous écoutent et qui sont concernés, touchés par ces problèmes, qui les vivent tous les jours, sachent très clairement qu’il n’y a aucune ambiguïté. Je parle évidemment de la loi de Simone Veil, j’ai eu l’honneur d’être son collègue au gouvernement, qu’il s’agisse du mariage pour tous ou de la PMA dans les dernières dispositions 2021, elles seront intégralement préservées.
Michel Barnier, Premier ministre, le 22/09/2024
Michel Barnier aura quand même réussi une première performance. Mettre Jean-Luc Mélenchon et Jordan Bardella d’accord sur un point. Le premier a déclaré que ce gouvernement n’avait pas de futur. Et le second qu’il n’avait pas d’avenir. Ils devraient ne pas tarder à se rencontrer au détour d’une motion de censure.
Soyez le premier à commenter